WALLACH D.
Ann. Dermatol. Syphil., 1868, 1:1. Ann Dermatol Venereol 1994e; 121: 787-791

Extraits d’un article publié dans les Annales de Dermatologie, à l’occasion de leur 125eme anniversaire


L’histoire scientifique des Annales serait un très beau sujet de thèse : depuis 1868, sans interruption, on y trouve des travaux originaux qui ont fait progresser de façon continue les connaissances en dermatologie et vénéréologie.

Dans le cadre plus bref de ce texte, nous examinerons ce que fut le premier volume des Annales et évoquerons la personnalité de son fondateur, Adrien DOYON.

Adrien DOYON , 1827-1907

Pierre-Adolphe-Adrien Doyon est né à Grenoble le premier Novembre 1827. Il fut Interne des Hôpitaux de Lyon en 1848. Il eut comme maîtres notamment, Diday et Rollet, éminents dermatologistes et syphiligraphes. Il devint ensuite attache à l’hospice de l’Antiquaille, et publia avec Diday plusieurs ouvrages importants, sur les herpes génitaux, la thérapeutique des dermatoses, et l’enseignement de la dermatologie-vénéréologie.
En 1858, il s’installa à Uriage, et participa au développement de ce centre thermal, dont il devint médecin inspecteur, fonction qu’il conserva jusqu’à sa mort, à Uriage, le 21 Septembre 1907. Doyon était officier de la légion d’honneur et membre associe national de l’Académie de médecine.
Outre son rôle dans les Annales, Doyon était connu pour son action de vulgarisation des travaux des dermatologues de langue allemande. Il connaissait très bien l’allemand, avait voyage en Allemagne et en Autriche, et avait noue des relations avec les principaux chefs des cliniques dermatologiques de ces pays. Il publia des traductions des ouvrages de Hebra, Neisser, Auspitz, et de Kaposi. Sa traduction de Leçons sur les maladies de la peau, de M.Kaposi, publiée en 1881 en collaboration avec E.Besnier, est augmentée de nombreuses notes qui détaillent les points où les doctrines de l’École française et de l’École de Vienne différent, ce qui en fait un document particulièrement intéressant. Cette action de rapprochement des deux principaux centres dermatologiques européens, à une époque où les deux pays étaient en conflit, mérite certainement d’être soulignée.

La fondation des Annales

Doyon fit oeuvre de pionnier en fondant les Annales, à un moment où n’existait pas en France d’autre périodique de spécialiste, et où l’existence même des spécialistes et de leur enseignement était contestée par la Faculte. Il eut cependant des prédécesseurs:

  • Syphilidologie, crée en 1838 à Leipzig par F-J.Behrend et publié jusqu’en 1862.

  • Les Annales des maladies de la peau et de la syphilis, œuvre personnelle de A.Cazenave, publiées de 1843 à 1845 puis, en collaboration avec Maurice Chausit, de 1850 à 1852.

  • le Giornale italiano delle malattie veneree e delle malattie della pelle, cree en 1866 à Milan par G.B.Soresina, premier authentique journal de la spécialite.

  • le Journal of cutaneous medicine and diseases of the skin, fonde en 1867 à Londres par Erasmus WILSON, et qui ne fut publié que pendant quatre ans.

Un journal de spécialiste

Doyon fit preuve de témérité, et d’une rare clairvoyance, en créant les Annales, dont, certes, « le besoin se faisait sentir », mais qui nécessitèrent de remarquables qualités.
Le projet est expose dans l’introduction au premier numéro, et illustré par tous les numéros des premières années. De quoi s’agit-il?
Les Annales sont d’abord destinées à constituer une tribune pour les débats entre spécialistes, un trait d’union permettant des discussions en pleine lumière, nécessaires du fait de la confusion qui s’épaississait, sur de nombreux points.
Cette marche vers le progrès devait s’opérer, indiquait Doyon, par les mémoires originaux, et le travail de critique. En outre, le lecteur sera informe, par la plume d’analystes renommes, où Doyon lui-même aura une grande place, des publications du monde entier.
Des le premier numéro, Doyon s’etait assure de la collaboration de très nombreux spécialistes, français et etrangers, parmi lesquels on releve les noms de Bassereau, Bazin, Devergie, Diday, Fournier, Hardy, Hebra, Hillairet, Lailler, Pelizzari, Ricord, Rollet.
Leur liste complète comporte 35 noms et se termine par un « etc. » des plus œcuméniques.
Doyon prévoyait pour ces collaborateurs un rôle important, de rédaction certes, mais aussi de critique, non seulement théorique, mais aussi pratique, vérifiant, contrôlant à l’Hôpital le bien-fonde des nouvelles méthodes diagnostiques, thérapeutiques, statistiques (épidémiologiques) proposées à la Rédaction.
Les Annales se veulent ouvertes à toutes les doctrines, et à toutes les nationalités: le même accueil est réservé aux productions étrangères et aux « travaux indigènes ».
Les compte-rendus des congrès, livres, journaux, de tous pays seront publiés, afin de faire « œuvre cosmopolite ». Effectivement, la revue de la littérature, comme la revue des sociétés savantes et des congrès, sera dès le premier numéro une partie considérable des Annales.

Le premier volume

Le premier volume des Annales, tel qu’il est conserve à la bibliothèque Henri-Feulard, et dans toutes les bibliothèques universitaires de dermatologie est un in-8e de 21x13cm, et 528 pages. Il comporte six numéros, publiés tous les deux mois de Novembre 1868 à fin 1869 (Les Annales deviendront un mensuel en 1882).

Le premier numéro, après l’introduction de Doyon, contient les articles suivants:

  • Contribution à l’etude du rhumatisme blennorrhagique, par A.Fournier. Il s’agit de la première partie d’un expose magistral, qui se poursuivra dans les numéros suivants.

  • De l’emploi de la glace contre certaines affections de l’appareil testiculaire, par P.Diday. Ici aussi, il y aura une suite au numéro suivant.

  • Des maladies vénériennes et syphilitiques de l’utérus, par J.Rollet, avec aussi une suite au numéro suivant.

  • Des diathèses dans les dermatoses, par E.Guibout. Ce seul article non vénéréologique est un plaidoyer pour la prise en compte des facteurs généraux dans les dermatoses, selon la doctrine enseignée à ce moment à l’Hôpital Saint-Louis.

  • Bibliographie: une longue analyse, par J.Garin, d’un ouvrage de J.Jeannel (Bordeaux) sur la prostitution et les maladies vénériennes.

  • Revue des journaux (nous dirions abstracts). Cette rubrique, qui occupera toujours une place importante dans les Annales (des le second numéro, elle occupe vingt pages), est rédigée par A.Doyon. Il analyse en détail des articles récents du Lancet, du British Medical Journal, et du Giornale italiano delle malattie veneree e delle malattie della pelle.

  • Enfin, ce premier numéro se termine, par une rubrique » Formules et recettes » (nous dirions Dermatologie pratique), qu’il m’est impossible de ne pas vous livrer: il s’agit de moyens de lutter contre les pollutions séminales: on propose, « Avant de se mettre au lit, appliquer sur l’hypogastre une plaque d’étain, triangulaire qui occupe l’espace compris entre le pubis et l’ombilic. La garder toute la nuit. » (…). Ce moyen empirique n’étant pas toujours efficace, l’auteur de la rubrique, Diday, ajoute: « On se rappelle que A.Bonnet conseillait, dans le même but, l’introduction dans le rectum de corps étrangers métalliques ».

Les numéros suivants du premier volume des Annales sont construits sur le même plan, dont on note qu’il est pratiquement identique à celui de nos périodiques actuels. Les points suivants me paraissent remarquables:

  • les premières illustrations sont des reproductions en couleurs de dessins de lésions blennorrhagiques du col utérin (dans la seconde partie de l’étude de J.Rollet débutée dans le premier numéro).

  • traduction résumée d’un mémoire de Erasmus Wilson, lu en Avril devant la Société Harveyenne de Londres, puis publié dans le Journal of Cutaneous Medicine. Au cours des années suivantes,

  • la revue des congrès internationaux et des Sociétés savantes, françaises et étrangères, occupera une place importante dans les Annales.

  • Lailler inaugure une rubrique intitulée: « Hôpital Saint-Louis », (nous dirions: cas cliniques) avec deux observations: « Avortement au terme de deux mois et demi – Éruption de taches purpuriques gangreneuses – Probabilité d’ergotisme aigu » et « Gangrène circonscrite de la peau ».

Une partie importante du cinquième numéro est consacrée au rapport « Prophylaxie internationale des maladies vénériennes » présenté au Congrès médical international de Paris, 1867, par Crocq (Bruxelles) et Rollet (Lyon) au nom d’une commission internationale. Les problèmes d’épidémiologie et de prophylaxie des maladies vénériennes étaient très présents dans les Annales, avec plusieurs lettres documentées de spécialistes, réalisant la tribune voulue par Doyon.
L.Guerard rédige une « chronique de l’Hôpital Saint-Louis » (nous dirions: Reportage). Il explique qu’après la retraite de Cazenave, Gibert et Devergie, l’enseignement willanique n’est plus représenté; et que deux hommes résument le mouvement scientifique en dermatologie:
Hardy, disciple d’Alibert, et Bazin, qui, de façon personnelle, conciliait les héritages d’ Alibert et de Willan. Les doctrines de Hardy et de Bazin sont à la fois proches et différentes; le point essentiel tient à la nature et à la cause des dermatoses: sont-elles accidentelles? ou témoignent-elles d’une diathèse? S’agit-il de symptômes ? ou d’entités morbides? Guerard tente de clarifier la confusion qui, dit-il, règne dans beaucoup d’esprits. On le croit volontiers.
Enfin, s’il manquait encore la rubrique « Enseignement post-universitaire » (anachronisme, car, on l’a dit, la Faculté n’enseignait pas la spécialité), elle apparait dans le sixième numéro, avec la première leçon du Cours clinique des maladies de la peau, professe à l’Hôpital Saint-Louis par le Professeur Hardy, et recueillie par M.Babaut, externe du service.
Cette leçon est suivie par un extrait d’une leçon de Fournier, professée à l’Hôpital de Lourcine, sur l’analgésie syphilitique secondaire.

Conclusion

La création des Annales par Adrien Doyon, médecin libéral lyonnais, est chronologiquement le premier des trois évènements qui structurèrent la dermatologie-vénéréologie comme spécialité à part entière. Les deux autres seront la création de la chaire des maladies cutanées et syphilitiques, dont le premier titulaire fut Alfred Fournier, en 1879, et la fondation de la Société française de dermatologie et de syphiligraphie, en 1889, accompagnée de la création du Bulletin, petit frère des Annales qu’il accompagna jusqu’à la fin de 1976.
Travaux originaux, leçons magistrales, revue de la littérature (livres, revues, thèses) et des congrès, observations cliniques, notes pratiques, discussions, comite de rédaction de haut niveau, éditeur attentif, rien ne manqua, dès l’origine, aux Annales, de tout ce qui, encore aujourd’hui et certainement pour longtemps, fait le nécessaire, irremplaçable succès de la littérature dermatologique.