Ce propos n’est pas de Guy Patin ; il reprend le texte d’Antoine Teissier dans son addition sur Conrad Gesner {a} dans les Éloges des hommes savants tirés de l’Histoire de M. de Thou, {b} mais cette fois dans l’édition d’Utrecht (François Halma, 1697, in‑12, tome premier, page 261) :
« Gesner a fait lui-même l’histoire de sa vie dans sa Bibliothèque, {c} où il raconte une chose qui est digne de remarque : c’est qu’il avoue franchement que ses ouvrages ne sont pas travaillés avec autant de soin et d’exactitude qu’il serait à souhaiter, parce que la misère de sa condition l’obligeait à composer des livres pour gagner sa vie, et qu’ainsi, étant forcé par deux déesses inexorables, savoir la pauvreté et la nécessité, il n’avait pas tout le loisir dont il avait besoin pour les mettre en un état aussi parfait qu’il eût pu faire, s’il n’eût écrit que pour acquérir de la gloire. Cependant, ajoute-t-il, afin que cette confession n’attire le mépris sur les livres que j’ai publiés, j’ose me vanter qu’il surpassent en quelque manière ceux qui ont été faits sur les sujets que j’ai traités. {d} Son principal ouvrage est sa Bibliothèque, qui est un travail d’une utilité merveilleuse pour tous les gens de lettres, et qui lui a attiré les éloges de tous les savants. Car avant lui, personne n’avait osé faire une entreprise de cette nature, et tous ceux qui ont depuis travaillé sur cette matière n’ont fait autre chose que polir et continuer son ouvrage et suivre les traces qu’il leur a marquées. » {e}
- Mort en 1565, v. note [7], lettre 9.
- V. supra note [8].
- Bibliotheca Universalis, sive Catalogus omnium scriptorum, in tribus linguibus, Latina, Græca et Hebraica, extantium et non extantium, veterum et recentiorum in hunc usque diem, doctorum et indoctorum, publicatorum et in bibliothecis latentium. Opus novum, et non bibliothecis tantum publicis privatisve instituendis necessarium, sed studiosis omnibus cujuscunque artis aut scientiæ ad studia melius formanda utilissimum : Authore Conrado Gesnero Tigurino doctore medico.
[Bibliothèque universelle, ou Catalogue de tous les ouvrages écrits dans les trois langues, latin, grec et hébreu, imprimés ou manuscrits, anciens ou récents, savants ou non savants, publiés jusqu’à ce jour et conservés dans les bibliothèques. Ouvrage nouveau, nécessaire pour l’établissement des bibliothèques publiques ou privées, mais aussi fort utile pour la formation à la recherche de tous ceux qui étudient quelque science ou art que ce soit. Par Conrad Gesner, docteur en médecine natif de Zurich]. {i}
- Zurich, Christophorus Froschoverus, 1545, in‑fo de 1 262 pages, contenant un peu plus de seize mille titres et de cinq mille noms d’auteurs ; v. note [4], lettre 748, pour la réédition de 1583 (augmentée et jugée meilleure par Patin, mais beaucoup moins commode à utiliser).
- Entrée Conradus Gesnerus Tigurinus [Conrad Gesner, natif de Zurich], page 180 vo de sa Bibliotheca de 1545 :
Ego vero neque gloriam privatam, neque chalcographi opes tanti facio, quanti sermonem ingenuum, qualem præcipue illum esse decet, qui publice lecturis omnibus ac de operibus publicandis scribitur. Quorsum isthæc : ut lectores intelligant non animum mihi deesse, non fidem aut diligentiam : sed earum rerum quæ ad vitam necessariæ sunt inopiam, nisi hac ope scriptorum ex tempore comparentur, non sinere ut opera mea satis maturescant, atque ideo veniam nobis exorandam esse tum in præsenti volumine tum aliis quæcunque in lucem coacti dedimus a magnis deabus Inopia et Necessitate. At ne quis ideo nos contemnat, nihil extare affero de laboribus meis (sic enim illos non immerito appellaverim) cuius me pudeat aut pœniteat, et quod non aliorum eodem in genere scripta aliquibus modis excellat.
[Pour ma part, en vérité, je n’accorde pas autant d’importance à la gloire personnelle ou à la fortune de celui dont on a imprimé les œuvres, qu’à son discours honnête (qui est la principale qualité qu’il doit posséder), quand il écrit publiquement à tous les lecteurs dans celles qu’il met au jour. Je dis cela pour leur faire comprendre que je ne manque ni de courage, ni de confiance ou de diligence ; mais la privation de ces biens qui sont nécessaires pour vivre, dont les écrivains doivent à tout moment disposer pour travailler, ne m’a pas permis de mûrir suffisamment mes ouvrages. Tant pour ce présent volume que pour les autres que j’ai publiés, je dois donc prier qu’on me pardonne d’avoir été poussé par deux grandes déesses, la Pauvreté et la Nécessité ; mais afin que nul n’y voie motif à me mépriser, mes labeurs (car c’est ainsi que je les ai appelés, et ce non sans légitimité) ne contiennent rien dont j’aie honte ou que je regrette, ni rien qui ne surpasse, en quelque manière, ce que d’autres ont écrit dans le même genre].
De nombreux critiques et biographes ont repris cette citation de Teissier, mais sans en transcrire la source latine.
- Gesner est unanimement reconnu comme le père de la bibliographie moderne.
Dans le commentaire final des rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin, « retour » est à prendre dans le sens de « revanche ». |