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Leçons de Guy Patin au Collège de France (1) : sur le Laudanum et l’opium |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
Autres écrits. Leçons de Guy Patin au Collège de France (1) : sur le Laudanum et l’opium
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[Ms BIU Santé no 2007, fo 385 ro | LAT | IMG] Unique chapitre sur le laudanum et l’opium. [1][2][3]
Le laudanum des chimistes [4] n’est rien d’autre que de l’opium modifié par diverses préparations ; [1] ces fripons, pour ne pas dire ces pestes de la médecine très sacrée, les vantent comme étant diverses, bien qu’aucune ne se soit encore imposée comme étant meilleure que les autres. Toutes sont en effet dangereuses et pernicieuses : non seulement en raison de l’opium, qui en forme la base ; mais aussi à cause des autres médicaments très chauds qui s’ajoutent à la confection du laudanum, tels que sont le safran, [5] le castoréum, [2][6] et d’autres substances qui ne manquent pas de qualités malignes ou de vénénosité suspecte. [Ms BIU Santé no 2007, fo 385 vo et 386 ro | LAT | IMG] Le laudanum est donc moins un médicament qu’un poison pourvu de faculté narcotique ; c’est pourquoi il ne faut jamais l’utiliser, ou ne l’employer que très rarement, et alors non sans très mûre réflexion ni préparation convenable du corps. Les plus sages médecins et les dogmatiques expérimentés n’approuvent pas ce laudanum, auquel ils substituent l’opium pur, prescrit avec parcimonie, c’est-à-dire en tout petit nombre de grains, fort rarement, et toujours avec prudence et seulement en cas d’absolue nécessité. Rarement, dis-je, car, qu’on en use ou qu’on en abuse, le danger menace toujours. L’opium proprement dit est le suc ou la larme qui sourd des têtes de pavot incisées en croix à l’aide d’un petit couteau. On le fait venir des régions les plus chaudes des Indes, par le golfe d’Arabie, à Alexandrie ou à Memphis, célèbres villes d’Égypte ; ou par le golfe Persique, en Assyrie et en Grèce ; ou encore, les Portugais, les Hollandais ou les Vénitiens le transportent [fo 386 ro] en Europe par le cap de Bonne-Espérance et l’océan Atlantique. Sachez bien aussi que l’opium qu’a loué Dioscoride, [7] auteur très expérimenté en pharmacopée, ne se trouve aujourd’hui nulle part ; celui-là était tout à fait différent de celui que nous employons à présent ; vous devez donc être fort prudents, et même extrêmement prudents quand vous le prescrivez. Ce que nous imposent les parfumeurs et les marchands de produits exotiques n’est pas du véritable opium, mais seulement du méconium, [8] qui n’est rien d’autre qu’un suc extrait par pression de la plante de pavot tout entière, c’est-à-dire de la tête, de la tige, des feuilles et de la racine. Ce méconium est beaucoup moins actif que l’opium véritable et proprement dit. L’authentique opium, que Dioscoride a décrit, est blanc ; parce qu’il n’a pas cette blancheur, celui qu’on vend à présent ne peut être tenu pour de l’opium. Au temps de Dioscoride, on frelatait déjà l’opium ; les marques de cette adultération se retrouvent dans l’opium actuel ; vous verrez là-dessus Dioscoride, livre iv, chapitre lxvi, [3] et Pline, livre xx, chapitre lxxviii, [4][9] ainsi que les Emblemata de Janus Cornarius, [5][10] et les commentaires de Janus Antonius Saracenus [11] sur Dioscoride. [6][12] [Ms BIU Santé no 2007, fo 386 vo et 387 ro | LAT | IMG] Il y a grande controverse sur le tempérament de l’opium : certains, en effet, à cause de sa vertu narcotique, le définissent comme substance froide de la quatrième classe ; d’autres le rangent dans la troisième, à cause de sa chaleur très amère. [8] Pour ma part, je pense que les deux sont vrais, puisqu’il est composé de différentes parties, contraires et hétérogènes, comme certains autres médicaments, ainsi qu’en atteste Galien dans le livre iv de simplicium medicamentorum Facultatibus, à l’endroit où il parle du vinaigre. [8][13][14][15] Tels sont l’hydrargyre, [16] le vitriol, [17] le camphre, [18] le sang, le lait, le vin, l’absinthe, [19] le vinaigre, l’aloès, [20] la rhubarbe, [21] le chou, [22] la rose, [23] la chicorée domestique ou sauvage, [24] et d’autres substances qui se caractérisent par l’hétérogénéité de leurs parties. Celle qui nous fournira un grand et remarquable exemple est l’hydrargyre ou vif-argent, que les chimistes appellent mercure : c’est un véritable prodige de la Nature parce qu’il n’obéit à aucune de ses lois ; d’où il s’est fait que Fracastor, médecin de Vérone et philosophe très éminent, [25] avoue ignorer ses qualités et sa nature ; [9][26] et jusqu’à ce jour, on a vivement disputé sur son tempérament. Au vu de ses effets, les uns affirment qu’il est froid ; mais Avicenne, [27] le premier des Arabes, [28] assure qu’il est froid et humide ; Julien Le Paulmier, médecin de Paris, [29] [fo 387 ro] et bien d’autres l’ont suivi en cela ; [10] d’autres encore lui attribuent une qualité corrosive et le présentent comme chaud ; mais pour ma part, je déclare, avec Trajano Petronio, [11][30] que l’hydrargyre est de qualité mêlée car il possède certaines propriétés plutôt déliées et échauffantes, et d’autres qui sont plutôt épaisses et rafraîchissantes. Il possède en outre beaucoup d’autres mérites : il se répand, il amoindrit, il pénètre, il liquéfie, il dégage, il purge le ventre. En outre, et ceci est remarquable, il est doué du pouvoir d’attirer les humeurs de la périphérie vers le centre, c’est-à-dire qu’il les conduit vers l’estomac et les en fait sortir par la défécation, mais aussi du pouvoir de pousser les humeurs depuis le centre vers l’extérieur, en les faisant sortir par la salivation. C’est à cause de ces deux effets qu’on l’emploie dans le mal italien. [12] De fait, il est fréquent que, quand on le donne pour induire la salivation, au lieu de cela, il survienne un flux de ventre ; et parfois, inversement, donné pour un flux de ventre, il déclenche la salivation. Voyez là-dessus Jean de Renou, très savant médecin de Paris, au livre ii de sa Materia medica, première section, chapitre 15. [13][31] L’opium est donc chaud, dans la mesure où il est amer, d’odeur capiteuse, inflammable, et où il [Ms BIU Santé no 2007, fo 387 vo et 388 ro | LAT | IMG] enflamme la gorge, induit la soif, provoque un prurit et des sueurs ; mais on peut juger qu’il est froid, dans la mesure où il tue sur-le-champ en refroidissant et en frappant de stupeur, seu inducendo ferreum somnum. [14][32] Sur ce tempérament de l’opium, consultez certains érudits récents qui ont écrit avec autorité à son sujet : le savant Döringius, [33] Freitag, [34] Winckler, [35] et notre ami Caspar Hofmann au livre ii de Medicamentis officinalibus, chapitre clxix. [15][36] Il est plus ardu encore de savoir s’il convient ou non d’approuver l’emploi de l’opium, car, quoi qu’en pensent certains, en raison de sa froideur, il est doté d’un pouvoir soporifique si puissant et si violent que, s’il est pris à une dose un peu plus élevée qu’il n’est raisonnable, il induit une torpeur mortelle, qui a été fatale à bien des gens. C’est ainsi que mourut en Espagne le père du préteur Licinius Cæcina, quand une maladie qu’il ne pouvait supporter lui avait rendu la vie odieuse. Plusieurs autres se sont donné la mort de la même façon, dit Pline dans le très remarquable livre xx de son Historia naturalis, chapitre 78. [16] Pour cette raison, une grande dispute s’est élevée, certains pensant que [fo 388 ro] l’opium est à rayer entièrement du nombre des médicaments, et à ranger parmi les poisons et les destructeurs. [17] Au dire de Galien, Diagoras [37] et Érasistrate [38] l’ont en tout cas entièrement condamné comme étant mortifère, et donc à ne pas même utiliser. [18] Galien est à ce point circonspect et timide en son emploi que, au livre ii de Compositione medicamentorum κατα τοπους, chapitre i, paragraphe intitulé de capitis dolore ex plaga, vers la fin, il a écrit : Au livre iii du même traité, chapitre i, au paragraphe intitulé de auricularibus compositionibus, il dit : Au livre viii du même traité, chapitre iii, un peu après le milieu, il engage à mêler des échauffants à l’opium pour l’atténuer : Voilà pourquoi les médecins ont coutume de le mélanger au poivre, [41] au castoréum et au safran. Au livre iii de son traité κατα τοπους, dans le paragraphe sur les douleurs des oreilles par inflammation, [42][43] Galien mélange l’opium à du lait de femme [44] et à du castoréum. [22] Autant que possible, l’administration par voie interne est à proscrire formellement, étant donné que, selon lui, même par voie externe, par exemple en collyres, [45] l’emploi de l’opium est pernicieux et doit être absolument condamné : voyez le livre iii, chapitre ii, et le livre xiii, dernier chapitre, de sa Methodus medendi. [23][46] Quand la nécessité pousse le médecin à utiliser ces remèdes, [24] il se trouve donc contraint, immédiatement après, de passer à ceux qui ont le pouvoir de corriger l’effet néfaste de l’opium. On voit bien que Galien, à toute force et chaque fois qu’il a pu, a toujours cherché à éviter de l’employer, comme il l’a proclamé au livre iii du traité de Compositione medicamentorum κατα τοπους : c’est un médicament pernicieux et extrêmement dangereux s’il n’est [fo 389 ro] prescrit en temps et lieu opportuns, et avec très grande prudence. [25] L’opium a pourtant parfois son utilité en cas d’urgente nécessité, s’il est sagement prescrit par un médecin aguerri aux opérations de l’art ; ce qui doit toujours, mais rarement, se faire pour remédier aux états de veille prolongée, en induisant le sommeil, pour soulager l’atrocité des douleurs, en trompant les sens et les engourdissant, afin que leur torture ne dissipe la chaleur innée et ne dissolve les esprits et les forces. Je le dis donc, et même je le redis en insistant, encore et encore, et de toutes mes forces : je vous recommande et ordonne de ne jamais utiliser l’opium, si faire se peut, à moins d’une nécessité absolue et pressante, quand sévit une douleur absolument insupportable ou pour une de ces insomnies qui dépassent la mesure ; ne vous en servez jamais, ou alors exceptionnellement. Je tiens pour les plus sages ceux qui n’en prescrivent jamais, car ce sont eux qui remédient avec le plus de bonheur. Par sa nature propre, l’opium est en effet un médicament extrêmement traître et toujours suspect, car c’est un poison. Quant à ce que peut être le remède que les boutiquiers appellent aujourd’hui de l’opium, quand ni eux-mêmes ni les médecins [Ms BIU Santé no 2007, fo 389 vo et 390 ro | LAT | IMG] ne savent s’il s’agit de l’opium véritable et proprement dit des anciens médecins, tels Dioscoride et Galien, ou s’il s’agit seulement du méconium de Dioscoride, comme se plaît à le croire Matthiole, [47] à l’instar de tous les savants modernes qui entendent parfaitement la matière médicale. [26] Que jamais les spécieuses promesses des chimistes ne vous poussent à l’utiliser : ils ont coutume de conter des balivernes, de mentir et, par diverses impostures et quantité d’homicides, de mener jusqu’au bout leurs expériences, avec leur laudanum destructeur, qui est un poison mortel. Des centaines de préparations diverses ont profondément malmené l’opium, mais il n’en demeure pas moins un poison. Ayez donc du jugement et abstenez-vous d’utiliser l’opium ; et ainsi prévenus, employez les remèdes, meilleurs et plus sûrs, que les plus grands maîtres ont approuvés et choisis ; ceux-là ne suppriment ni n’émoussent le sens de la partie souffrante, comme fait l’opium, et ce toujours avec danger manifeste de provoquer la mort. Ayez plutôt recours aux remèdes généraux qui détournent la cause de la maladie, comme sont, avec un régime alimentaire choisi : [48] les phlébotomies répétées autant de fois que la gravité de la maladie l’imposera et que les forces du malade les supporteront ; [49] [fo 390 ro] la purgation modérée et proportionnée à la vigueur du mal ; [50] les lavements rafraîchissants et parfois laxatifs ; [51] le bain et le demi-bain ; [52] sans oublier les topiques idoines et choisis pour briser ou adoucir l’âpreté de la douleur. [53] Et tout cela, afin que n’arrive pas aux malades commis à vos soins la même infortune que celle dont Schenck atteste par de nombreux exemples dans ses Observationes, [27][54] de tant de misérables que l’emploi de ces narcotiques et opiacés, que ce soit en collyres, clystères, suppositoires [55] ou pilules, a fait passer de vie à trépas. D’autres exemples, qu’on ne regrettera pas d’avoir lus, se trouvent dans Marcello Donati, au livre iv de Medica Historia mirabili, page 404. [28][56] En laissant pourtant de côté et sans même avoir consulté ces auteurs qui, avec beaucoup de soins et un zèle indéfectible, ont rassemblé les exemples divers de tant de malades que l’opium a suffoqués par sa faculté narcotique et sa malignité vénéneuse, vous reconnaîtrez manifestement et immédiatement sa puissance destructrice si vous portez attention à tant d’homicides que le laudanum opiacé des chimistes accomplit, presque tous les jours, ou du moins fréquemment, avec l’excessive indulgence de la dive Thémis ; [57] ce ne sont que d’ignorants et incultes vauriens, charbonniers et vendeurs de fumée, issus du troupeau du fanatique Paracelse. [58] [Ms BIU Santé no 2007, fo 390 vo et 391 ro | LAT | IMG] Tous ces charlatans [59] proclament que sa préparation recèle quelque modalité particulière et secrète, dont ils se vantent impudemment ; mais en vain, puisque simia sit semper simia, quamvis aurea gestet insignia, [29][60][61] et qu’un poison est toujours un poison, de quelque manière qu’on le présente ; et celui-là est morbifique et létal, étant donné qu’aucune préparation n’a jamais pu lui ôter sa malignité. Cette profonde vérité est attestée par l’usage quotidien, même légitime, de ce médicament, comme par son abus, qui est bien trop commun. Avant d’achever cette étude sur l’opium, deux difficultés me restent à résoudre : la première concerne la composition de l’amfiam des Turcs ; [62] la seconde, la ciguë de Socrate. [63] Il semble en effet que ces deux substances aient un rapport avec l’opium. De ce médicament qu’on appelle amfiam chez les Turcs et les Indiens, dont a parlé Jules Scaliger dans sa 175e Exercitatio, [30][64] je dirai librement et brièvement ce que je pense. On dit que ces Barbares emploient cet amfiam pour se disposer à l’amour charnel et pour [fo 391 ro] se donner du courage à la guerre. Je ne nie pas que cela soit vrai, ne videar cornicum oculos configere, [31] et vouloir dénigrer à la légère tant de relations, sous prétexte que, par leur nature même, elles me sont suspectes. Je nie pourtant qu’il s’agisse d’opium, ce que certains auteurs semblent néanmoins trouver juste, tel le très savant Andrea Cesalpino, au livre quinzième, chapitre ix, de Plantis. [32][65] Le fait est bien que l’opium dont nous disposons aujourd’hui se montre extrêmement nuisible, car deux ou trois de ses grains tuent même l’homme le plus vigoureux et le plus robuste. En éteignant et en étouffant le principe premier et le plus éminent de la vie humaine, à savoir la chaleur native, il s’en faut de beaucoup qu’il puisse en quelque façon stimuler le désir vénérien et pousser à combattre. Je préfère donc croire que ce médicament est entièrement distinct de notre opium ; et il ne me semble pas qu’il faille écouter ceux qui considèrent cet amfiam comme étant le suc ou la larme du pavot blanc, puisque les deux pavots sont, par leur propre nature, malins et destructeurs. Je ne puis donc admettre ni approuver les sornettes que Scaliger débite sur le sujet dans le [Ms BIU Santé no 2007, fo 391 vo et 392 ro | LAT | IMG] passage que j’en ai cité contre Cardan, [30][66] où il a fait trop confiance aux récits exotiques de certains marchands, que seuls disent croire ceux qui se plaisent à être trompés. Quelques-uns appellent cet amfiam le maslach des Turcs, [67] qui ne peut donc être du véritable opium et encore bien moins être semblable au nôtre. Quoi que de savants hommes ressassent ou plutôt conjecturent contre ce point de vue, ils ne peuvent porter de jugement que douteux et incertain sur les matières exotiques douteuses et incertaines, comme il est manifeste, selon Sennert, dans la 2e partie du livre i de sa Medecina practica, vers la fin du chapitre vi. [33][68][69][70][71] Quant à la ciguë de Socrate [72] (j’entends le fameux poison dont les méfaits ont tué cet excellent et très sage philosophe de Grèce, qui fut le précepteur de Platon), [73] je suis d’avis que ce poison d’État était préparé et gardé par édit des préteurs pour tuer les criminels (comme on le voit dans Plutarque à la fin de Phocion, [34][74][75] dans les Historiæ variæ d’Élien, quand il parle de Théramène, [35][76][77] et dans Platon, en divers endroits, en particulier dans Phédon, quand il parle de la mort de Socrate), [36][78] et qu’il n’a jamais été le pur et simple suc de la ciguë, étant donné [fo 392 ro] qu’il ne peut à lui seul tuer les hommes et leur faire subir cette sorte d’agonie. Il s’agissait plutôt de quelque poison composé de jus de ciguë et de suc de pavot, et voilà ce que les Grecs appellent opium. [37][79] Cette drogue était en effet narcotique, au point qu’elle a malheureusement étouffé les trois hommes susdits. Elle ressemble et elle est peut-être exactement identique à ce poison, préparé à partir des deux mêmes sucs, dont Théophraste le Grec, [80] petit-fils d’Aristote, [81] a fait mention au livre ix, chapitre xvii, de son Historia plantarum. [38] Je conclus en disant que l’opium est un médicament vénéneux, pernicieux et destructeur, que les médecins ne doivent jamais prescrire, sauf à agir avec la plus grande prudence, et ce en cas de nécessité extrêmement pressante : quand une douleur absolument atroce ou une insomnie rebelle et insupportable mettent la vie du malade en péril imminent ; mais il n’échappe ainsi parfois à son mal que s’il tombe entre les mains d’un médecin habile, expérimenté et pourvu de cette sagesse hippocratique dont un philosophe chrétien a toujours besoin. Sur l’emploi et l’abus de l’opium, lisez le très brillant passage de Galien au livre xii, chapitre i, de la Methodus medendi, [39] et Johann Bauhin [82] [Ms BIU Santé no 2007, fo 392 vo et 393 ro | LAT | IMG] dans son Historia plantarum universalis, rééditée à Yverdon en 1651, tome iii, 2e partie, livre xxx, chapitre ii, pages 1392 à 1395 ; où se trouvent quantité d’excellentes choses qui ont été laborieusement, patiemment et soigneusement recueillies des auteurs les plus estimés. [40] Il me reste une seule chose dont je veux bien vous prévenir, c’est de vous garder sérieusement, quand vous exercez la médecine, non seulement de l’opium et de ce laudanum des chimistes, qui est aussi excessivement vanté qu’il est pernicieux, mais aussi de tout médicament narcotique composé, ayant de l’opium pour base ou pour partie, comme la thériaque moderne, [83] le mithridate, [84] le grand philonium dit romain, [41][85][86] et quelques autres compositions qui sont en partie constituées de thériaque et de mithridate, comme l’opiat de Salomon, [87] l’électuaire d’œuf [88] et d’autres qu’on lit dans l’Antidotarium de Jean de Renou, médecin de Paris, 2e section du livre iii. [42][89] Le grand ouvrage pharmaceutique de cet homme serait de loin le meilleur de tous s’il s’y était dispensé de certaines compositions inutiles et superflues. Tels sont le philonium persique de Mésué, [90][91] [fo 393 ro] le philonium romain de Nicolas, [43][92][93][94] et le Requies de Nicolas, qui est dans la Pharmacopœia Londinensis, [44][95][96] laquelle n’est pourtant pas dénuée de mérite, pour certains remèdes qu’elle a choisis ; même si on y trouve trois autres médicaments opiacés, ainsi que les pilules de Mésué, tirées du styrax, [45][97] que je range dans la même classe des remèdes à ne jamais employer en raison de l’opium qu’ils contiennent, presque comme en cachette. À leur place, en cas de pressante nécessité, j’aimerais mieux employer un ou deux grains d’opium que recourir à des compositions si incertaines et suspectes. Je suis aussi catégorique au sujet de certaines formules dont on trouve de nombreux exemples dans la Pharmacopœia Augustana, [98] comme le philonium de Mésué, le philonium persique de Mésué, le grand philonium, dit romain, de Nicolas Myrepse, le philonium de Tarse [99] décrit au livre viii de Galien de Compositione medicamentorum κατα τοπους, [46][100] et le Requies de Nicolas. Tout cela se trouve dans cette Pharmacopœia Augustana, pages 261 et 262 de l’édition de 1652 avec les observations [Ms BIU Santé no 2007, fo 393 vo | LAT | IMG] de Johann Zwelfer, très savant docteur en médecine, natif du Palatinat, et très expert dans la préparation et le choix en cette matière pharmaceutique des remèdes. [47][101] Je voudrais aussi qu’on porte le même jugement à l’égard d’un certain Electuarium mitigativum in doloribus quibuscumque et febribus ardentibus : je ne l’approuve aucunement ; il me semble devoir être rejeté, entièrement et en toutes circonstances, car il contient de l’opium de Thèbes. Zwelfer recommande cependant de l’employer dans les fièvres ardentes, où tous les remèdes, même les meilleurs, sont toujours suspects, en raison de la très grande putréfaction, avec la menace de gangrène qui s’ensuit. On lit sa description dans la Pharmacopœia Regia qu’il a ajoutée à celle d’Augsbourg, page 63. [48] À ces pharmacopées ou antidotaires, j’adjoins volontiers celle qu’ont préparée en 1636 et publiée sous la forme d’un petit opuscule, les docteurs du Collège de médecine d’Amsterdam ; du moins, sous leur signature, la devons-nous à un très savant homme doué d’un style châtié et d’une grande science, mon ami M. Johannes Antonides Vander Linden, professeur en l’Université de Leyde. [49][102][103] À vrai dire, je ne peux que la louer, en raison de sa remarquable brièveté et de son excellent choix de médicaments, [Ms BIU Santé no 2007, fo 394 ro | LAT | IMG] à condition d’en retrancher certaines parties superflues et purement inutiles, dont notre médecine se privera aisément, dans la mesure où elles ne sont pas à la hauteur de la bonne méthode. Tels sont le mithridate, la thériaque, la confection d’alkermès [104] et les autres compositions de ce genre qui ne sont propres à soigner aucune maladie, et qui paraissent n’avoir été conçus que pour l’ornement des officines et pour le profit et l’avantage des pharmaciens. [105] À moins que nous ne préférions parler comme les charlatans et dire, à leur mode ordinaire, qu’ils servent la plus grande gloire, splendeur et dignité de l’art (mais loin de moi cette perfidie !) ; comme si, en vérité, cette polypharmacie et cette diversité des remèdes, [106] si grande qu’elle en devient parfaitement dérisoire, n’étaient pas comme les filles de l’ignorance, extrêmement nuisibles pour les malades, et parfaitement contraires à la légitime et saine méthode de remédier, ainsi que l’a savamment écrit Francis Bacon de Verulam, dans son opuscule de Historia vitæ et mortis. [50][107] Décédé en 1626, il était grand chancelier d’Angleterre et vraiment éminent ; il mérite absolument d’être admiré dans le monde entier pour sa remarquable érudition, autant que pour cette suprême dignité. Et voilà en peu de mots ce que [Ms BIU Santé no 2007, fo 394 vo | LAT | IMG] j’ai labouré pour vous au sujet de l’opium et du laudanum des chimistes, sans autre intention que de vous faire bien comprendre que quand vous remédiez, vous devez vous méfier excessivement de l’opium et de tout médicament opiacé, comme de poisons pernicieux, et de ne jamais les utiliser, sinon fort prudemment et en cas de pressante nécessité. Fin. [51] > Leçon 2 sur la manne > Retour à l’annexe sur les leçons au Collège de France | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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