Michel JANIER
Hist.Sci.Méd., 1994 , 28


La gale est une maladie de la peau produite par un parasite animal, le sarcopte ou Acarus scabiei et caractérisée par une lésion spécifique, l’éminence acarienne et le sillon. Cette définition de Bazin dans le dictionnaire Dechambre de 1880 est proche de la définition actuelle: ectoparasitose cutanée due à un acarien Sarcoptes scabiei hominis, strictement humain. Une définition simple pour une maladie simple dont l’étiologie parasitaire évidente aurait pu être affirmée dès le début du 17è siècle (invention du microscope) voire avant, le parasite pouvant être distingué à l’œil nu un peu myope, si les préjugés des théoriciens du monde médical avaient été prêts à accepter une telle hypothèse. Or, il faudra attendre la fin du 19è siècle pour que l’origine parasitaire de la gale ne soit vraiment acceptée. L’histoire du sarcopte de la gale illustre une des plus incroyables épopées médicales du 19è siècle.

Le sarcopte

Au centre du débat, un gentil animal à huit pattes, le sarcopte que nous appellerons au cours de cet exposé, indifféremment également l’acarien, l’acarus, l’acare, le ciron, le parasite, l’insecte, l’animalcule, la créature, la vermine, l’étranger et de temps en temps la bestiole. Voici d’abord l’état civil du sarcopte dont les parrains s’appellent Linné, Latreille et Mégnin. Le sarcopte appartient à :

  • – l’embranchement des arthropodes
  • – la classe des arachnides
  • – l’ordre des acariens ou acaridés
  • – le sous-ordre des sarcoptiformes (ou acariformes)
  • – la famille des sarcoptides
  • – et la sous famille des sarcoptinés
  • – enfin, au genre Sarcoptes scabiei var hominis

Sarcoptes scabiei (du grec sarx la chair et kopto je coupe) n’est pas un insecte. Les insectes ont, en effet, six pattes, des antennes, un corps séparé en trois parties (et l’implantation des membres est thoracique). Il est composé d’une tête, d’un corps en forme de tortue et de nombreux appendices utiles à sa survie.

C’est un parasite essentiellement fouisseur, prolifique et cytophage

Les années obscures

Sarcoptes scabiei hominis est responsable de la gale. Le terme de gale, longtemps écrit avec deux « l » est d’étymologie obscure. Les Grecs l’appelaient psora (de pso je frotte), les Latins scabiés (de scabere gratter), terme conservé par les Anglais, les Allemands Krétze, les Espagnols sarna ou rona, les Provençaux rogne et en langage vulgaire gratelle.

La maladie fut classée tour à tour dans les cachexies, les vices, les phlegmasies, les oxygénoses, les pustules, les vésicules et les infundibulés.

Le sarcopte ne fut vraiment identifié qu’en 1834 et sa responsabilité dans l’étiologie de la maladie ne fut acceptée que dans la 2ème moitié du 19ème siècle. Et pourtant, l’acarus était connu depuis bien longtemps dans les milieux populaires (les pauvres femmes et les galériens de Livourne, les femmes corses, les paysans des Asturies, les vieilles indiennes de l’Orénoque). Certains anciens auteurs avaient parfaitement décrit le parasite. Enfin, la nature animalculaire des gales animales était connue.

Les grand noms de la médecine se sont illustrés dans des tentatives théoriciennes. Celse de Vérone attribue la psora à un vice interne des humeurs, Galien de Pergame à des humeurs mélancoliques, Avicenne de Boukhara à un mélange de sang, d’atrabile et de pituite. Les médecins occidentaux n’ont pas fait beaucoup mieux jusqu’à la fin du 18è siècle, jusqu’à Lorry et Hahnemann fondateur de l’homéopathie et tenant de la dyscrasie psorique.

Il n’existe, chez les Anciens, aucune description d’ensemble de la gale. Rien dans Hippocrate, pas grand chose dans Aristote qui pourtant a fait dans son « Histoire des animaux » de vagues descriptions compatibles avec la maladie ; Galien n’en fait que de vagues mentions, Celse, Horace et Cicéron, Pline l’ancien évoquent la psora ou la scabiés mais il semble bien que la psora correspondait à l’ensemble des maladies squameuses et furfuracées et que la scabiés regroupait l’ensemble des affections prurigineuses de l’époque.

Les précurseurs

Avenzoar de Séville au 12ème siècle dans le « Taisir elmedaouat oua eltedbir » décrit le « souab » qui existe dans la peau et dont il sort un animal très petit que l’œil a de la peine à découvrir. Mais on ignore s’il s’agissait du sarcopte ou de poux et attribue la maladie à des altérations humorales.

Scaliger en 1580 nomme l’acarus ou ciron, petite espèce de pou existant sous l’épiderme où il creuse des galeries.

Toujours au 16è siècle, Ambroise Paré parle « d’animalcules qui se creusent des voies sinueuses sous la peau, se trainent, rampent sous le cuir et le rongent petit à petit principalement aux mains et qui excitent une fâcheuse démangeaison et gratelle », mais lui aussi attribue la maladie aux humeurs de la pituite nitreuse salïése.

Vidius, en 1596, attribue la génération spontané des animalcules au sang, à la pituite et à la bile. Thomas Mouffet, en 1634, à Londres décrit dans son « Théâtre des insectes » (Insectorum sive inimorum animalium theatrum) l’acarus ou ciron qui est différent du pou et que l’on peut retrouver dans la peau à distance des pustules. August Hauptmann, en 1657, à Leipzig puis Ettmüller en 1682 utilisent les premiers microscopes pour faire des dessins encore très imparfaits de l’acarus.

Une grande étape de l’histoire du sarcopte est franchie avec Cosimo Giovanni Bonomo et Diacinto Cestoni, le premier médecin, le second pharmacien ou pseudonyme du premier, dans une lettre adressée au poète naturaliste Francesco Redi datée de Livourne le 18 Juillet 1687 et publiée à Florence. Bonomo fort de l’expérience populaire des pauvres femmes et des galériens de Livourne qui extraient de leur peau galeuse avec une aiguille des animalcules et les écrasent sur leurs ongles, écrit un très beau traité sur la gale dans lequel on trouve déjà une description moderne et exacte de la maladie et de l’agent pathogène. Citons le dans « l’Osservazioni intorno a pellicelli del corpo umano » : « avec la pointe d’une aiguille, nous eûmes la chance de retirer et d’observer au microscope un petit globule à peine visible, vivant et agile, ressemblant à une tortue blanche avec un peu de noir sur le dos, de longs poils, six pattes et une tête pointue avec deux cornes ». L’expérience faite sur un galeux puis sur d’autres malades était fort concluante. La créature était observée avec un équipement optique primitif dans une goutte d’eau. Elle creuse des sillons dans la cuticule, rampe sous la peau, grignote, pond des œufs, persiste 2 à 3 jours dans les vêtements. La maladie est très contagieuse.

Le traitement interne ne sert à rien. Il faut et suffit de faire un traitement externe mais celui-ci doit quelquefois être répété plusieurs fois car il peut ne pas tuer tous les œufs, avec donc un risque de récidive. Les seules inexactitudes notées dans le traité de Bonomo concernent le nombre de pattes (6 au lieu de 8) de la créature et le siège où l’on doit le chercher (dans les vésicules et pustules pour Bonomo. Colonello en fait de beaux dessins, différenciant parfaitement le ciron de l’acarien du fromage.

Cette description de Bonomo tranche par son exactitude avec celles de ses contemporains, particulièrement folkloriques par exemple celle de Heintke (Leipzig 1675), celle de Griendelius (Néremberg 1687) et celle de Leeuwenhoeck (1688 et 1695) qui en fait confond l’agent de la gale avec l’acare du fromage Tyroglyphus domesticus .

Au cours du 18è siècle, assez peu de progrès sont réalisés. Les défenseurs de la théorie de Bonomo, en particulier Linné, classent tour à tour l’acarien de la gale dans les insectes, les poux pour enfin l’assimiler à l’acare du fromage (1734). Les descriptions de Schwiebe (1722) sont encore très approximatives de même que celles de Geoffroy (1764) qui crée le terme d’Acarus humanus subcutaneus.

Le mérite de Carl de Geer, élève de Linné fut en 1778 de bien différencier l’acare de la gale humaine de celui du fromage et de faire de la bestiole une description tout à fait correcte et de beaux dessins dans son « Mémoire pour servir à l’histoire des insectes ».

Johann Ernest Wichmann (Hanovre 1786) améliore dans « l’Aetiologie der Krétze » encore la qualité des représentations du sarcopte et émet une doctrine acarienne parasitaire de la gale, très moderne. Un peu plus tard, à Philadelphie, Joseph Adams (1807) rajoute encore des détails anatomiques qui complètent l’exactitude de la description du sarcopte. On pourrait penser que l’affaire est jouée et que plus rien n’est à découvrir dans cette maladie.

Or, il n’en est rien. Ces descriptions et ces théories sont le fait d’individus isolés, médecins ou naturalistes, dont la voix qui crie dans le désert n’est pas entendue. La Faculté a oublié ou négligé ces descriptions. Pour elle, la gale est plus que jamais une maladie de cause interne. La présence d’insectes est attribuée aux vices des humeurs ou au simple hasard, donc, insignifiante. Le ciron de la gale est d’ailleurs rarement retrouvé par les plus curieux, ceux qui le recherchent.

La théorie parasitaire de la gale a, contre elle, les préjugés que le siècle des lumières n’arrivera pas à vaincre. Allen, en 1741, dans son traité des Maladies de la peau reconnaît « la démangeaison insupportable qui accompagne toujours la galle a fait soupçonner quelques auteurs que cette maladie soit produite essentiellement par de petits animaux, ce qui selon eux, la rend si facilement contagieuse mais nous n’avons rien de bien clair la-dessus que ce que l’on trouve du Dr Bonomo dans ses transactions philosophiques ».

Lorry dans le « Tractatus de Morbis cutaneis » (1777) souligne que personne n’a jamais revu les insectes de Bonomo et que la prèsence d’éventuels animalcules ne peut expliquer les gales internes et la guérison de maladies graves par l’inoculation psorique. C’est donc bien l’acrimonie du sang qui est en cause.

Les plus modernes, ceux qui croient en l’acarien, le regardent non comme la cause mais comme le produit de la maladie. Même Joseph Adams qui a fait de belles descriptions du parasite différencie la gale sarcoptique de la véritable gale, humorale nécessitant la correction des vices internes. Pinel et Bateman adoptent ces mêmes théories. Un traitement externe isolè serait même dangereux car repousserait la maladie au dedans, aggravant le vice intérieur des humeurs; c’était déjà l’idée de Celse au 1er siècle avant Jésus-Christ!

Aucun de ces précurseurs ne sut convaincre ni transmettre à ses successeurs leur concept et l’impossibilité où l’on était de trouver l’animalcule auquel on prétendait rapporter la gale fit naître des doutes sur la bonne foi de ceux qui disaient l’avoir observé!

L’obscurantisme atteint son apogée avec Hahnemann (1786) et sa théorie de la dyscrasie psorique, proche de celle de Galien à l’aube du 19è siècle. Il est vrai que le problème était notablement compliqué par la confusion existant entre les différentes dermatoses, la galle regroupant dans l’esprit de beaucoup les impétigos, l’eczéma, le lichen et même la lèpre.

Allen (1741) : « la galle maligne et invétérée dégénère ordinairement en lèpre », constatation proche de celle de Celse « la psora, lorsqu’elle dure longtemps peut se convertir en lèpre » (1er siècle avant Jésus-Christ) et de celle de Paul d’Egine (634) » la psora est une affection voisine de la lèpre ». La contagiosité de la maladie est bien connue. Willis souligne : « il n’y a certainement aucune maladie à l’exception de la peste qui soit plus aisément et plus sûrement contagieuse que celle-là. Quant aux stations thermales, elles créent la confusion ». Allen remarque (1741) « j’ai vu plusieurs malades aller à Bath et en revenir lépreux confirmés ».

Ainsi, au début du 19è siècle, si Alibert, Biett et Willan croient mordicus à l’existence du parasite, celui-ci était de nouveau perdu et malgré des tentatives multiples restait introuvable. Ce qui n’empêche nullement les femmes corses, les paysans des Asturies et les vieilles indiennes de l’Orenoque (Humbolt 1800), plus malins que les doctes médecins de l’Hôpital Saint-Louis, d’extraire l’acarien à l’aiguille et de guérir la maladie. Il est vrai que ces modestes précurseurs n’avaient pas l’esprit obscurci par les théories médicales du moment.

La misérable histoire de Jean-Chrysanthe Galès (1812)

On en est donc là au début du 19è siècle lorsque un jeune étudiant de Saint-Louis demande une entrevue au grand Alibert. Cette rencontre va être à l’origine d’un des épisodes les plus rocambolesques de l’histoire de la médecine du 19è siècle.Le héros du drame qui va se nouer a nom Jean-Chrysanthe Galès, né à Betbéze près de Toulouse en 1783 . A 19 ans, le 24 prairial an X (13 Juin 1802), il est nommé pharmacien chef de l’Hôpital Saint-Louis . Étant sur le point de terminer ses études de médecine, il demande un sujet de thèse à Alibert, probablement après une des trois leçons hebdomadaires du Maître sous les tilleuls du pavillon royal »: « près d’un pavillon solitaire est une charmille où l’on respire un air plus salubre, sous les tilleuls dont la verdure adoucit la tristesse d’un lieu consacré à l’infortune ».

Alibert lui conseille : « composez votre thèse sur la gale, votre nom vous permet d’y prétendre ». Le maître ne se doute pas alors que ce vilain jeu de mots allait déclencher une série de polémiques, communications, réunions et déceptions incroyables et que sa réputation et sa carrière allaient en être gravement ébranlées.

Il faut se replacer dans l’ambiance de l’époque où les tenants de la théorie acarienne de la gale dont Alibert est le fer de lance s’opposent violemment aux tenants de la dyscrasie psorique. L’académie de Médecine a même promis une récompense pour qui découvrirait ou redécouvrirait le sarcopte.

Quelques semaines plus tard, le gascon est un rapide, Galès revient voir Alibert et lui annonce qu’il a découvert le sarcopte de la gale. Nous sommes le 26 Mai 1812 en pleine épopée napoléonienne. Non content de l’avoir fait, il assure l’avoir trouvé à de multiples reprises dans les vésicules et les pustules. Alibert organise des réunions pour fêter l’événement et confirmer la découverte.

Galès se prête avec dignité à ces confrontations. Il extrait l’insecte avec dextérité des vésicules scabieuses devant des aréopages d’étudiants et de médecins. Ces exploits lui valent l’ovation de l’assistance et une commission d’enquête de l’académie de Médecine présidée par Latreille lui décerne le prix en le reconnaissant officiellement comme le découvreur de l’étiologie de la gale. Galès empoche l’argent. Il devient célèbre, extrayant à qui va l’acarus avec autant de facilité qu’on avait eu jusqu’alors de peine à le découvrir. Il le retire par centaines dans des expériences publiques en présence d’un grand nombre de médecins, naturalistes, entomologistes et savants illustres de l’académie de Médecine, de l’académie des Sciences et du Conseil Général des Hospices de Paris. On le voit accompagné par Emmanuel Patrix (1783-1840), étudiant de Saint-Louis et par le graveur Meunier du Museum qui reproduisent sur le papier l’insecte fabuleux . Galès publie son « Essai sur le diagnostic de la gale, sur ses causes et sur les conséquences médicales pratiques à déduire des vraies notions sur cette maladie » (Thèse 21 Aout 1812- Paris).

Parallèlement, et n’ayant pas perdu son sens pratique, il crée un établissement très florissant de dermatologie dans le privé après avoir pendant quelque temps utilisé à Saint-Louis une nouvelle technique de son invention, celle des fumigation sulfureuses.

Jusqu’au 1er Mars 1813, il « fumige » 355 malades, utilisant une boîte dans laquelle la tête des patients émergeait à l’air libre. Dés le début aussi, il chauffait le lit des galeux avec une bassinoire remplie de charbons ardents sur laquelle on jetait de la fleur de soufre. Le 8 Juin 1813, 12 appareils sont installés à Saint-Louis et le Conseil des Hospices félicite Galès. A la nouvelle de la découverte de Galès, chacun se remet à l’œuvre avec ardeur, et bien que s’y prenant comme Galès, on ne trouve rien : lui seul paraissait avoir le monopole de l’extraction du sarcopte. Ainsi, Mouronval dont la vie devient un enfer, « je passai mes vacances, mon temps libre et mes heures de récréation entouré d’une multitude de galeux, examinant au microscope, mais je fus fort surpris, l’insecte refusait d’apparaître ». Il conclut pour se rassurer « le ciron de la gale dont on parle depuis 150 ans sans l’avoir vu et dont on a fait des peintures imaginaires copiées les unes sur les autres et jamais sur l’original puisqu’il n’existe pas! ».

Cuvier qui connait bien les dessins de Carl de Geer est le premier à détoner. Les insectes de Galès sont vraiment différents des anciennes descriptions et vraiment très proches des mites du fromage. Il conclut ironiquement que la gale est due à deux types d’insectes différents. L’incrédulité s’installe. Des rumeurs de mystification vont bon train. Au début, Alibert n’y prête pas garde. Latreille vient de créer spécialement le genre Sarcoptes scabiei et les animalcules -ridicules- de Galès trônent en belle place dans les traités d’ Alibert y compris dans le dictionnaire des sciences médicales de 1816 à côté des reproductions de la maladie.

Alibert fait rechercher et recherche lui-même le sarcopte selon la méthode de Galès. Il n’y parvient pas. Non plus que Biett, Lugol, Rayer en France, Bateman et Willan en Angleterre, Galeotti et Chiarugi en Italie.

Alibert finira par émettre des doutes sur les fumigations de Galès qui délivrent une grande quantité de gaz carbonique aux malades. Mais Galès avait déjà quitté Saint-Louis (1815) et créé plusieurs maisons de bains fumigatoires à Paris.

Bien que ne retrouvant pas lui-même le sarcopte, Alibert garde sa confiance en Galès et continue pendant 15 ans à reproduire les dessins des « monstres ».

Rien de spécial , ni de nouveau ne se passe jusqu’en 1829 mais la validité des expériences de Galès est de plus en plus contestée d’autant que Galès refuse de participer à toute confrontation publique et que Patrix, laissé à Saint-Louis en otage, est incapable de faire apparaitre l’insecte.

Rayer considère que l’existence de l’acarus est chimérique. Cazenave (1828) : « il faut réinviter Galès à Saint-Louis, s’il est si doué pour repérer les vésicules infectées ». Jusqu’à ce que M. Galès le fasse voir nous nous croyons autorisés à penser que l’acarus n’existe pas ». Galès fait la sourde oreille. Biett (1833) devient un partisan acharné de la non existence du sarcopte et la polémique se nourrit des conflits entre les Alibertistes qui croient encore au sarcopte et les Willanistes menés par Biett qui n’y croient plus. Des échanges de lettres sulfureuses entre les deux camps se font dans la « Lancette française » en 1829. Alibert est en mauvaise posture ! Le coup de grâce sera donné par Raspail.

François-Vincent Raspail, né à Carpentras en 1794, est autodidacte et contestataire, anti-conformiste, libre penseur, socialiste, un peu anarchiste, mais l’un des esprits scientifiques les plus brillants du 19è siècle. Il est, en effet, à la fois chimiste, hygiéniste, cytologiste et l’un des inventeurs de la théorie de la cellule, et surtout microscopiste.

L’affaire du sarcopte l’intéresse. Il fait d’abord ses propres recherches qui sont toutes négatives. Sans idée préconçue, il attribue d’abord ses échecs à son inexpérience, au climat de Paris et aux traitements reçus par les malades. Puis, comparant les dessins de Galès et de De Geer acquiert l’intime conviction que Galès a fraudé, mystifiant tout le monde en substituant la mite du fromage au prétendu acarien. Dés lors (1829), Raspail s’engage dans la bataille et commence une campagne pour pourfendre la mystification « avec l’obstination de l’inspecteur Javert poursuivant Jean Valjean dans les Misérables ». Il trouve en Lugol un allié de taille. Lugol venait de prendre, en même temps que la chefferie du service de Dermatologie concurrent de celui d’Alibert (1820), la tête du parti anti-acarus. Il avait promis un prix de 300 F (100 écus) à l’étudiant qui démontrerait l’existence de l’acarus. Patrix, toujours à Saint-Louis, inconscience ou grande naïveté, veut relever le défi mais Alibert le calme (1829) considérant probablement que la plaisanterie a assez duré. Le chirurgien Arnal, élève de Lugol, attaque Patrix de front dans la Lancette française : « qui peut croire que des bataillons de bestioles manœuvrent sous la peau ? ». Patrix : « je les ai vus à l’œil nu sur la glace du microscope ». Arnal : « ils faisaient probablement de la luge ! ». Patrix temporise : « déposez d’abord vos 300 F, nous verrons ensuite ! ». Le 2 Septembre 1829, un certain Meynier annonce à Lugol qu’il a trouvé l’insecte et souhaite le démontrer en public . Aussitôt dit, aussitôt fait. Devant Bailly, Cloquet, Lugol et une docte assemblée, Meynier place une goutte d’eau sur le microscope, prélève les vésicules d’un galeux, agite le produit avec son ongle et fait apparaître la bestiole à l’admiration des témoins. Les plus vieux reconnaissent parfaitement l’acarus de Galès. Toutes les précautions avaient été prises pour éviter une supercherie. Cloquet annonce publiquement que Lugol a perdu son pari. Alibert jubile. Quelques jours après, Meynier décline les 300 francs et Raspail -dont Meynier est en fait l’émissaire- révèle la supercherie. Meynier avait dans sa poche du fromage avarié et avait déposé avec son ongle les mites du fromage sous le microscope. Lugol jubile. Alibert est atterré. Il n’y a plus d’autre solution que d’envoyer Patrix relever le défi.

Dans l’hilarité générale, alors que Latreille en profite pour supprimer de la nomenclature le genre Sarcoptes scabiei, le 22 Octobre 1829, Patrix se rend à l’Hôtel-Dieu pour une séance publique de sarcoptologie. Prudents Alibert, Lugol, Latreille et le maître de céans Dupuytren déclinent l’invitation. Malgré une mise en scène sophistiquée faite d’un amoncellement de bains Marie et quelques malades particulièrement coopérants, c’est le fiasco total. L’acarus n’apparaît pas. Alors Raspail se lève, sort du fromage avarié de ses poches, saupoudre les préparations de Patrix, fait constater la similitude de la mite du fromage avec l’acarus de Galès et s’en va en marmonnant que « le fromage avarié lui a coûté plus cher que du fromage frais »… Une nouvelle expérience présidée par Dupuytren arrive quelques jours plus tard aux mêmes conclusions. Patrix est sévérement admonesté par la faculté mais tout le monde saura que les critiques sont directement adressées à Alibert.

Nous voici en 1830, la Révolution bat son plein et le sarcopte est toujours introuvable alors que Raspail est sur les barricades. Le monde médical désenchanté, bien loin d’encourager de nouvelles recherches ne veut plus entendre parler de l’insecte. Alibert lui-même commence à douter de son existence. De fait, le seul à y croire est curieusement Raspail qui n’a jamais démordu de la théorie acarienne et qui pense que l’acarus apparaîtra bien un jour. Galès est sévèrement jugé par ses contemporains:

Pour Devergie: « le prétendu acarus valut à son inventeur de la part de l’Institut une récompense honorable au lieu de la réprobation et du mépris qu’il méritait »;

Pour Raspail: « Galès a faussement montré l’acare du fromage pour acquérir facilement gloire et argent »;

Pour Biett : « Cette réussite constante d’une part et cet insuccès continuel d’autre part laissèrent dans l’esprit, je ne sais quel doute dont il était difficile de se défendre » ;

Pour Cazenave: « On peut douter de la bonne foi de ce pharmacien ».

Pour les plus indulgents:

– « l’aventure de Galès servit du moins à ramener fortement l’attention sur la gale et son parasite, quel que soit le jugement que l’on porte sur le personnage ».

Galès était probablement un escroc. Au mieux, ayant découvert par hasard le sarcopte dans une vésicule, il perpétua la fraude par amour propre, gout du lucre et de la notoriété. Il quitta Saint-Louis en 1815, fit fortune en ville avec son appareil de fumigation au soufre. Il est mort en 1854 sans avoir jamais répondu aux attaques de ses pairs.

Nous en sommes là en 1834. Alibert est un homme usé qui doit de temps en temps faire des cauchemars de sarcopte lorsqu’il est abordé de nouveau par un jeune étudiant en Médecine.

La merveilleuse histoire de Simon François Renucci (1834)

Simon François Renucci, né en Corse, licencié en lettres de l’académie de Paris, étudiant en Médecine à l’Hôtel-Dieu est abasourdi par l’état lamentable des connaissances sur la gale en 1834. Il a vu fréquemment les femmes corses extraire l’acare. Lui même l’a souvent fait. Mais, comme l’avaient déjà souligné Thomas Mouffet et Wichmann, l’acare ne doit pas être recherché dans les vésicules mais au bout du sillon, à distance de ces mêmes vésicules qui ont séparé pendant des siècles les échecs du succès !

Renucci devient un fidèle de l’enseignement d’Alibert, convainc le maître du succès assuré de ses recherches. Le maître annule ses vacances et le 13 Aout 1834 a lieu le miracle.

Laissons Renucci décrire cet épisode. « Après avoir assisté à une leçon de M. Alibert, j’eus l’occasion d’entretenir ce professeur sur cet animalcule merveilleux, tant de fois exploré vainement au microscope, objet de tant de controverses et de tant de contradictions ; et les doutes qu’il manifesta sur la possibilité de le trouver facilement me firent prendre le parti de lui en fournir des preuves irrécusables. Aussi, dès le 13 Aout 1834, apercevant, à la consultation de ce médecin, une jeune femme, dont la mise annonçait l’aisance, dont les mains offraient de nombreuses vésicules de gale, et qui n’avait subi aucun traitement, j’annonçai positivement à tous les médecins et élèves qui se trouvaient là que bientôt ils verraient l’insecte fabuleux. En effet, j’en fis l’extraction à l’aide d’une épingle ; le ciron marcha très bien sur mon ongle, et chacun put le voir à l’œil nu. Je fus alors prié par la foule des spectateurs de répéter la même opération sur un autre galeux, et le même résultat ne se fit pas longtemps attendre. A l’instant même, M. le professeur Alibert en fit dresser procès-verbal, qui, après avoir été signé par nous tous, fut envoyé à la Faculté. Cette nouvelle, insérée dans la Gazette des Hôpitaux, trouva presque autant d’incrédules que de lecteurs. Au point où en était la science, le doute était certes bien permis mais y avait-il beaucoup de philosophie à se retrancher derrière un défi positif ou derrière une négation absolue?

Et cependant des hommes d’ailleurs fort honorables, me firent publiquement des provocations qui bientôt s’anéantirent devant les faits ».

Le 16 Aout 1834, l’expérience de Renucci est publiée dans la gazette des hôpitaux, dans l’indifférence ou l’incrédulité générales. L’expérience est reproduite le 20 Aout 1834 publiquement. Lugol ricane : « Alibert a interrompu ses vacances alors qu’il en avait bien besoin! Il est courageux, en fin de carrière, après des défaites aussi retentissantes de revenir au combat ». « Je renouvelle mon prix de 300 F pour l’étudiant qui trouvera le sarcopte ». Lugol se dirige tout droit vers le précipice.

Le 25 Aout 1834 , la séance est annoncée dans la gazette des hôpitaux et se tient, en terrain neutre, dans la clinique d’Édouard Emery, le temps est chaud et ensoleillé, les conditions métérologiques sont bonnes. Il est 9H, sont réunis Sabatier, Pinel, Legros, Emery, Lugol, Alibert, Raspail avec ses planches probablement usées, cornées et maculées de fromage avarié, ainsi qu’une nombreuse assistance.

A 10 H, Renucci extirpe l’acarus au bout d’une épingle, le place sous le microscope. Emery, le neutre, reproduit facilement l’expérience. Raspail constate la similitude de la bête avec les planches de De Geer. Lugol reconnaît sa défaite. Renucci a gagné le prix. L’existence de l’acarus ne sera plus jamais discutée.

Renucci publiera sa découverte dans sa « Thèse inaugurale sur la découverte de l’insecte qui produit la contagion de la gale, du prurigo et du phlyzacia » (6 Avril 1835). Le petit point blanc, l’animalcule de la gale de l’homme ne se trouve jamais dans le fluide des vésicules. Renucci fait ensuite une tournée triomphale à la Charité chez Rayer, aux Vénériens chez Ricord, à la Faculté chez Cloquet. L’histoire ne dit pas si Renucci a touché les 300 F de Lugol, probablement pas. Plus personne n’entendra jamais parler de lui.

Alibert modifie ses planches et Raspail recueille la gloire de la publication dans « le Bulletin général de thérapeutique » (1835) . Il est poursuivi sous le Second Empire pour exercice illégal de la médecine après avoir donné pendant dix ans des consultations gratuites dans son centre de santé, rue de Sévigné. Exilé, puis, président de la Société des Droits de l’Homme, doyen de la Chambre des députés sous la troisième république, il refuse la légion d’honneur en 1878 quelques jours avant de mourir.

L’histoire de la gale n’est pas tout à fait terminé. Les préjugés ayant la vie dure, la reconnaissance du sarcopte ne suffit pas à les effacer jusqu’à la fin du 19è siècle. Les plus grands considèrent le sarcopte non comme la cause mais comme le produit de la maladie, qui elle même est due à la malpropreté, la misère et la débauche.

Devergie écrit en 1852 : « l’identification de l’acarus avec la maladie dans laquelle on le rencontre n’est qu’une pure induction de l’esprit ». « Le sillon génère l’acarus » : Devergie est partisan de la génération spontané comme beaucoup de ses contemporains avant Pasteur.

Les traitements

Les traitements découlent directement de ces théories et jusqu’à la fin du 19è siècle, les traitements à visée interne seront systématiquement associés aux topiques. Ils vont, cependant, se simplifier considérablement avec le temps. Parmi les traitements externes les plus utilisés, se trouve le soufre, dont l’efficacité dans la gale est connue depuis Celse.

La pommade sulfo-alcaline de Helmerich (1812) contenant de l’axonge, du carbonate de potassium et du soufre ou ses équivalents est appliquée après des frictions énergiques au savon noir pendant 15 jours par Alibert, également par Cazenave, chef du service des galeux (1838), qui est partisan comme Hebra de badigeons localisés aux zones atteintes . La durée d’hospitalisation n’est plus que de six jours avec Bazin, Chef du service des galeux en 1850 et Hardy en 1852 fait fermer son service des galeux en recommandant une seule application d’une heure trente « (la frotte) ».

Ces traitements sont fort irritants et d’odeur affreuse voire « méphitique ». « Il est difficile de voir une guérison dans l’état de ces pauvres diables renvoyés dans leur garnis ou leurs ateliers qu’ils ont quittés deux heures auparavant peut être avec leurs acarus morts mais avec tous leurs boutons, plus une couche sur tout le corps d’une pommade qui altère à tout jamais leur linge et neuf fois sur dix avec une éruption nouvelle produite par le traitement . Seuls, les militaires, jeunes gens vigoureux peuvent supporter le traitement mais les femmes et les gens du Monde non.

Des progrès substantiels seront réalisés plus tard avec le Baume du Pérou (1860) puis les pyréthrines (1930), le Benzoate de benzyle (1937).

Revenons pour terminer au sarcopte. Son heure de gloire fut importante dans les années 1950, chacun vantant la facilité avec laquelle on pouvait l’extraire.

Ainsi, Bazin : « on déchire avec une aiguille l’épiderme à 1mm environ du point blanc vers lequel on se dirige avec précaution. On presse l’instrument sous l’animalcule qui s’y cramponne en se tenant immobile pendant quelques instants. Il ressemble alors à un grain de fécule mais bientôt, il exécute des mouvements qu’on peut apercevoir même à l’œil nu. La découverte du parasite est un flagrant délit pathologique ». Il ajoute « la gale est une maladie fâcheuse qui couvre la peau de lésions de toute sorte à l’aspect répugnant ». Cette répulsion est illustrée dans la locution populaire « être méchant comme une gale ».

Devergie (1857) : « l’acarus enlevé de son sillon en hiver est engourdi par le froid, ramassé, pelotonné, immobile. Il suffit de l’approcher un peu du feu pour lui voir exécuter des mouvements forts rapides. Mis dans l’huile de cade, il s’agite, parait inquiet, étonné puis se roidit et s’immobilise ».

Lanquetin : « on introduit doucement une épingle parallèlement à la peau. Si l’opération est bien faite, on doit voir sur l’aiguille le sarcopte qui s’y tient cramponné. Cette petite opération est d’une extrême simplicité et ne demande qu’un peu d’habitude et une vue ordinaire ». Les mauvais esprits émettent des critiques. Ainsi, Augé dans son traité » Comment diagnostiquer la gale quand on n’est pas dermatologiste », écrit : « par le temps qui court où chaque médecin voit vingt fois plus de malades qu’il n’en peut examiner sérieusement, croyez-vous qu’il pourra dépenser deux heures à caractériser un sarcopte perché au bout d’une aiguille ? ».

Telle est, en « quelques » mots la véritable histoire du sarcopte de la gale.