L. 183.  >
À Charles Spon,
le 18 juin 1649

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 18 juin 1649

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(Consulté le 12/12/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Depuis ma dernière qui fut le vendredi 11e de juin, jour de Saint-Barnabé, laquelle contenait six pages, je vous dirai que pour m’être couché ce jour-là assez tard, [1] j’étais le lendemain matin encore au lit à sept heures lorsque monsieur votre beau-frère M. Marion [2] prit la peine de m’apporter votre lettre, [2] dont j’eus comme vous pouvez penser, grande joie ; et c’est à icelle que je m’en vais vous répondre. Si j’ai quelque crédit par rencontre à l’affaire de M. Marion, vous pouvez croire que je m’y emploierai de bon cœur. Je viens de mettre sur le mémoire de ce que je vous dois les dix livres de M. Gras ; [3] je vous dois encore de reste environ six ou sept livres que je délivrerai si vous voulez à M. Marion lorsqu’il partira. [3] Pour le port de nos livres de Lyon à Nuremberg, [4] je n’en saurais avoir meilleur marché que vous me faites et je vous en remercie. Dieu vous le rende, qui est le meilleur mot de la gueuserie de ceux qui, pour vivre en une grande communauté, ne laissent pas de s’appeler moines [5] et qui vivent de cette adresse de nous promettre, par leurs prières telles quelles, paradis qu’ils n’ont point pour l’argent que nous avons. [4] Le livre des Jésuites sur l’échafaud, fait par le P. Jarrige, [6] a été ici imprimé par un libraire de la Religion nommé Vendosme, [5][7] et s’y débite merveilleusement, vu que Paris abonde en gens qui haïssent ces pères, à force de les bien connaître, qui ont l’impudence de s’appeler compagnons de Jésus ; [8] combien que le bon Seigneur n’ait jamais appelé personne son compagnon que Judas même, [9] qui le vendit en ces termes, dans saint Matthieu cap. 26:50, εταιρε, εφ′ ω παρει, qui vaut autant à dire que, Compagnon, pourquoi êtes-vous ici ? que faites-vous ici ? [10] vu que ce mot εταιρος signifie vraiment et proprement compagnon, et non pas amicus, comme dit notre Vulgate, [6][11] laquelle de toutes les versions du Nouveau Testament est la pire, au rapport d’un des grands hommes qui fût jamais et duquel le nom seul est capable de faire peur aux carabins qui sont sortis de la braguette du P. Ignace, [12] fussent-ils un régiment tout entier. Voici ses termes : et Latina, qua παπολατραι utuntur, quæ ab ea propagata est, longe deterrima[7][13][14] Même le nom εταιριδιον sive εταιρα, meretricem significat ; [8] comme les loyolites mêmes se servent du mot εταιρια [9] pour exprimer leur Société, sodalitium sive Societatem[10] Je ne sais s’ils entreprendront de répondre au P. Jarrige, mais je pense qu’ils ne le feront pas, non plus qu’ils ne le doivent faire, d’autant qu’ils n’en viendront jamais à leur honneur ; joint qu’il me semble qu’un vieux proverbe de notre pays < le > leur défend lorsqu’il dit que Tant plus on remue l’ordure, tant plus elle pue[11] Et quoi que ce révolté ait écrit, je tiens pour certain qu’il y a bien encore des choses à dire de cette Société, et qu’on ne dira peut-être jamais telles qu’elles sont pour l’infamie dont elles sont accompagnées. Si M. Falconet [15] a reçu ma lettre, comme il doit avoir reçu, il peut vous montrer le jugement que j’ai fait du P. Fichet, [12][16] qui n’est point différent de celui que vous m’en faites : c’est à n’en point mentir un chétif ouvrage, et digne d’être nommé, comme disait par indignation de pareil ouvrage l’incomparable Joseph Scaliger, partus est, sed infelix cento Loyoliticus ; [13] aussi mérite-t-il d’y avoir mal rencontré, aliena enim multa attigit, quæ non intellexit[14] Je vous prie de saluer en mon nom M. Falconet et de lui dire que je soumets à votre censure à tous deux ce que je vous écrivis hier de antiepilepticis et specificis[15][17] et que j’espère quelque jour qu’une occasion se présentera qui me fera aller à Lyon vous embrasser tous deux, et qu’au moins en ce temps-là, nous conviendrons ensemble de cette controverse et de toute autre semblable si le cas y échet. [16][18] Au moins irai-je pour vous y faire hommage de tant d’obligations que je vous ai, mais ce ne sera jamais si tôt que je voudrais bien, vu qu’un de mes plus grands désirs serait de vous entretenir en particulier de plusieurs choses quæ tuto chartæ committi non possunt. Fiat, fiat[17]

Nous avons ici nouvelles que M. d’Épernon [19] est enfin devenu le maître et qu’il est entré dans Bordeaux [20] le plus fort. [18] Je plains bien de pauvres gens qui pâtiront injustement en ce rencontre, joint que ce gouverneur est cruel et inhumain.

Je n’ai point encore ouï parler de ce nouveau décret du pape [21] contre la moinerie et ce nombre effroyable de moines qui sont aujourd’hui en France ; [22] et même, je doute fort si le pape d’aujourd’hui, qui n’est un grain sot, osera entreprendre une affaire de si grande conséquence, vu que s’il n’est bien secondé de la force et de la puissance des potentats, il n’en viendra jamais à bout, ayant affaire à la plus méchante peste de gens qui soient au monde. Il aura beau leur commander, ils n’obéiront point. Ils ont pour cet effet en bouche cet axiome vulgaire, Par in par non habet imperium : [19] un pape les a créés, ou tout au moins les a approuvés et confirmés, et par conséquent, un autre pape ne les peut détruire et anéantir, à ce qu’ils disent. Et néanmoins Pie v [23] abolit tout à fait l’ordre des humiliés, [24] d’autant qu’un d’iceux avait voulu tuer le bon archevêque de Milan, saint Charles Borromée. [20][25] Un autre pape longtemps auparavant avait aboli l’Ordre des jésuates. [21][26] Je ne vois pas aussi par quel motif le pape voudrait entreprendre une telle réformation, vu que tous ces gens-là lui servent avec toute leur bigarrure, [22] et qu’ils aident merveilleusement à soutenir sa puissance par le monde et même sa tyrannie sur les consciences. Ils sont les archers et commissionnaires, si je ne dis les espions et les maquereaux politiques du pape, tandis que les jésuites, hominum genus θεοστυγες, [23] sont ses violents bourreaux et ses janissaires ; et je tiens pour certain que s’il était moins de moines par le monde, que le pape y aurait aussi moins de crédit ; ils font les affaires les uns des autres et s’entendent ensemble en disant Do ut des, Caïphas et Herodes[24][27][28] Je me souviens d’avoir ouï dire à feu M. le président de Novion, [29] père de celui-ci, [25][30][31] qui était un grand personnage et excellent homme, président au mortier, que l’on avait agité l’affaire au Parlement de réduire tous les moines à leur source, et ad 4 fontes sive prima capita[26] afin que, par ce moyen-là, ce grand nombre pût être diminué. Il m’a autrefois dit cela l’an 1628 durant le siège de La Rochelle. [27][32][33] Feu M. Grotius [34] m’a mainte fois dit que pour réformer la France, il y a avait trois choses premièrement à faire : 1. de retrancher l’autorité du pape, laquelle s’accroissait trop en France ; 2. de ne plus donner d’évêchés qu’à des gens capables de prêcher et d’enseigner, et non à des courtisans et des maquereaux, pour récompense de leurs infâmes services, comme on fait aujourd’hui ; 3. d’ôter tout d’un coup tant de moines qui sont ici superflus, et disait ordinairement circumcidendus ingens ille monachorum numerus[28] Il n’est pas jusqu’au bon Rabelais, [35] qui n’ait dit quelque part : Depuis que décrets eurent ales, que gens d’armes portèrent males, que moines furent à cheval, au monde n’y a eu que mal[29] À cause du scandale que les moines avaient apporté à la chrétienté, Patres Tridentini [30] avaient ordonné que dorénavant on ne recevrait plus de nouveaux moines ; mais pour le profit qu’ils y ont trouvé, ils ont fait tout autrement : ils en ont plus reçu depuis ce temps-là qu’ils n’avaient fait en 14 siècles auparavant. Cette peste est aujourd’hui puissante dans le monde et < ils > sont capables de faire un schisme contre le pape s’il les entreprenait sans être appuyé ou secondé de l’autorité des princes souverains, qui tous ensemble ne sont pas meilleurs que les moines. Mais laissons là cette peste de < la > religion pour passer à celle de la médecine, j’entends les apothicaires. [36] Vous avez fait un accord avec eux ; ils ne méritent pas cette grâce et sont tout à fait indignes de cette faveur d’entrer en composition avec leurs maîtres, et desquels ils devraient dépendre absolument. Si vous voulez empêcher qu’ils n’entreprennent et n’empiètent à la fin sur vous, il faut que les fassiez souvenir du Médecin charitable[37] avec lequel, lorsqu’il ne valait qu’un sol ou deux, nous avons ruiné les apothicaires de Paris. Faites-leur voir et entendre qu’il y a chez les épiciers [38] de la casse, [39] du séné, [40] de la rhubarbe, [41] et du sirop de roses pâles, [42] avec lesquels remèdes nous nous passons d’eux et les avons rendus dans les familles de Paris si ridicules ou si odieux qu’on ne veut point les voir dans les maisons et qu’ils ont bien plus de loisir qu’ils ne voudraient de garder leurs boutiques. Il n’est, Dieu merci, plus ici question de bézoard [43] ni d’eaux cordiales [44] en la petite vérole, [45] ni de juleps cordiaux, [46] ni de perles [47] en quelque maladie que ce soit. [31] Le peuple est détrompé de ces bagatelles et de plusieurs autres. Les riches ne s’en servent plus et se tiennent obligés à plusieurs anciens de notre Faculté d’être délivrés de cette tyrannie. Ces Messieurs nos anciens sont MM. Marescot, [48] Simon Piètre, [49] son gendre, Jean Duret, [50] fils de Louis, [51] les deux Cousinot, [32][52][53] Nicolas Piètre, [54] Jean Haultin, [55] MM. Bouvard, [56] Du Chemin, [57] Goulu, [33][58] Brayer, [59] Tournier, [34][60] La Vigne, [61] Merlet, [62] Michel Seguin [63][64] (fils du bonhomme [65] qui mourut l’an passé), lequel mourut encore bien jeune, doyen de la Faculté, l’an 1623, [35] MM. Barralis, [66] Allain, [67] Moreau, [68] Boujonnier [69] (qui a été le grand écolier de feu M. < Nicolas > Piètre et qui fait encore aujourd’hui merveille de bien contre cette pestilente secte), Charpentier, [70] Launay, [36][71] Guillemeau [72] et plusieurs autres, qui ont introduit dans les maisons et familles de Paris une médecine facile et familière, laquelle les délivre de la tyrannie de ces cuisiniers arabesques. [73] Ceux qui se plaignaient de la trop grande dépense et des frais excessifs que causaient les apothicaires ont été les premiers détrompés ; et vous noterez qu’avant ce temps-là, on ne voyait que des parties d’apothicaires en procès dans le Châtelet [74] et au Parlement, afin d’être réglées par les médecins qui seraient pour cet effet nommés et établis par les juges ; mais tout est bien changé aujourd’hui, cela ne se voit plus. Nos médecins aussi introduisent cette facilité de remèdes et cette épargne dans les monastères utriusque sexus[37] dans leurs familles, chez leurs voisins et amis, et enfin toute la ville s’en est sentie, præter nonnullos paucissimos[38] lesquels petit à petit se convertissent. Les apothicaires ne se trouvent aujourd’hui guère en besogne que pour les forains logés en chambre garnie ; hors quelle rencontre, je vous puis dire avec toute vérité qu’ils ne devraient point faire d’apprentis, leur métier étant si sec que personne n’a plus envie de s’en mêler aujourd’hui. Outre nos médecins que je vous ai nommés ci-dessus, qui ont puissamment aidé à abattre ce monstrueux colosse de volerie qui régnait tyranniquement à Paris, je pourrais bien vous en nommer encore plusieurs qui vivent aujourd’hui et qui y ont bien aidé ; mais je me retiens afin de ne me pas nommer moi-même, qui pourtant y ai travaillé autant que pas un. C’est pourquoi je me tais afin de ressembler à cette prophétesse ou Sibylle [75] devineresse de laquelle parle Ovide [76] quelque part en ses Fastes.

His dictis, postquam nostros pervenit ad annos,
Substitit in medio præscia lingua sono
[39]

Le peuple de Paris est tellement accoutumé à cette épargne que ce ne sont plus les apothicaires que les malades mettent en besogne. On envoie aussitôt au médecin. Et combien qu’à cause de la misère du temps et de la calamité publique, il y ait plusieurs malades qui ne paient guère bien, ou peu libéralement, au moins avons-nous cet avantage que nous y sommes appelés des premiers et que nous ne voyons plus chez eux faire litière, [40] comme on faisait autrefois, de juleps apozèmes, [77] poudres, opiates [78] et tablettes cordiales, [41][79] qui ne servaient la plupart qu’à faire durer les maladies, à échauffer, dégoûter et coûter beaucoup aux malades. Chez la plupart des présidents, maîtres des requêtes, conseillers, avocats, riches marchands, procureurs, gens de boutique, artisans gagnant leur vie, les apothicaires n’y entrent point. Chez les pauvres, ils n’y veulent point aller, d’autant qu’il n’y a rien à gagner. Ainsi, ils ne vont guère nulle part, Dieu merci et notre Faculté. Ce n’est pas qu’ils n’aient fort bon appétit et qu’ils ne voulussent bien mordre, mais c’est qu’ils n’ont pas de quoi. Aussi paraissent-ils fort humbles et voudraient bien être reçus en grâce, de laquelle ils sont fort déchus, et ne sont pas en état d’être rétablis, tant pour être trop bien connus pour ce qu’ils valent que pour la misère publique qui règne, et laquelle régnera tant que le Conseil du roi se gouvernera comme il fait, dont le dessein semble être pareil à celui de cet ancien tyran [80] qui disait en secret à son favori, hoc unum agamus, demusque operam ne quis quid habeat ; [42][81] vu que la reine ne saurait guère cacher son intention de vouloir tout perdre, tout affamer et tout ruiner.

Outre Polydore Virgile, [43][82] qui a parlé de la diversité des moineries, il me semble que nous avons un in‑fo, fait par un savant homme nommé Rodolphus Hospinianus, [83] qui est tout entier de Monachis ; c’est le même qui a fait de Templis, de Festis, et Historia Iesuitica, le tout in‑fo à Zurich ; etc. [44][84]

Pour les manuscrits de M. Hofmann, [85] dont je ne vous ai dit qu’un mot par ma dernière parce qu’il était tard et qu’il était grand temps de cacheter ma lettre, [45] je vous dirai plus amplement que Jansson [86] d’Amsterdam [87] les a rendus à un garçon libraire hollandais qui est quelquefois ici chez M. Châtelain ; [46][88] et ce en vertu de quelque lettre et par ordre qu’il avait, ce me semble, reçu à Francfort d’un M. Schefferus, [89] médecin du dit lieu ; [47][90] de quoi néanmoins, feu M. Hofmann ne s’est jamais bien clairement expliqué de son vivant avec moi. Cet Hollandais étant donc de retour de Francfort à Amsterdam, les reçut, puis les empaqueta et les mit dans des balles qu’il envoya ici à son correspondant M. Châtelain qui, après les avoir longtemps attendues, enfin les reçut et me l’avoua ; mais il me dit en même temps qu’il ne les pouvait délivrer que son Hollandais ne fût ici arrivé. À cause de quoi, comme je lui en témoignais fort souvent mon impatience, lui m’alléguant tantôt pour excuse que son Hollandais était tombé malade, tantôt que sa tante, de laquelle il était héritier, se mourait, tantôt qu’il plaidait pour la succession de cette tante, une autre fois, ut sunt isti mercatores mendaciorum artifices et consarcinatores putridissimi[48] que la paix de Hollande s’allait faire et qu’il en désirait voir avant son retour les cérémonies et solennités, enfin je m’avisai d’un autre expédient : je lui proposai de me prêter et de me mettre le tout entre les mains sur mon récépissé que je lui donnerais ; ce qu’il n’osa me refuser, tant par l’appréhension qu’il eut ou de me désobliger, ou qu’en prenant la voie de force, je ne le fisse condamner à me les rendre ; je les fis donc apporter céans, et aussitôt en donnai avis à M. Hofmann et le priai de me mander par un écrit de sa main qu’il entendait que lesdits livres fussent mis entre mes mains pour en disposer de l’édition à ma volonté. Quand M. Hofmann reçut ma lettre, il était si mal qu’il ne put écrire ce consentement que j’avais demandé, mais il le fit écrire de la main de M. Volckamer [91] et le fit signer proprio sigillo ; [49] ce qui me fut envoyé et puis tôt après, il mourut. Là-dessus, cet Hollandais nommé Biestkens [92] est arrivé, [50] lequel m’a fort humblement caressé, et je tiens cela à grand honneur, d’autant qu’il est fort glorieux et ne m’en ferait pas tant s’il voulait ; m’a vendu quelques livres bien chèrement, et encore eût-il fait pis si je l’eusse voulu croire. Altum interea silentium de ms. ex utraque parte[51] c’est-à-dire de lui et de moi. Enfin, il y a environ 15 jours qu’il me pria que je ne fisse pas imprimer ces manuscrits de M. Hofmann sans en parler à M. Châtelain. Je lui dis qu’ainsi serait fait et qu’il en serait toujours le premier refusant. [52] Là-dessus, bons amis, et à Dieu. Depuis quatre jours M. Châtelain m’est venu voir céans de bon matin et faisant semblant de s’étonner de ce que j’avais beaucoup de livres céans, il me demanda si j’avais un Tostat [93] entier et la Bibliothèque des Pères[53] Je lui répondis que non, que ces livres n’étaient pas à mon usage, que même je n’y croyais point, [94] outre que je n’avais point de place à les mettre. Il me dit que si je voulais, je pourrais lui faire un grand plaisir qui serait de lui prêter 400 livres sur ces deux auteurs qui sont en plusieurs volumes, et qu’il en avait fort besoin (dont je ne doute nullement et en suis bien averti il y a déjà quelque temps). Ma réponse fut sur-le-champ que je n’avais point d’argent à prêter, que nous étions en un mauvais temps et de plus, que je ne prêtais point sur gages à mes amis ; que j’avais grand regret de ne lui pouvoir faire ce plaisir. Sic me servavit Apollo : [54][95][96][97] il ne me dit rien des manuscrits de M. Hofmann et s’en alla, et fit bien ; aussi ne < les > lui eussé-je point rendus et ferai tout ce que je pourrai afin qu’ils me demeurent jusqu’à ce que lui ou quelque autre les veuille imprimer ; sed ad hoc mitiora et præsentibus pacatiora tempora requiruntur[55] Pour la bonté des manuscrits, si vous m’en demandez mon avis, je vous dirai que je ne les ai pas encore bien regardés. Il me semble qu’ils approchent du style de son livre de Usu lienis et de ses opuscules qu’il a intitulés Exercitationes iuveniles ; [56] et néanmoins, à tout prendre, ils ne m’ont pas contenté, pensant que ce fût autre chose que ce n’est pas. Néanmoins, au premier loisir, j’y verrai et quand j’y aurai regardé de plus près, je vous en manderai ce qui m’en aura semblé.

Mais voilà une autre lettre qui me vient de votre part, datée du 11e de juin, avec celle de M. Garnier, [98] et je m’en vais vous y faire réponse. Touchant votre tireur de pierre [99] nommé M. Couillard, [100] je pense qu’il a fait imprimer quelque chose en français et me semble l’avoir vu. [57] Il a taillé, ce dites-vous, un homme de 28 ans au grand appareil ; aussi ne peut-on pas tailler [101] un de cet âge au petit appareil, cui soli sunt idonei pueruli 3 aut 4 annorum ; [58] et encore, ce petit appareil s’en va-t-il in desuetudinem et non usum[59] pour le peu d’assurance qu’il y a. Aussi nos tailleurs n’aiment-ils point à travailler à ce petit appareil et pratiquent le grand, etiam in puerilis[60] Cette pierre molle, friable et sablonneuse était récente, mais si elle n’eût été tirée, elle se fût bientôt accrue et durcie. Voilà pourquoi feliciter actum est cum illo Helvetio[61][102] de ce qu’il a été taillé plus tôt que plus tard. Quand on tailla notre M. Riolan [103][104] l’an 1641, la pierre se rompit en deux ou plusieurs parts ; on en tira tout ce qu’on put, mais on ne put pas si bien faire qu’il n’en restât quelque fragment, lequel s’accrut per appositionem materiæ[62] et si notablement qu’il fallut l’an suivant le tailler derechef. Pour la section franconienne, je pense qu’elle se peut faire aussi bien sur les hommes que sur les femmes, mais plus utilement pour elles. Feu M. Nic. Piètre l’avait bien à la tête et en a fait une thèse [105] qui est infailliblement celle dont vous me parlez. [63] Je me souviens d’y avoir autrefois disputé pour feu M. Richer [106] que je traitais alors malade, [64] et qui depuis est mort d’une autre maladie, savoir ex abscessu purulento et fluore mesenterico attenuatus et plane confectus[65] l’an 1644. M. Piètre défendit fort bien cette thèse, comme il était en tout incomparable, et particulièrement contre deux de nos docteurs quibus tantus vir erat odiosus[66] savoir Merlet et Gervais. [107] Ce premier est un méchant et dangereux Normand, fin et rusé, fort employé, que M. Piètre appelait quelquefois par juste indignation ignarus nebulo et illiteratus, vir nequam[67] Le second est un grand badaud, valet d’apothicaire et ivrogne, rousseau de vache [108] et fait comme le Juif errant, [68][109] qui se rendit encore plus ridicule qu’il n’est en attaquant fort mal à propos M. Piètre ; lequel a fait faire cette section en cette ville sur hommes et sur femmes, et laquelle a réussi. Ce qui la décrie n’est que la nouveauté, hors de laquelle elle pourrait aussi bien réussir que l’autre. On n’a rien dit ici de nouveau d’Angleterre [110] depuis longtemps, c’est pourquoi je tiens fausse la nouvelle du massacre de l’ambassadeur de Hollande à Londres. [69] On parle toujours ici du mariage de M. de Mercœur [111] avec la nièce du Mazarin, [112][113] mais il n’est pas encore conclu. Ce n’est pas que M. de Vendôme [114] y cherche du bien (il est d’ailleurs très riche), mais seulement de la faveur et du repos, et la nièce du Mazarin ne lui peut pas apporter grand’chose en mariage. De celui de M. de Beaufort [115] avec la Barberine, fille du prince préfet, [116] on n’en parle plus. [70] Je n’ai point ouï parler de la traduction [117] d’Hippocrate. Si j’avais du crédit je l’empêcherais, c’est de la marchandise à faire babiller les barbiers, [118] apothicaires [119] et autres singes du métier. [71] On a ici traduit depuis peu et mis en vente in‑fo un Virgile [120] avec quelques notes et commentaires, et des tailles-douces, par M. l’abbé de Marolles [121] qui par ci-devant avait traduit Lucain ; [72][122][123] mais ce Virgile ne se vend point, et le libraire en est bien étonné et a grand regret d’y avoir mis ses deniers. Berthelin, [124] imprimeur de Rouen, fait rouler sur ses presses une nouvelle édition de Sennertus[125] dont je suis bien fâché à cause de M. Ravaud, [126] auquel vous ferez tenir, s’il vous plaît, la présente. [73] Je vous baise les mains et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur,

Patin.

De Paris, ce vendredi 18e de juin 1649.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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