Gérard TILLES , Daniel WALLACH
Le jeudi 23 décembre 1886, les chefs de service de l’Hôpital Saint-Louis se réunissaient dans le bureau de Grandry, directeur de l’Hôpital, pour créer une nouvelle bibliothèque médicale. Lailler, Vidal, Besnier, Fournier, Hallopeau, Quinquaud, médecins dermatologues, Péan et Ledentu, chirurgiens, Porak, accoucheur, Lutz, chef du service de la pharmacie et Henri Feulard, chef de clinique-adjoint dans le service d’Alfred Fournier, signaient en effet les statuts de cette bibliothèque à laquelle ils donnèrent le nom de Bibliothèque médicale de l’Hôpital Saint-Louis .
Cinq jours plus tard, le 28 décembre 1886, les statuts rédigés par Feulard étaient contresignés par Peyron, Directeur de l’Assistance publique et Barbier, Secrétaire général, plaçant ainsi la bibliothèque sous le patronage de l’Assistance publique.
Désigné pour organiser la bibliothèque, Feulard en fut officiellement nommé administrateur en 1890 , charge qu’il assura jusqu’à sa mort le 4 mai 1897 dans l’incendie du bazar de la Charitété. La bibliothèque prit alors le nom de bibliothèque Henri-Feulard .
LE PROJET FONDATEUR
La création de la bibliothèque médicale de l’Hôpital Saint-Louis s’inscrivit dans le contexte de la mise en place de bibliothèques médicales dans les hôpitaux de l’Assistance publique à Paris . Créées à l’initiative des Internes des Hôpitaux de Paris, les premières bibliothèques apparurent en effet dans les salles de garde à partir de 1864, date de création de la bibliothèque de la salle de garde de l’hospice de Bicêtre. Le nombre d’hôpitaux pourvus de bibliothèques d’Internes augmenta ensuite rapidement pour atteindre le chiffre de 15 en 1878.
Dans ce climat de mise en place de structures d’enseignement théorique et de perfectionnement, une réflexion fut mené conjointement à partir de 1877 par les médecins de Saint-Louis, l’Assistance publique et le Conseil municipal de Paris, représenté par Bourneville.
Cette réflexion aboutit à l’adoption, le 6 aout 1881, des plans de construction d’un bâtiment renfermant au rez-de-chaussée les locaux d’une nouvelle consultation externe de dermatologie et au premier étage « une vaste salle destinée au Musée pathologique une bibliothèque, des salles de travail et de conférences « .
En effet, pour compléter la collection des moulages créée à l’initiative de Devergie en 1865 puis hébergée dans le service de Lailler, les créateurs du Musée avaient pris soin de prévoir l’installation d’une bibliothèque, complément pédagogique naturel de l’exposition de moulages et de l’examen des malades observés à la consultation externe. De fait, à côté de la salle des moulages et de la salle de conférences, « la troisième salle fut aménagée à la façon d’une bibliothèque elle avait été réclamée par le corps médical afin d’assurer aux élevés et aux visiteurs du Musée l’enseignement théorique par les livres à côté de l’enseignement pratique par les moulages . »
Mis en œuvre en janvier 1882, l’ouvrage (Musée-bibliothèque-consultation externe) fut reçu par l’administration le 5 février 1885 . Puis, alors que l’emménagement des moulages avait commencé en novembre 1884, l’ouverture officielle de la bibliothèque nouvelle, fixée au 1er janvier 1887, fut retardée jusqu’en novembre de la même année, en raison des travaux de catalogage et de classement des ouvrages qu’effectua Feulard assisté d’un malade de l’Hôpital.
UNE BIBLIOTHÈQUE NOUVELLE POUR UNE SPÉCIALITÉ NOUVELLE
D’une manière générale, l’architecture intérieure de la bibliothèque médicale de l’Hôpital Saint-Louis (bibliothèque Henri-Feulard) s’apparente à une première vague de bibliothèques construites dans les universités françaises dans les années 1870 et caractérisées par des dimensions plutôt réduites, une occupation tout entière consacrée à la salle de lecture, l’existence d’une galerie surplombant la salle de lecture et un nombre modeste de places assises .
D’abord réservée aux médecins et élèves de Saint-Louis, la bibliothèque fut rapidement ouverte à » tous les élèves des hôpitaux, Internes et Externes, présents ou passés, Externes surtout qui n’ont pas l’avantage de jouir des bibliothèques de salles de garde au moment où ils en ont le plus besoin, pendant la préparation de l’Internat « .
De nombreux dons de médecins de Saint-Louis et hors Saint-Louis constituèrent les premiers fonds. On retiendra notamment celui de Lailler qui fit transférer à la bibliothèque nouvelle le fonds de la bibliothèque des Externes qu’il avait créée dans son service en 1874 . Ainsi à la fin de sa première année de fonctionnement, la bibliothèque médicale de l’Hôpital Saint-Louis comptait déjà plus de 2000 volumes. Plus tard plusieurs legs enrichirent la collection et confirmèrent son orientation dermatologique : Bassereau (300 volumes en 1888), Lailler (1300 volumes en 1893), Vidal (120 volumes en 1893), Hardy (620 volumes en 1893), Feulard (500 volumes en 1897), Doyon (800 volumes en 1907). La Société française de dermatologie déposa à la bibliothèque Henri-Feulard les ouvrages acquis par elle ou reçus en cadeau, enregistrés dans un registre particulier et signalés par la cote SFD.
La volonté de Feulard fut d’abord de spécialiser la bibliothèque en dermato-vénérologie en regroupant les collections dermatologiques éparses dans les bibliothèques de salles de garde des hôpitaux de Paris pour créer à Saint-Louis une bibliothèque centrale de dermatologie. Les liens privilégiés qui unissaient Saint-Louis et la dermatologie depuis les toutes premières années du XIXème siècle renforçaient d’ailleurs l’intérêt d’installer une bibliothèque de dermatologie dans l’établissement consacré à cette discipline.
Toutefois, en dépit de cette orientation spécialisée, le catalogage du fonds refléta la mutidisciplinarité des collections, traduisant à la fois la richesse des collections personnelles cédées et la volonté de ne pas orienter la bibliothèque de manière trop exclusive. Ainsi, si les cotes Fa, Fb, Fab et SFD signalent les ouvrages de dermatologie, si la cote G correspond aux livres de vénéréologie, le catalogue de la bibliothèque montre également des ouvrages d’anatomie et de physiologie (cote B), de pathologie externe (cote D) et de pathologie interne (cote E) notamment. La lecture du catalogue des périodiques qui comporte aujourd’hui près de 700 titres montre d’ailleurs la même tendance, le nombre de titres de médecine-chirurgie et de spécialités médicales progressant au même rythme jusque dans les années 1970-1980.
La bibliothèque permettait l’enrichissement et l’actualisation du savoir en dermatologie et médecine et complétait l’enseignement de la clinique donné par les 6 services de dermatologie, faisant ainsi de l’Hôpital Saint-Louis un centre complet d’apprentissage des maladies de la peau.
Le renforcement de la place de l’Hôpital Saint-Louis dans l’enseignement de la dermatologie s’inscrivait par ailleurs dans la reconnaissance récente de la dermato-vénérologie en tant que spécialité officiellement enseigné à la Faculté de Médecine de Paris. En effet, après avoir été enseignés sous formes de cours complémentaires séparés, la dermatologie et la vénérologie furent réunies dans un cours officiel reconnu par la création le 31 décembre 1879 d’une Chaire de Clinique des maladies cutanées et syphilitiques confiée à Alfred Fournier et installée à Saint-Louis.
LA BIBLIOTHÈQUE ET LE MUSÉE, LIEUX D’ENSEIGNEMENT, DE PRESTIGE ET DE RESTAURATION D’INFLUENCE
Au-delà de cet aspect pédagogique, la création d’une bibliothèque de dermatologie et d’un Musée des moulages, s’inscrivait dans une perspective plus large de restauration d’influence de l’École dermatologique de Paris.
En effet, depuis le début des années 1870, chacun uni dans un patriotisme commun tentait d’analyser les raisons de la défaite cherchant notamment dans les activités intellectuelles, incluant la médecine, et donc bien au-delà des seules considérations militaires, ce qui aurait pu rendre le désastre prévisible. Ainsi, la période d’après-défaite fut d’autant plus propice à la mise en œuvre de réformes universitaires que c’est surtout à une activité scientifique intense et rayonnante qu’était attribuée la victoire de l’Allemagne .
En médecine, de même que certains universitaires renommés (Würtz, Jaccoud notamment) quelques représentants éminents de la dermatologie française s’étaient alarmés de la perte d’influence de l’École dermatologique de Paris, dominante dans la première moitié du XIXème siècle. Ainsi, Besnier, chef de service à Saint-Louis, Doyon, fondateur des Annales de dermatologie en 1868, puis Leloir, Professeur de dermatologie à Lille, avaient attiré l’attention de leurs collègues sur la prééminence prise depuis la fin des années 1840 par les universités germaniques et notamment par l’Hôpital général de Vienne « établissement policlinique auquel nous n’avons rien à comparer dans notre pays et qui est devenu depuis trente ans le foyer principal, le centre de l’enseignement dermatologique « . Leloir, professeur de dermatologie à Lille partageait également cette appréciation lorsqu’il indiquait en 1888 qu’il n’est aucun pays au monde qui puisse lutter avec l’enseignement dermato-syphiligraphique autrichien ».
Dans cette perspective, la réalisation de l’ensemble Musée-bilbiothéque-consultation externe, « CHU d’organe » avant la lettre, réalisait bien cette convergence de moyens dans une unité de lieu que les observateurs français soulignaient comme étant l’élément pédagogique le plus efficace des universités germaniques. Besnier donnait d’ailleurs à ce nouvel ensemble la valeur d’un institut dermatologique, inspiré des instituts pathologiques germaniques.
L’organisation à Paris de l’Exposition Universelle de 1889 incita les dermatologues français à inviter leurs collègues du monde entier pour la tenue du Premier Congrès Mondial de dermatologie naturellement organisé au Musée-bibliothèque de l’Hôpital Saint-Louis officiellement inauguré pour la circonstance. Profitant de ce mouvement dynamique, les dermatologues français décidèrent de fédérer leurs travaux en fondant le 22 juin 1889 la Société française de dermatologie .
LA BIBLIOTHÈQUE HENRI-FEULARD, CENTRE DE DOCUMENTATION DERMATOLOGIQUE ACTUEL.
Après quelques décennies de fonctionnement satisfaisant, la bibliothèque fut contrainte de priver ses lecteurs d’ouvrages neufs pendant plus de 15 ans à partir du début des années 1930 en raison d’un soutien financier de l’Assistance publique devenu insuffisant. La Société française de dermatologie attribua en 1947 et en 1948 une subvention à la bibliothèque Henri-Feulard lui permettant ainsi de survivre. Toutefois malgré ce répit la situation de la bibliothèque se détériora à nouveau à partir des années 1960 pour devenir dramatique à la fin des années 1970.
Pour répondre à cette situation, la gestion de la bibliothèque Henri-Feulard a été modernisïése en 1987 par la création d’une une association loi de 1901, fondée par l’AP-HP et la Société française de dermatologie et soutenue entre autres par la Fédération de formation continue en dermatologie, le Syndicat des dermatologues, et les laboratoires PIERRE FABRE DERMO-COSMETIQUE.
Le fonds de la bibliothèque contient plus de 15000 titres dont plus de 3000 ouvrages anciens et contemporains consacrés à la dermatologie et aux maladies sexuellement transmises. Elle reçoit tous les périodiques de la spécialité, qui sont consultés chaque année par plus de 3000 lecteurs. Le mode de consultation des ouvrages et des périodiques a été complété par la création d’une base de données de thérapeutique dermatologique accessible par Minitel sur le serveur FADERM depuis 1986. Un site Internet actuellement en construction permettra prochainement de compléter l’accessibilité des services documentaires offerts par la bibliothèque.