À Charles Spon, le 6 juin 1655, note 11.
Note [11]

« nous atteignons la lie des siècles » (v. note [4], lettre 134).

Guy Patin faisait allusion à de graves événements survenus en Piémont. Pour des raisons économiques et politiques, la Savoie catholique tolérait de moins en moins le protestantisme de ses sujets vaudois : non pas les habitants du canton de Vaud, mais les Piémontais qui étaient adeptes du valdisme, instauré par le Lyonnais Pierre Valdo (Valdès ou Vaudès, 1140-1217) au xiie s. ; ils s’étaient depuis rapprochés du calvinisme. Ayant promulgué un édit qui leur intimait de se convertir sans délai à la religion romaine, le duc Charles-Emmanuel ii de Savoie avait envoyé dans les vallées en avril 1655 de fortes troupes qui comptaient bon nombre de rebelles irlandais catholiques chassés de leurs terres par Cromwell. L’occupation tourna rapidement au massacre, ce furent les Pâques piémontaises. Une résistance des vaudois s’organisa autour de Josué Javanel et une guerre s’engagea entre les deux partis. Les nations protestantes, Angleterre en tête, s’émurent du sort qu’on faisait dans les Alpes à leurs coreligionnaires. John Milton tint la plume de Cromwell pour des lettres vibrantes et laissa ce fameux sonnet (traduction donnée par Raymond de Véricour, Milton et la poésie épique…, Paris, Delaunay, 1838, page 125) :

On the Late Massacre in Piedmont.
Avenge, O Lord, thy slaughtered saints, whose bones
Lie scattered on the Alpine mountains cold;
Even them who kept thy truth so pure of old,
When all our fathers worshiped stocks and stones,
Forget not: in thy book record their groans
Who were thy sheep, and in their ancient fold
Slain by the bloody Piedmontese, that rolled
Mother with infant down the rocks. Their moans
The vales redoubled to the hills, and they
To heaven. Their martyred blood and ashes sow
O’er all the Italian fields, where still doth sway
The triple Tyrant; that from these may grow
A hundredfold, who, having learnt thy way,
Early may fly the Babylonian woe
.

[Sur le récent massacre de Piémont.
Grand Dieu, tes saints sont massacrés, venge-les, venge-les ! Leurs ossements sont éparpillés sur la glace des montagnes. Ne les oublie pas, eux qui ont gardé ta foi pure et sans tache quand le reste du monde s’agenouillait devant des pierres et des idoles ! Écris dans le livre de vie leurs soupirs et leurs larmes ! Troupeau sacré égorgé dans ces antiques vallées par le poignard piémontais ! De rocher en rocher on a vu tomber et rouler la pauvre mère tenant son enfant serré dans ses bras ; et leurs cris ont éveillé l’écho des vallées, et l’écho des vallées les a renvoyés au Ciel vengeur ! Fais germer dans toutes les plaines de l’Italie, que le triple joug opprime encore, le sang des martyrs et leurs cendres fécondes : qu’elles fructifient et que des générations naissent, ardentes à fuir la chaîne de la Babylone nouvelle].

La France fut même contrainte d’intervenir diplomatiquement, mais sans doute plus pour ménager ses alliances protestantes que pour secourir les infortunés vaudois. L’affaire dura jusqu’en février 1664 où un compromis fut enfin trouvé.

V. note [84] du Faux Patiniana II‑7 pour le hussisme, apparenté au valdisme et né au début du xve s.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 6 juin 1655, note 11.

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0403&cln=11

(Consulté le 09/10/2024)

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