À André Falconet, le 4 septembre 1665, note 5.
Note [5]

Après un bref passage au Val-de-Grâce, Anne d’Autriche avait été menée au Louvre (v. note [1], lettre 831) ; Mme de Motteville (Mémoires, pages 555‑556) :

« La reine mère demeura dans cet état jusqu’au 22 août, qu’elle se trouva tout à coup beaucoup mieux. Sa plaie devint plus belle : au lieu qu’auparavant elle s’enfonçait chaque jour, elle commença de se remplir et de se modifier et sa fièvre diminua tout à fait ; si bien que cette princesse, par son amendement, fut trouvée capable de supporter les remèdes d’Alliot. Il commença, pour notre malheur, de les appliquer le 24 du même mois ; et cette constante reine, sortant d’un tourment, rentra tout aussitôt dans un autre, qui ne fut guère moins violent, mais qui fut beaucoup plus long. D’abord Alliot, pour engager cette illustre malade à ses cruautés, adoucit la force de ses remèdes ; et dans ce commencement il y eut de petits intervalles où les médecins firent espérer à la reine mère quelque bon succès de la science de cet homme. Ils mortifiaient la chair et ensuite, on la coupait par tranches avec un rasoir. Cette opération était étonnante à voir : elle se faisait les matins et les soirs en présence de toute la famille royale, des médecins, chirurgiens, et de toutes les personnes qui avaient l’honneur de servir cette princesse et de l’approcher familièrement. Elle avait sans doute de la peine d’exposer une portion de son corps à la vue de tant de personnes, où ce monstre de cancer qu’elle portait au sein n’empêchait pas qu’il y eût encore de quoi l’admirer ; mais comme alors elle savait juger sainement des choses de ce monde, elle ne regardait plus en elle ce qui avait été le sujet de sa vanité qu’avec une sainte horreur et une sainte colère contre elle-même, qui lui faisaient désirer d’en faire de continuels sacrifices à la justice divine. Elle se voyait couper la chair avec une patience et une douceur estimable ; et souvent elle disait “ qu’elle n’aurait jamais cru avoir une destinée si différente de celle des autres créatures, que personne ne pourrissait qu’après la mort et que, pour elle, Dieu l’avait condamnée à pourrir pendant sa vie. ” Dans tous ces temps-là elle souffrait toujours beaucoup, mais ses douleurs s’augmentèrent excessivement quand les remèdes d’Alliot approchèrent de la chair vive. Elle en vint enfin à une telle extrémité de souffrance qu’ayant perdu l’usage de dormir, on lui faisait prendre toutes les nuits du jus de pavot. Par là seulement, elle pouvait trouver quelque relâche à ses douleurs ; et quoiqu’il fût aisé de juger que ce remède la conduirait plus vite à la mort, il était impossible d’en blâmer l’usage parce que ce soulagement si funeste mettait quelques moments d’intervalle à la longueur de son supplice. Il y eut néanmoins des jours et des temps que Vallot et Guénault, après l’avoir tant de fois condamnée, dirent qu’elle ne mourrait point de son cancer ; mais ils se trompèrent en tout et jamais je ne les ai vus faire des jugements certains de cette maladie. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 4 septembre 1665, note 5.

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(Consulté le 24/04/2024)

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