Texte : Jean Pecquet
Experimenta nova anatomica (1651)
Chapitre vi, note 3.
Note [3]

Je n’ai rien trouvé sur les lactifères ou le chyle dans les trois livres d’Observationum medicarum [Observations médicales] (Amsterdam, Ludovicus Elzevirius, 1641, in‑8o de 279 pages), seul ouvrage aujourd’hui répertorié de Nicolaas Tulp (Nicolaus Tulpius, vnote Patin 3/1151) ; mais les deux autres auteurs cités ont rapporté avoir vu les lactifères mésentériques en disséquant des cadavres humains.

  1. Johann Vesling (v. note [7] des Experimenta nova anatomica, chapitre i), médecin allemand qui professait à Padoue, les a ainsi décrits dans son Syntagma anatomicum [Traité anatomique], {a} chapitre iv (pages 38‑39), De Mesenterio, Pancreate, Iecore, et Liene [Sur le mésentère, le pancréas, le foie et la rate] :

    Pancreas est pars abdominis glandulosa, chylo ulteriùs attenuando, et depurgando, adeoque iecori, lienique præparando utilissima, antequam is nobiliore sanguinis veluti purpura imbuatur. Quemadmodum enim sanguinem ipsum, qui fætui alimento futurus, aut pro generatione eiusdem in semen transmutandus est, per varios quasi gradus, ad perfectionem sibi debitam Natura deducit : ita quem in sanguinem convertere conatur succum, non in ore tantum alterat, in ventriculo concoquit, fæcum admistorum onere sublevat ; sed in hoc viscerum calidiorum vestibulo, exactiùs quoque digerit, et ab acribus, salsisque sordibus vindicat. Itaque chylo, dum is spirante adhuc animali distribuitur, copiosè perfusum est pancreas, eundemque cuspide cultri sauciatum largiter effundit.

    Suscipit chylum suceptumque iecori subministrat, non per venas ullas, à porta descendentes, aut arterais ; sed singulares ductus, quos ob similitudinem aliquam, tum conformationis, tum distibutionis, venas Asellius nuncupavit, easque lacteas, ut superiùs memini, quòd candidum liquoris admissi colorem exprimant. Longa autem sunt, et teretia vascula, ex membrani tenui producta, à pancreate sursum, circa descendentis venæ portæ truncum ad iecur ; deorsum verò ad intestina, minutillimis propaginibus dispersa. Valvulis prædita sunt susceptu liquoris ad intestina regressum impedientibus. Ad lienem eadem pertingere, nexus potiùs pancreatitis cum illo suadere potuit ; quàm perspecta hactenus meatuum manifestorum communio : quos et delitescere necesse est, cum aqueam chyli portionem, adeoque non coloratam lieni suppeditent.

    Origo venarum lactearum, haud aliunde rectiùs, quàm à pancreate ducitur. Arterias enim, venasque rubentes, quibus illæ compositione officioque cognatæ sunt, non à surculis, sed ampliore truncorum fundamento Natura protendit. Idem in lacteis fieri vero similius est, quarum fundamentum, et amplitudo omnis circa pancreas ; ramuli verò extremi in jecore, atque intestinis. Colligere easdem in communem aliquem truncum, ob latitudinem pancreatis insignem, divino conditiori non placuit ; qui satis habuit, quemadmodum fit in nervis ad sensium organa perducendis, illas à communi quidem scaturigine, sed distinctis intervallis emittere.

    [Le pancréas est une glande de l’abdomen, destinée à atténuer et nettoyer le chyle, et donc indispensable à le préparer pour le foie et la rate, avant qu’il ne soit comme imprégné de la plus noble pourpre du sang. C’est ainsi que, comme par une succession de pas, la Nature élève le sang à la perfection qui lui est due, car c’est lui qui servira d’aliment au fœtus, ou qui devra être transformé en la semence qui assure sa génération. Elle ne se contente pas, pour entreprendre de transformer ce suc en sang, de le modifier dans la bouche, de le digérer dans l’estomac et de l’alléger du poids des déchets qui lui sont mêlés ; mais elle le fait plus mûrement macérer dans ce vestibule des viscères plus chauds et l’y délivre de ses ordures âcres et salées. Tandis qu’il se distribue dans l’animal qui en est avide, le chyle se répand donc copieusement dans le pancréas, qui le déverse ensuite largement, après qu’il a été comme haché par le tranchant d’un couteau. {b}

    Le pancréas accueille le chyle, puis le délivre au foie, non par l’intermédiaire de tributaires de la veine porte, ou d’artères, mais par celui de vaisseaux particuliers qu’Aselli {c} a appelés veines, en raison de quelque ressemblance de structure comme de distribution, en les disant lactées parce que, comme j’ai dit plus haut, le liquide qu’elles contiennent est de couleur blanche. Ce sont toutefois des vaisseaux longs et arrondis, entourés d’une fine membrane, qui partent du pancréas vers le haut pour gagner le foie autour du tronc de la veine porte descendante ; {d} mais vers le bas, ils s’éparpillent en tout petits rameaux vers les intestins. Ils sont pourvus de valvules qui empêchent leur contenu de refluer vers les intestins. Il se peut qu’ils se dirigent aussi vers la rate par une connexion qu’elle a avec le pancréas ; Aselli a été convaincu de leur existence, mais leurs méats manifestes de communication ont jusqu’ici échappé à l’inspection : ils sont nécessairement invisibles car ils véhiculeraient vers la rate la partie aqueuse du chyle, qui est incolore. {e}

    L’origine des veines lactées ne saurait être plus légitimement rapportée au pancréas qu’à toute autre partie de l’abdomen. La Nature a en effet établi des artères et des veines rouges, qui partagent leur organisation et leur fonction, tant au niveau de leurs plus petites ramifications que de leurs troncs d’origine ; et elle en a très vraisemblablement fait de même pour les lactifères, dont l’origine et tout le déploiement se situent autour du pancréas, mais dont les branches terminales siègent dans le foie et dans les intestins. En raison de la remarquable étendue du pancréas, le divin créateur n’a pas jugé bon de les rassembler en une sorte de tronc : il ne s’est pas contenté, comme il a fait pour les nerfs qui doivent parvenir dans les organes des sens, de les faire partir d’une source commune, mais les a fait naître séparément les uns des autres]. {f}


    1. Padoue, Paulus Frambottus, 1647, in‑4o de 274 pages (vnote Patin 28/206) ; v. note [43], Responsio ad Pecquetianos, 1re partie, pour l’avis critique de Jean ii Riolan sur ce livre.

    2. Vesling tenait ici le pancréas pour la noble glande qui assurerait l’ultime préparation du chyle, assimilé à la totalité des aliments digérés, c’est-à-dire au chyme intestinal, afin qu’il soit ensuite transformé en sang.

    3. Gaspare Aselli, v. note [1], Experimenta nova anatomica, chapitre i.

    4. Tronc de la veine porte (v. note [1], Dissertatio anatomica, chapitre ii), qui est formé par la réunion des veines splénique et grande mésentérique, derrière le pancréas, et qui monte vers le hile du foie. Les veines lactées joignant le pancréas au foie sont fictives.

    5. Cette connexion splénique est elle aussi fictive.

    6. Ainsi conçu, centré sur le pancréas, allant de l’intestin grêle au foie et sans collecteur visible, le mouvement du chyle n’avait rien de commun avec celui qu’a découvert Jean Pecquet. Avant lui, les « voies du Seigneur » étaient bel et bien « impénétrables » (Épître de Paul aux Romains, 11:33).

      V. note [39], Responsio ad Pecquetianos, 5e partie, pour un témoignage suggérant néanmoins que Vesling (mort en 1649) a vu les lactifères thoraciques, mais n’a pas eu le temps d’approfondir son observation.


  2. L’anatomiste vénitien Cecilio Folli (Foli ou Fuoli, Cæclius Follius ou Folius, 1614-1682) a publié une non vulgaris in lacteas nuper patefactas venas Animadversio [Remarque originale sur les veines lactées qu’on a récemment mises en évidence], qui précède sa Sanguinis a dextro in sinistrum cordis ventriculum defluentis facilis reperta via, cui non vulgaris in lacteas nuper patefactas venas animadversio præponitur [Découverte d’une voie simple par où le sang s’écoule du ventricule droit dans le ventricule gauche du cœur] (Venise, apud Bertanos, 1639, in‑4o). {a} La discussion sur les voies du chyle est longue de 13 pages, avec ce passage (page A 4 vo) :

    Denique Gaspar Aselius quartum addidit vasorum genus in mesereo, hoc est Venas albas, atque lacteo refertas cremore, qui quidem cremor verè Chylus dici potest, per quas Venas ipsemet Aselius ad Hepar vehi autumavit, quod, et ratio, et experientia clarè præ se fert.

    Venæ istæ tenuissimæ sunt, atque exiles admodum propè vulgatas Venas, atque Arterias positæ, nec non ut aliæ per ipsummet mesenterium dispersæ, ab Intestinis ad Iecur tendunt, in quo tandem Chylum deponentes Chylus ipse sanguis conficitur.

    Hæc vera, ac germana habetur via, per quam Chylus ad Hepar transportatur, ut inferius à nobis re ipsa demonstrabitur ; Antiquos etiam quosdam lacteas istas venas non latuisse credunt non pauci, quod videre est apud Hippocratem, Aristotelem, atque alios, qui de illis obscurè egerunt. Divinus siquidem Cous lib. de Humana Natura post omnium Venarum tenuium, nec non crassarum enumerationem, Et ex Ventre alias esse dicit, quæ alimentum deferunt.

    [Finalement, Gaspare Aselli a ajouté au mésentère un quatrième genre de vaisseaux : {b} ce sont des veines blanches et remplies d’un suc lacté, qui est le chyle proprement dit ; et en s’appuyant clairement sur le raisonnement et l’expérience, il a postulé que ces veines conduisent le chyle au foie.

    Elles sont très ténues et fort grêles, placées près des veines et des artères ordinaires, et tout aussi dispersées qu’elles par tout le mésentère ; elles se dirigent des intestins vers le foie, et lui apportent le chyle pour qu’il y soit transformé en sang.

    Telle la véritable et authentique voie par laquelle le chyle est transporté au foie, comme nos propres constats le démontreront plus bas. Maints auteurs croient que ces veines lactées n’ont pas non plus échappé aux Anciens, comme on voit chez Hippocrate, Aristote et d’autres, qui en ont traité obscurément : ainsi le divin maître de Cos dit-il, dans son livre sur la Nature de l’homme, après l’énumération de toutes les veines, tant de faible que de gros calibre, que beaucoup sortent du ventre pour délivrer l’aliment]. {c}


    1. Vnote Patin 6/1142.

    2. Outre les veines, les artères et les nerfs.

    3. Œuvres d’Hippocrate, traduites par Émile Littré, Paris, 1849, volume 6, chapitre 11, page 61 :

      « Telle est la distribution des grosses veines. Il est aussi des veines venant du ventre qui sont distribuées dans le corps en grand nombre, et par lesquelles la nourriture arrive aux parties. »

V. note [33], lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst (1655), pour le traité de Folli sur la production et l’utilité de la graisse (Venise, 1644), où il semble bien avoir eu l’intuition que le chyle lacté y joue un rôle de premier plan, mais sans en avoir convaincu grand monde.

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Jean Pecquet
Experimenta nova anatomica (1651)
Chapitre vi, note 3.

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(Consulté le 13/06/2024)

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