Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-3, note 9.
Note [9]

Cet article aurait pu venir de Guy Patin, mais les rédacteurs de L’Esprit de Guy Patin y adoucissent une vigoureuse diatribe de Jean Bernier dans ses Essais de médecine…, {a} chapitre iii, Du nom, de la définition et de la fin de la médecine, de la première partie (pages 13‑14) :

« […] le médecin n’aura-t-il pas fait son devoir quand il aura mis en pratique pour le bien du malade ce que lui enseigne l’art ? De là vient que les lois ne s’arment jamais contre lui pourvu qu’il ne paraisse ni malice ni ignorance dans sa conduite. C’est ce qui a fait dire à Lucien que la médecine étant si nécessaire aux hommes et, par conséquent, si digne d’estime, ceux qui la professent doivent jouir d’une pleine et entière liberté, {b} et qu’il n’est pas raisonnable qu’une science qui vient de Dieu et une puissance qui lui est consacrée soi<en>t sujette<s> à la dureté des lois humaines et à la peine des tribunaux. Et néanmoins, s’il en faut croire le caprice de bien des gens, le médecin doit toujours guérir ; et si la mort arrive, ce n’est jamais elle qui a tort, c’est toujours le dernier remède, quand ce ne serait qu’un verre d’eau, ordonné par le médecin.

Fecerit et postquam quidquid jubet ipsa medendi,
Norma, nisi valeat, subitoque revixerit æger,
Murmurat insipiens vulgus, linguaque procaci
Eloquitur de te convitia talia jactans
Hei mihi quam stultum est medicorum credere nugis
. {c}

Car pour le malade et les assistants, qui ont souvent grand<e> part à tout ce qui arrive de funeste, on ne manque jamais à les disculper ; la raison a beau dire, et le poète a beau chanter :

Non est in medico semper relevetur ut æger
Interdum docta plus valet arte malum
. {d}

C’est une chanson pour ces gens-là. La Fortune, qui a bouché les oreilles et crevé les yeux de la plupart, {e} ne leur a délié la langue que pour dire hardiment tout ce qu’ils s’imaginent ; on dirait qu’on est obligé de les laisser conter tout ce qui leur plaît parce qu’ils sont forts en comptant, {f} et que l’argent, qui semble redresser les jugements de l’esprit, les rend toujours très contents d’eux-mêmes, tant il y a de peuple et de pauvres d’esprit parmi les richards : Quanto piu ricchi d’i fuori, tanto piu poveri di dentro. » {g}


  1. Paris, 1689, v. note [53] du Faux Patiniana II‑2.

  2. Lucien de Samosate (v. note [14], lettre 41) a longuement disserté sur l’art et la responsabilité des médecins dans son traité intitulé Le fils déshérité (Αποκηρυττομενος, Abdicatus) qui est la complainte d’un médecin déshérité par son père qu’il n’a pas su guérir de sa maladie.

  3. « Si le malade n’est pas guéri et rechute incontinent, après avoir accompli tout ce qu’ordonne la règle de soigner, alors le peuple insensé murmure, et dit effrontément en t’accablant de tous les blâmes : “ Pauvre de moi, qu’il est donc fou de croire les balivernes des médecins ! ” »

    Ces quatre vers sont tirés d’un poème intitulé Medicina labor inexhaustus [La médecine est un labeur inépuisable], dans la deuxième partie, fo Eiii vo‑Eiiii vo :

    Perisauli Faustini Tradocii de honeso Appetitu. Faustini Terdoceo {i} de Triumpho stultitiæ.

    [De l’honnête Désir de Faustinus Perisaulus, natif de Tredozio. {ii} Du Triomphe de la folie, de Faustinus Terdoceus]. {iii}

    1. Sic pour Terdoctus, « trois fois instruit (avec jeu de mots sur Tradocius) ?

    2. Faustino Perisauli (Tredozio, Émilie-Romagne 1450-Rimini 1523), membre du clergé de Rimini.

    3. Rimini, Hieronymus Soncinus, 1524, in‑8o de 8 feuilles (seconde édition).

  4. « Le médecin n’a pas toujours le pouvoir de guérir le malade ; le mal dépasse parfois les ressources de l’art » (Ovide, Pontiques, livre i, lettre iii, vers 17‑18).

  5. « Fortuna quem nimium fovet stultum facit [La Fortune rend fou celui qu’elle favorise trop] Publ. Mimus » : note marginale de Bernier, pour renvoyer à une des Sentences (ou Mimes) de Publius Syrus (v. note [9], lettre 511), dont le texte exact est Stultum facit Fortuna, quem vult perdere [La Fortune rend fou celui qu’elle veut ruiner].

  6. « parce qu’ils sont très riches ».

  7. « D’autant plus riches extérieurement, que pauvres intérieurement ». Une note marginale de Bernier attribue cette maxime à la Sapienza felic. del P. Bartholi ; La Sapienza Felice anche nelle Miserie [La Sagesse heureuse, même dans la misère] est le premier traité de la première partie du traité :

    Dell’Huomo di lettere difeso, et emendato. Parti due. Del P. Danielo Bartholi della Compagnia di Giesu.

    [De l’Homme de lettres fortifié et corrigé. En deux parties. Par le P. Danielo Bartoli {i} de la Compagnie de Jésus]. {ii}

    Ce que j’y ai lu de plus ressemblant est à la page 38 du premier chapitre, Il Savio Povere [Le Sage pauvre], où Bartoli s’inspire d’Apulée, {iii} mais sans viser particulièrement les médecins (sauf à en faire des philosophes naturalistes) :

    Ma eccovi un eloquente Platonico, cui fosse per rimprovero, o per ischerno, fu opposta con una publica accusa, come o dishonorata, o colpevole la poverta. Se tu (risponde egli all’accusatore) fossi tanto Filosofo quanto ricco, intendereti ch’io povero son’il ricco, e tu ricco sei il povero.

    « On peut appliquer ici ce que dit si bien un disciple de Platon lorsque, dans une accusation formée publiquement contre lui, on lui reprocha sa pauvreté comme un déshonneur, et presque comme un crime. “ Si vous étiez autant philosophe que vous êtes riche, répondit-il a son accusateur, vous comprendriez que c’est moi qui suis riche dans ma pauvreté ; et que vous êtes pauvre avec toutes vos richesses. ” » {iv}

    1. Daniello Bartoli (Ferrare 1608-Rome 1685), prédicateur, littérateur et historien.

    2. Venise, Nicolo Pezzana, 1672, in‑12 de 300 pages (pour l’une des nombreuses éditions, dont la première a paru en 1645).

    3. Apologie, chapitre i : référence indiquée dans la marge.

    4. Traduction française du P. Delivoy, barnabite : « L’Homme de lettres », Paris, Herissant le Fils, 1769, in‑12o, tome i, pages 78‑79.

      On lit aussi, dans l’introduction de la première partie (page 18) de Bartoli :

      Questa e la misera sorte della virtu nel mondo. Per vene d’oro ch’ella chiuda in petto, quanto ricca e di dentro povera e di fuori.

      « Tel est le malheureux sort de la vertu dans le monde : quoiqu’elle porte dans son sein des veines d’or, elle paraît aussi pauvre qu’elle est riche. »


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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
L’Esprit de Guy Patin (1709),
Faux Patiniana II-3, note 9.

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(Consulté le 26/04/2024)

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