À Charles Spon, le 13 août 1658, note 3.
Note [3]

Un devin avait prédit à Jean Manard qu’il mourrait « dans un trou » ; Bayle (note A) :

« Paul Jove l’accuse d’une grande faute de jugement : fort vieux, dit-il, et fort goutteux, il épousa une fille dont la beauté et la jeunesse demandaient un homme qui fût à la fleur de l’âge. Le pis fut, ajoute-t-on, qu’il tomba dans l’intempérance aux dépens mêmes de sa vie : il témoigna plus de passion d’avoir des enfants que de vivre, et il voulut bien hâter l’heure de sa mort pourvu qu’il pût acquérir le titre de père. Duxit autem uxorem plane senex, et articulorum dolore distortum, ab ætate, formaque, florentis juvenis toro dignam, adeo levi judicio, et letali quidem intemperantia, ut maturando funeri suo, aliquanto prolis, quam vita cupidior ab amicis conseretur. {a} Vous trouverez dans Moréri une épigramme de six vers latins composés sur ce sujet par Cursius ; mais vous n’y trouverez pas ce distique de Latomus :

In fovea qui te periturum dixit Aruspex,
Non est mentitus : coniuguis illa fuit
. {b}

On a tant brodé la pensée de ce distique, que l’on est venu jusqu’à dire que Manard, pour éviter la prédiction, s’éloignait de tous les fossés. Il ne songeait qu’au sens littéral, {c} et ne se défiait point de l’allégorique ; {d} mais il reconnut par expérience que ce n’est pas toujours la lettre qui tue et que l’allégorie est quelquefois le coup mortel : il mourut la nuit de ses noces pendant les moments de la jouissance, et ainsi fut accomplie la prédiction. Voilà comment quelques écrivains circonstancient la chose : je m’étonne qu’ils ne le comparent pas aux abeilles qui meurent des piqûres qu’elles font. […] Je crois qu’ils se trompent. Une telle circonstance n’aurait pas été négligée par les premiers qui ont parlé de cela ; et je remarque que Paul Jove nous conduit à croire que Manard ne succomba pas si tôt. Personne ne nous apprend si ses efforts furent suivis de quelque fécondité et s’il eut du moins la consolation de laisser sa femme grosse. Travailler beaucoup et s’en retourner à vide est un sort très mal plaisant. »


  1. Paul Jove, Elogia (Venise, 1546, v. note [18] du Traité de la Conservation de santé, chapitre  iii), fos 50 v o‑51 ro :

    « Étant déjà fort vieux et tout perclus de rhumatisme, il épousa une femme que sa jeunesse et sa beauté rendaient dignes de la couche d’un homme dans la fleur de l’âge, avec si peu de sagesse et de si fatale immodération que ses amis le jugèrent plus désireux de hâter son trépas et d’engendrer quelque descendance que de vivre ».

  2. « L’oracle n’avait pas menti en disant que tu mourrais dans un trou : ce fut celui de ton épouse. »

    V. notes [17] et [18] du Traité de la Conservation de santé, chapitre iv, pour Latomus, et pour la transcription et traduction complètes de cet éloge de Paul Jove.

  3. Fovea, « la fosse ».

  4. Fovea, « le vagin ».

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 13 août 1658, note 3.

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(Consulté le 19/04/2024)

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