Texte
Jean Pecquet
Dissertatio anatomica
de circulatione sanguinis
et motu chyli
(1651)
Résumé de la dissertation  >
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Le mouvement circulaire du sang par tout le corps est démontré. La cause du dit mouvement est indiquée. Les machines hydrauliques excluent l’idée d’une attraction. L’issue du chyle depuis les intestins dans les veines lactées est prouvée, et la fonction filtrante du foie est conçue[1]

Le cheminement du chyle [2] heureusement dévoilé par les expériences précédentes incite à chercher la stimulation qui le pousse en avant, et cela éveille un audacieux élan en tout esprit hardi. Puisque l’étroite relation des vaisseaux lactés [3] avec la veine cave supérieure [4][5] démontre que le chyle est soumis au sang, [Page 26 | LAT | IMG] il est légitime d’explorer attentivement le mouvement du dominant avant d’en venir à celui du dominé.

Nous conclurons donc ici premièrement que, comme l’a montré l’expérimentation, le sang circule dans tout le corps : [6] il se rue hors du cœur par les artères pour y revenir après avoir cheminé au travers des diverticules anfractueux des veines, pour refluer par la veine porte dans la veine cave. [1][7][8]

Nous disputerons ensuite sur le principe de ce mouvement, particulièrement contre ceux qui attribuent à l’aspiration de la diastole le retour, vers les ventricules du cœur, du sang qui s’est épanché dans les veines. Seront aussi mis au jour les mystères des machines pneumatiques, auxquels ils recourent pour défendre l’attraction ; [9] comme le montre aisément l’expérience de l’air qui comprime le monde terraqué non seulement par son poids, mais surtout par son elater[2][10] dans le tuyau d’une pompe aspirante, l’eau suit le piston qui ne la suce pas, mais l’élève, tout comme elle est chassée avec violence dans les éolipyles, [3][11] comme l’air s’accumule à l’intérieur des soufflets, [12] et la chair se soulève pour saillir à l’intérieur des ventouses. [4][13]

Puis nous démontrerons le triple moteur de ce mouvement dans le sang : non seulement la systole chasse le sang, [14] mais il y a surtout dans les vaisseaux dilatés une faculté inhérente par laquelle ils retournent à leur état de capacité naturelle ; ajoutez à cela la pression qu’exerce la perturbation du voisinage, ou la respiration, et aussi la contraction des muscles ou du moins leur charge élastique.

J’appelle ici elater ou vertu élastique la propension innée d’une chose comprimée ou contrainte à reprendre son état naturel : c’est par elle qu’une laine ou une éponge retrouvent leur ancienne expansion quand elles sont libérées du poids qui les écrasait, que l’arc propulse la flèche, que l’air pressé dans une arquebuse à vent, [15] quand une issue lui est donnée, expulse une balle de plomb avec une violence aussi grande [Page 27 | LAT | IMG] que celle ordinairement exercée par la poudre à canon. [5] J’appelle aussi plus justement elater d’un objet son retour à sa petite taille naturelle après qu’il a été dilaté, comme une vessie gonflée qui se ratatine sur elle-même (après qu’on en a laissé l’air s’échapper). En un mot, l’elater est identique à ce qu’on appelle en français un ressort.

Enfin, après avoir soumis l’écoulement du chyle aux dits arguments, nous établirons avec clarté qu’il est permis, après Aristote, [16] de réduire la fonction filtrante du foie à la production de l’excrément du sang qu’est la bile. [17][18]


1.

Cela ne s’entend que pour les viscères abdominaux drainés par la veine porte (v. note [1], Dissertatio anatomica, chapitre ii) : tube digestif sous-diaphragmatique (estomac, intestin grêle, gros intestin), pancréas et rate. Les autres viscères abdominaux sont drainés par la veine cave inférieure qui mène leur sang efférent au cœur sans passer par le foie.

Les « diverticules anfractueux des veines » (anfractuosa venarum diverticula) désignent les capillaires sanguins, dont, alors, l’existence n’avait pas encore été anatomiquement démontrée. Un système veineux est dit « porte » quand il commence et se termine par un réseau capillaire veineux.

2.

Le néologisme latin elater (elatere au cas ablatif singulier) vient du grec ελατηρ : « celui qui pousse devant soi, qui disperse » ; la suite du texte va clairement lui donner le sens d’élasticité.

C. Webster (page 454, de son article de 1965, v. note [1], Dissertatio anatomica, chapitre viii) a attribué à Jean Pecquet la paternité de ce terme, et qu’à sa suite, le monde savant a repris et adapté. Les Anglais ont volontiers recouru au mot spring (ressort) : c’est le mot que Pecquet a employé quand il est revenu sur cette notion nouvelle dans l’avant-dernier paragraphe de son résumé.

3.

Éolipyle ou éolipile  {a} (Furetière) :

« Terme des hydrauliques : {b} c’est une petite boule de fer ou de cuivre, ayant une queue où il y a un fort petit trou pour la charger. On la chauffe pour raréfier l’air qui est dedans, et puis on la jette dans l’eau. Il y en entre autant qu’il faut pour remplir le vide que laisse l’air condensé par la froideur de l’eau ; et quand cette boule est derechef mise au feu, il en sort du vent {c} avec une impétuosité et une durée qui surprennent. On la nomme autrement “ poire à feu ”. C’est par la comparaison de ces éolipyles que Descartes explique admirablement bien la cause naturelle des vents. » {d}


  1. Mot associant deux racines grecques, Aïolos, « Éole », dieu des vents, et pulê, « passage ».

  2. V. note [3], Dissertatio anatomica, chapitre ix.

  3. Vapeur d’eau.

  4. V. note [12], Dissertatio anatomica, chapitre ix.

4.

V. notes Patin 70/8003, pour les indications thérapeutiques des ventouses (cucurbitulæ), et [10] et [11], Dissertatio anatomica, chapitre ix, pour leur mode d’emploi et une étude détaillée de leur effet pneumatique, et [8] du même chapitre pour les soufflets.

5.

Sclopus pneumaticus est le nom latin de l’arquebuse à vent (ou pneumatique) : « c’est une arquebuse qu’on charge avec du vent comprimé, et qui ne laisse pas de faire un fort grand effet. Les arquebuses à vent ont été inventées par un bourgeois de Lisieux nommé Marin, qui en présenta une au roi Henri iv, quoique quelques-uns croient que cette invention soit due à quelques ouvriers d’Hollande » (Furetière). Sa forme plus rudimentaire était la sarbacane (ou sarbatane), « tuyau fait ordinairement de verre, avec lequel les écoliers jettent des pois malicieusement à leurs camarades, en les soufflant avec la bouche. Aux Maldives, ils se servent de sarbatanes pour tirer des flèches qui portent fort loin » (ibid.).

a.

Page 25, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

Summa dissertationis.

Sanguinis motus Circularis per totum Animalis cor-
pus demonstratur. Ejusdem motûs Causa indica-
tur.
Attractionis opinio Hydraulicis ex-
ploditur Machinis. Chyli ab Intestinis in Lacteas
ostenditur expressio, et
Transcolato-
rium
Iecinoris munus astruitur.

Detectæ superioribus Experimentis,
quà Chylus devolvitur semitæ prospe-
ritas, ad inquirendum, quo is proruat,
incitabulum ; audacem excitat impe-
tum in animo confidente. Sed quo-
niam Lactearum cum Ascendente Ca-
vâ commercium, Chylum demonstrat Sanguini ve-

b.

Page 26, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

ctigalem : æquum Dominantis fuerit motum, ante
Subditi vices, honoratiori loco pertractare.

Hîc igitur primùm ruentem à corde per arterias,
et rursus in cordis usque sinus per anfractuosa vena-
rum diverticula sanguinem prosecuti, adhibito Ex-
perimentorum testimonio, circulari per universum
corpus, et in Cavam proinde refluo Portæ motu,
concludemus circumagi.

Dein de motûs ejusmodi Principio disputabimus,
adversus eos præsertim, qui Sanguinis in Venas ex
Arteriis effusi reditum in Cordis Ventriculos, exu-
genti Diastolæ retribuunt ; aperientúrque Pneumati-
carum, quibus Attractionem propugnant,
Machinarum mysteria, sicut experientiâ indice pla-
num fiat Aëris Terraqueum Orbem comprimentis
non Pondere tantùm, sed et Elatere, in Antliæ tubum
Aquam sequi non sugentem sed surgentem Embo-
lum, ut in Æolipilas eandem contrudi, et intra Fol-
les aërem aggeri, et in Cucurbitulis protuberosè car-
nem excrescere.

Tum demonstrabitur triplex ejusdem in Sanguine
motûs incitabulum. Nam non sola Systole Sangui-
nem citat ; est et in vasis turgidioribus insita facultas,
quâ redeant ad naturalis capacitatis modum ; Adde
vicini gravaminis, sive Respirationis fiat pressurâ, si-
ve Contractione Musculari, Elasticum saltem onus.

Elaterem hîc seu virtutem elasticam voco innatam
compressæ seu coactæ rei ad naturalem statum nitentis
propensionem ; hâc lana vel spongia gravanti pondere
liberatæ ad pristinam redeunt extensionem, hâc ar-
cus sagittam impellit, hâc condensatus in sclopo
pneumatico aër dato exitu plumbum tantâ violentiâ

c.

Page 27, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

trudit quantâ pulvis tormentarius solet expellere.

Elaterem etiam appello rei plus justo extensæ ad na-
turalem mediocritatem reditum, sic vesica immisso
aëre turgidior (dato exitu aëri) sese ipsam contrahit ;
uno verbo mihi Elater sonat, quod vulgo nostro un
ressort
.

Denique, elicito iisdem argumentis Chylosi pro-
fluvij motu, Transcolatorium Iecinoris
usum, rejecto post Aristotelem ad Sanguinis excre-
menta Felle, quâ perspicuitate licuerit, astruemus.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et motu chyli (1651) : Résumé de la dissertation

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(Consulté le 03/06/2024)

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