Annexe
Paul Triaire, éditeur des Lettres en 1907 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
Annexe. Paul Triaire, éditeur des Lettres en 1907
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« Personne n’ignore que le recueil des lettres de Gui Patin constitue une des contributions les plus curieuses à l’histoire du xviie s. Véritable journal improvisé au jour le jour, mordante chronique rédigée par une des plumes les plus brillantes, les plus alertes, les plus spirituelles et les plus satiriques de l’époque, cette correspondance incessante, soutenue, sans défaillance, pendant plus de quarante années, évoque devant nous, dans la succession régulière du temps – avec leur fixité ou leurs transformations, – les mœurs, les institutions, les idées, les traits et les caractères de deux générations. Rien ne manque à cette peinture, ni les portraits des hommes du jour, ni le tableau des événements qui se déroulent à la cour et à la ville, ni le récit des faits sociaux, politiques, religieux ou militaires, ni les nouvelles annonçant les livres qui viennent de paraître, et qui sont de véritables bibliographies du siècle, ni naturellement, celles qui concernent la médecine et la Faculté dont l’auteur a tracé une histoire que nous n’aurions pas sans lui, et qui intéresse, au plus haut degré, les médecins et les lettrés. De ces lettres écrites avec un esprit, une facilité de style et une érudition tant de fois célébrés et qui font de Patin un des auteurs les plus originaux de son siècle, les éditions ont été multiples. On n’en connaît pas moins de cinq groupes, réédités ou réimprimés chacun plusieurs fois, ce qui porte, au moins, à quinze, leur nombre connu. Eh bien – on ne le sait que trop – toutes ces éditions sont défectueuses, et si, comme l’a dit Chéreau, l’illustre critique revenait au monde, il ne reconnaîtrait plus sa correspondance. Les éditeurs ne se sont pas contentés d’écarter, à leur convenance, une quantité considérable de documents, tous inédits, et de la plus haute valeur historique, mais ils n’ont pas hésité aussi à supprimer de nombreux passages de ceux qu’ils ont publiés. Ils ont été plus loin encore : ils n’ont pas reculé devant l’altération des textes, devant la falsification de la pensée de l’auteur ; ils ont corrigé son manuscrit, remplacé une expression forte et juste, telle qu’elle jaillit de sa plume, par un mot terne ou insignifiant ; modifié, à leur gré, des passages entiers, donné des analyses de ces passages, au lieu de leur texte complet ; rattaché, après des coupures opérées sans frein et sans mesure, deux ou trois lettres ensemble ; ou bien, au contraire, divisé une lettre en plusieurs et forgé ensuite, de toutes pièces, des raccords plus ou moins ingénieux, pour combler les solutions de continuité qui résultaient d’un semblable travail. Toutes ces éditions, dont la plupart sont calquées les unes sur les autres, reproduisent les errements des précédentes, en y ajoutant leurs propres fautes, sans en excepter la dernière, la seule moderne, celle de 1846 due à M. Reveillé-Parise. [3] Cependant, malgré ces graves défauts qui les déparent et qui ne sauraient même trouver quelque excuse dans les habitudes des publicistes du temps, on doit savoir gré à ces vieux éditeurs d’avoir, par des impressions multiples d’une des œuvres les plus piquantes et les plus originales de la langue et de l’esprit français, contribué à développer dans le monde le domaine de notre littérature nationale. L’Europe savante accueillit, en effet, avec empressement, ce recueil de lettres, dont les éditions se succédèrent avec une extrême rapidité et comptèrent, partout où on pensait, à Paris, à Lyon, à La Haye, à Amsterdam, à Francfort, à Cologne, à Berlin et à Londres, pour ne citer que les capitales intellectuelles, autant de lecteurs qu’il y avait de lettrés. Cet hommage rendu aux anciens éditeurs n’atténue en rien, on le comprend, les tares qui ont vicié leur initiative, et ne peut surtout faire disparaître l’urgence d’une publication nouvelle. Depuis longtemps, celle-ci s’impose. Elle a été réclamée par tous ceux qui ont le culte de la littérature du xviie s. et qui considèrent que l’œuvre d’un des écrivains les plus originaux de cette brillante époque a été indignement interprétée. Déjà en 1760, Formey, [1][4] secrétaire perpétuel de l’Académie de Berlin, avait conçu le dessein de réunir et de faire paraître la correspondance complète de Patin, accompagnée de notes. Ce projet n’eut pas de suites. Il n’a pu, depuis, être jamais réalisé. Reveillé-Parise donna l’édition de 1846. Mais on sait que c’est cet ouvrage, jugé si sévèrement par Sainte-Beuve et dans lequel la seule innovation consiste en d’insignifiantes remarques placées au bas des pages, qui sont plutôt des critiques prudhommesques que des éclaircissements du texte. [2] Deux érudits d’un talent supérieur, dont l’un appartenait à cette pléiade de savants qui ont fait de notre École des Chartes le foyer le plus actif et le plus brillant des lettres françaises, et dont l’autre a laissé la mémoire d’un historien des plus laborieux, MM. de Montaiglon et Tamizey de Larroque, [3][5][6] reprirent dans ces derniers temps, l’ample projet de Formey. Mais il semble bien que la fatalité s’est attachée à frapper les éditeurs modernes des lettres de Patin. À peine ces écrivains avaient-ils groupé les documents concernant leur travail et commencé les annotations du premier volume, qu’un déplorable incendie venait consumer, sans épargner ni une lettre, ni une note, les matériaux qu’ils avaient patiemment amassés (1895). Nous n’avons pas voulu nous laisser arrêter par des précédents aussi décourageants, et, sans avoir la présomption de nous comparer à ces savants éminents et d’espérer conduire, aussi bien qu’eux, à bonne fin, une tâche difficile, nous avons cru qu’il était permis de recueillir l’héritage d’une pensée que la mort leur a aujourd’hui définitivement ravie et d’essayer, à notre tour, de donner au public lettré et au corps médical cette édition, depuis si longtemps attendue et si malheureusement ajournée. Celle-ci manque, non seulement à l’histoire générale, mais aussi, à l’histoire de la médecine qui, en ces derniers temps, paraît s’être heureusement ressaisie, après une trop longue période de sommeil. Si, en effet, notre auteur, par son esprit philosophique, son profond sens critique, sa vaste érudition, son génie épistolaire si particulier, sa description d’une fraction très étendue des mœurs et de la littérature française sous Louis xiii et Louis xiv, occupe un rang important dans ce qu’on a appelé, avec un si juste à propos, la « république des lettres », il appartient aussi, surtout – avec une marque si caractéristique et si saillante qu’on peut dire qu’il représente toute une époque – à l’histoire de la médecine. Sans doute, la célébrité de Patin enorgueilli de la science, cependant bien restreinte de son temps, à un si haut degré, qu’elle sembla marquer pour lui l’extrême limite des progrès de la médecine – présomption dont, à une époque plus moderne, d’autres esprits non moins distingués devaient offrir, du reste, de nouveaux exemples – lui est venue du côté où il devait le moins l’attendre. La postérité dédaignant, en effet, les billevesées doctrinales, a condamné en bloc, et sans appel, le côté par lequel ce médecin – auteur de nombreux travaux d’érudition scientifique et appartenant à l’élite des praticiens du xviie s. – [4] pouvait, en définitive, se croire un homme supérieur. Et, elle a précisément, et uniquement, conservé de lui celle de ses œuvres qu’il dut considérer comme la moins importante, ces lettres écrites, au jour le jour, avec tout le laisser aller de l’improvisation, sans retouches, et presque sans ratures, sans avoir jamais été ni préparées ni corrigées, ni même relues, et pour lesquelles il fut loin – comme certains épistoliers illustres – de viser la vogue flatteuse des salons mondains ou les succès retentissants de librairie. La fortune – comme les livres – a ainsi de ces destinées. Mais, à ce verdict, il y a une réserve à faire, et l’histoire spéciale n’a pas pu ne pas s’arrêter au rôle considérable et qui dépasse la mesure ordinaire, occupé par Patin à la Faculté de médecine de Paris. C’est là un des aspects les plus caractéristiques de l’homme, et les écrivains médicaux, – tout en portant sur lui des appréciations diverses – l’ont tous mis, avec raison, en lumière, car, c’est par ce côté qu’il entre, vivant et agissant, dans l’histoire de la médecine. De ce grand corps universitaire, il est, en effet, l’expression même, l’image fidèlement reflétée à travers les siècles et il en incarne à un si haut degré, et avec tant de force, les traits fondamentaux, les principes les plus élevés et les traditions les plus respectables, comme les idées les plus contestées et les sentiments les plus injustes, que son histoire se confond, pendant cinquante ans, avec la sienne et que sa biographie devra être nécessairement l’histoire de la Faculté elle-même. Et quand celle-ci, menacée dans son indépendance par le pouvoir royal, dont Renaudot est l’instrument très conscient, ébranlée dans ses immuables doctrines par les découvertes nouvelles, attaquée dans ses privilèges par le flot montant des chirurgiens, minée dans son monopole par les prétentions des médecins de Montpellier, enfin, définitivement ridiculisée par Molière, se trouve atteinte, à la fois, dans son prestige et dans sa vitalité, c’est lui qui se fait son champion – souvent heureux –, la défend contre les causes de dissolution qui l’assiègent et contribue à retarder sa chute. Ce n’est pas, quoi qu’on en ait dit, un rôle dépourvu de grandeur que l’étroite association de Patin à la destinée de cette institution célèbre. La période de l’histoire qu’il représente avec tant de vigueur, – défendue par un déconcertant fatras de pamphlets et un extraordinaire amoncellement d’écritures, contre toute recherche un peu attentive – est encore incomplètement connue et déformée dans l’esprit de nos contemporains. Les appréciations que nous portons sur elle, sont en effet, trop souvent influencées, à la faveur de cette obscurité, par l’attrait qu’exerce sur nous la personnalité du fondateur du journalisme considérée – contrairement à la vérité historique – comme une innocente victime de la Faculté et de Patin, et dénaturée par la réprobation qu’inspire à nos concepts modernes la résistance aux idées de progrès dont nous les rendons tous deux responsables. On oublie que les institutions et les mœurs sont plus coupables que les hommes dans les arrêts que subit parfois la marche de la science. Il suffit, à l’appui de cette loi historique, d’évoquer les souvenirs de la longue opposition que rencontrèrent, à une époque plus voisine de nous, les idées géniales de Pariset sur la transmissibilité des maladies infectieuses, [5] l’immortelle découverte de l’auscultation par Laennec, [6] la brillante conquête de Récamier dans la chirurgie abdominale, [7] et de rappeler les luttes âpres et orageuses, que dut livrer Pasteur pour assurer le triomphe de ses impérissables doctrines. [8] Ces souvenirs – toujours présents – doivent nous incliner à l’indulgence pour les vieux maîtres, situés à l’arrière-plan de l’Histoire, tombés par attachement « aux vérités traditionnelles » dans l’éternel piège de l’opposition rétrograde. Il y a là un sujet à revoir de plus près ; nous le reprendrons, dans l’histoire du célèbre critique placée à la fin de l’édition et qui se déroule – selon le procédé appliqué dans nos précédents travaux – parmi les personnages qui furent les témoins de sa vie, et au milieu des événements qui se passèrent sous ses yeux. [9] C’est seulement en l’envisageant dans son cadre naturel, que, par un effort de transposition de la mentalité, on pourra arriver à porter un jugement un peu exact sur un homme et une époque, dont nous sépare si profondément la révolution radicale opérée, depuis tant d’années, dans la langue, dans l’éducation, dans les sciences, dans les idées, dans les mœurs, et dans toute notre manière de penser. Nous avons fait tous nos efforts pour que la nouvelle édition de cette correspondance fût aussi complète que possible et conforme aux exigences de la science moderne. Les lettres inédites, qui avaient été négligées par les précédents éditeurs, ou qui, publiées dans une édition, furent retranchées dans une autre, sont réunies et mises en place dans notre travail. Les lettres mutilées et modifiées ont été restaurées d’après les textes originaux, et toutes, les inédites comme les imprimées, ont été l’objet d’un collationnement renouvelé plusieurs fois avec soin. Nous avons adopté l’ordre chronologique qui permet de suivre les événements à leurs dates, de préférence au classement employé par les éditeurs antérieurs et dont les inconvénients ont été signalés plusieurs fois par les critiques. [10] Les noms propres, les faits historiques, les citations bibliographiques, ont été l’objet des notes qui pourront, nous l’espérons, accroître, en l’éclairant, l’intérêt de l’ouvrage. Ce n’est pas tout : il manque aux anciennes éditions une nomenclature des noms propres et une table des matières. La publication de 1846 est bien suivie d’une liste des noms propres, mais, outre qu’elle renferme de nombreuses erreurs, des confusions de noms, et de fréquentes fautes de concordance, elle est forcément incomplète, comme l’édition elle-même, exactement reproduite d’après celle de 1825. [11] Mais une table des matières qui permettrait de retrouver en un clin d’œil, un fait, une anecdote, un renseignement biographique ou bibliographique, sans que le lecteur soit astreint à feuilleter l’ouvrage entier, fait défaut dans toutes les éditions. Nous avons comblé cette importante lacune et dressé, à la fin de chaque volume, par catégories de « nouvelles », un tableau récapitulatif des sujets médicaux, littéraires, bibliographiques et politiques traités par Patin, avec le nom du correspondant, la date de chaque lettre et le numéro de la page. [12] La table générale de tous les noms propres et des noms de lieux est placée à la fin du dernier volume. Un astérisque indique la page où ces noms ont été l’objet d’une note spéciale. [13] Pour faciliter au lecteur le recours au texte primitif et la vérification de l’imprimé, nous avons inscrit, en tête de chaque lettre, le numéro et le folio de son manuscrit original, ou le lieu d’origine et la date de l’ouvrage d’après lequel elle a été reproduite, et pour lui permettre de comparer notre texte avec les éditions antérieures, nous avons placé au bas de la même lettre, les renseignements concernant les éditions dans lesquelles elle a été précédemment imprimée. [14] L’orthographe a été une de nos graves préoccupations, d’autant plus grave que les avis sont partagés sur ce sujet. Après bien des incertitudes, nous nous sommes décidé à respecter l’orthographe de Patin pour toutes les lettres dont on possède les originaux. En ce qui concerne les autres, nous avons adopté celle de l’édition d’après la quelle la lettre a été reproduite. [15] Sans doute, notre œuvre contient encore bien des lacunes et des défectuosités dont, un auteur, on le sait, n’est pas toujours seul responsable. Dans la mesure du possible, elles sont rectifiées à la fin de chaque volume. Il nous sera cependant permis d’espérer qu’on voudra bien, malgré ses défauts, faire un accueil favorable à une publication, à laquelle un nombre très restreint d’exemplaires assure, au moins, dans un délai très court, le privilège de la rareté et qui, en raison de son importance, du labeur exceptionnel que sa préparation a demandé, des dépenses considérables qu’elle a entraînées, sera vraisemblablement une des dernières. Il est probable, en tous cas, qu’un pareil effort ne saurait, de longtemps, être renouvelé. [16][7] Paul Triaire. » Suppléments
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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