Journal de la Fronde (volume i, fos 57 ro et 58 ro, juillet 1649) :
« M. le coadjuteur de Paris, qui n’avait point encore vu la cour depuis la sortie du roi, {a} s’en alla à Compiègne avec le duc de Retz, son frère, {b} suivant la parole qu’il en avait donnée deux jours auparavant à M. le duc d’Orléans, qui l’en avait prié ; mais il déclara à Son Altesse Royale qu’il ne visiterait point M. le cardinal et ne voulut point partir qu’à cette condition. […]
Le 8 du courant M. le coadjuteur de Paris étant arrivé à Compiègne à dix heures du matin, entra dans l’appartement de la reine, qui en fut avertie comme elle entendait messe, pendant laquelle M. de Vendôme le fut entretenir. Après la messe, ce prélat fit la révérence au roi et à la reine, à laquelle s’étant bien justifié de son procédé dans les derniers troubles, il lui tint un discours de trois quarts d’heure, par lequel il fit voir à Sa Majesté que tous les désordres passés n’étaient arrivés que pour les intérêts de sept ou huit personnes, et lui découvrit en même temps beaucoup de petites intrigues de cour qui lui étaient inconnues et qui avaient causé tout le mal qui était arrivé. Après quoi, il prit congé et s’en alla dîner chez M. de Servien où ayant appris que M. le cardinal devait venir, il fit promptement mettre ses chevaux à son carrosse afin de n’être pas obligé de saluer Son Éminence et s’en revint ici sans la voir. Cependant, la reine témoigna être fort satisfaite de ce qu’il lui avait dit et chargea M. de Vendôme de l’en assurer. »
- Le 6 janvier 1649.
- Pierre de Gondi (v. note [4], lettre 728).
Retz lui-même a donné un tour plus aventureux à l’entrevue (Mémoires, pages 565‑566) :
« Comme je montais l’escalier, un petit homme habillé de noir, que je n’avais jamais vu et que je n’ai jamais vu depuis, me coula un billet en la main, où ces mots étaient écrits en lettres majuscules : si vous entrez chez le roi, vous êtes mort. J’y étais, il n’était plus temps de reculer. Comme je vis que j’avais passé la salle des gardes sans être tué, je me crus sauvé. Je témoignai à la reine, qui me reçut très bien, que je venais l’assurer de mes obéissances très humbles et de la disposition où était l’Église de Paris de rendre à Leurs Majestés tous les services auxquels elle était obligée. J’insinuai dans la suite de mon discours tout ce qui était nécessaire pour pouvoir dire que j’avais beaucoup insisté pour le retour du roi. La reine me témoigna beaucoup de bonté et même beaucoup d’agrément {a} sur tout ce que je lui disais ; mais quand elle fut tombée sur ce qui regardait le cardinal et qu’elle eut vu que, quoiqu’elle me fît beaucoup d’instance de le voir, je persistais à lui répondre que cette visite me rendrait inutile à son service, elle ne se put plus contenir, elle rougit beaucoup ; et tout le pouvoir qu’elle eut sur elle fut, à ce qu’elle a dit depuis, de ne me rien dire de fâcheux. Servien racontait un jour au maréchal de Clérembault que l’abbé Fouquet {b} proposa à la reine de me faire assassiner chez Servien où je dînais ; et il ajouta qu’il était arrivé à temps pour empêcher ce malheur. M. de Vendôme, qui vint au sortir de table chez Servien, me pressa de partir en me disant qu’on tenait des fâcheux conseils contre moi ; mais quand cela n’aurait pas été, M. de Vendôme l’aurait dit : il n’y a jamais eu un imposteur pareil à celui-là. » Assassiner le coadjuteur eût été une bourde de belle taille, en rallumant aussitôt l’émeute dans Paris : on se demande alors qui, de Retz ou de Vendôme, a été le plus imposteur des deux. »
- Approbation.
- Basile Fouquet.
Le poids politique de l’entrevue était tel – rallier Paris à la Couronne – qu’il vaut la peine de lire aussi ce qu’en a dit la mémorialiste indirecte de la reine, Mme de Motteville (Mémoires, pages 282‑283) :
« Dans ce même temps, le coadjuteur donna des marques du mépris qu’il faisait du ministre, par la manière dont il en usa dans son voyage de la cour ; car enfin, ayant résolu de rendre ses respects à la reine, il partit de Paris, protestant tout haut qu’il ne visiterait point le cardinal. La reine […] avait été longtemps sans vouloir recevoir sa visite, mais son ministre lui conseilla lui-même de le voir ; il crut qu’étant sa bienfaitrice, elle le convertirait. Cette princesse, qui tournait agréablement toutes les choses qu’elle voulait dire, lui fit des reproches obligeants sur sa conduite et lui dit qu’elle ne pouvait pas être satisfaite de lui tant qu’il ne verrait point celui qu’elle voulait soutenir contre toutes leurs factions. Elle lui dit de plus qu’il devait penser qu’elle ne le croirait jamais dans ses intérêts s’il n’entrait pas dans ses sentiments et qu’elle demandait de lui cette preuve de reconnaissance. Le coadjuteur, sans se relâcher de sa première résolution, lui répondit qu’elle avait un pouvoir absolu sur ses volontés, mais qu’il la suppliait très humblement de trouver bon qu’il ne vît pas sitôt le cardinal Mazarin, parce que ce serait lui faire perdre son crédit dans Paris que de l’obliger de faire des actions si contraires à sa dernière conduite ; que cette apparente légèreté, le déshonorant, lui ôterait le moyen de la pouvoir servir utilement dans les occurrences qui pourraient arriver ; mais que, quand il serait temps, il saurait bien faire tout ce qui serait de son devoir pour lui montrer qu’il était son serviteur. De cette sorte, il vit la reine, il eut la joie de mépriser le cardinal, et il eut la gloire de cette hauteur et l’espérance que le ministre, ne le pouvant détruire et ayant sujet de le craindre, ferait tous ses efforts pour l’acquérir ; sans que pour cela, il l’en aimât davantage. Il ne se trompa pas car cette audacieuse finesse, jointe à beaucoup d’autres, et une infinité d’intrigues lui firent ensuite obtenir le chapeau de cardinal ; mais il fallut qu’il le souhaitât encore quelque temps. »
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