Un certain nombre d'historiens des sciences de la vie
ont progressivement pris conscience de l'intérêt qu'il y
aurait à créer une Société afin de rassembler les
énergies éparses et d'assurer la collecte, la discussion
et la diffusion des travaux relatifs à un domaine
d'études actuellement en plein essor. La solution qu'ils
ont retenue a été de constituer une Société de droit
français, fonctionnant comme une association déclarée
selon la loi de 1901, mais à vocation internationale,
car elle doit viser à rassembler les chercheurs sans
considération de nationalité. Cette Société aura pour
objet l'histoire et l'épistémologie des sciences de la
vie, considérées à toutes les époques et dans toute leur
étendue, c'est à dire y compris la biogéographie, la
paléontologie ainsi que la biologie médicale, sans
empiéter pour autant sur l'histoire de la médecine
proprement dite. Le français en sera la langue
préférentielle, mais non exclusive. L'association,
largement ouverte, pourra regrouper des historiens, des
spécialistes de sciences sociales, des philosophes et
des scientifiques, qu'ils soient universitaires,
amateurs ou étudiants.
La Société s'est constituée le 20 novembre 1993, et a
adopté ses statuts le 9 avril 1994. Elle a été déclarée
à la préfecture de police de la Seine, et fut domiciliée
à la Faculté de Médecine Necker, à Paris. Le bureau de
la Société a été constitué provisoirement de la manière
suivante : Président : Prof. C. BANGE, Université de
Lyon I ; Vice-Président : Dr M. BUSCAGLIA, Université de
Genève ; Trésorier : Prof. A. DEBRU, Université de Lille
III ; Secrétaire : Dr J.P. GAUDILLIERE, INSERM, Paris.
Pour remplir son objet, la Société se propose notamment
d'organiser des réunions scientifiques à dates
régulières, de publier les travaux qui y seront
présentés, et de concourir à l'information régulière de
ses membres sur l'actualité de la discipline, au moyen
d'un bulletin périodique. Ce Bulletin est également
destiné à accueillir de courts textes de synthèse, des
articles à visées méthodologiques et pratiques, des
compte-rendus de colloques et réunions, des revues
bibliographiques, ainsi que des notices biographiques.
C'est dire à quel point ce Bulletin doit devenir la
tribune de tous les chercheurs.
Allocution de Claude Debru pour les 10 ans de la SHESVIE,
Nantes 2004
Nantes, Congrès de la Shesvie, le 18 mars 2004
Les dix ans de la Shesvie : un témoignage
Je remercie les responsables de la Shesvie de m'avoir
invité à prendre la parole dans la circonstance très
heureuse qui est celle d'aujourd'hui. La Shesvie a dix
ans. C'est plus que l'âge de raison. En réalité, la
Shesvie a plus de dix ans, et je voudrais relater ici,
pour la petite histoire, les circonstances qui ont
abouti à la création de plusieurs sociétés scientifiques
dans le domaine de l'histoire et de la philosophie des
sciences en France, pour autant que je connaisse toutes
ces circonstances, et je vous prie à l'avance de
m'excuser de ne pouvoir parler que de celles que je
connais plus particulièrement et directement, cela est
aussi l'occasion fort agréable d'égrener quelques
souvenirs.
La Shesvie a eu une première naissance, avortée, dans
les années quatre-vingt. A cette époque, le paysage de
l'histoire et de la philosophie des sciences dans ce
pays était assez décourageant pour les jeunes qui
souhaitaient s'investir dans ce domaine. Il n'y avait
presque plus rien, en dehors de disciplines plus
générales comme la logique et la philosophie de la
connaissance. Les grandes lumières des générations
précédentes avaient cessé de rayonner, ce qui est un
phénomène tout à fait naturel d'ailleurs, et les
institutions en charge étaient faibles, quasiment en
cessation d'activité. Je me permets d'insister sur ce
que cette situation avait de littéralement révoltant
pour les jeunes. Un signe, cependant, était venu, de
l'Académie des sciences. Je fais allusion à ce qui s'est
passé il y a plus de vingt ans, lorsqu'Alfred Kastler,
Prix Nobel de Physique, et je me permettrai d'ajouter
grand alsacien, a pris l'initiative de créer un groupe
de travail sur l'histoire des sciences en France, groupe
de travail qui a émis un rapport et des recommandations
sous la forme d'une motion dite "motion Kastler", en
1983. Malheureusement, Alfred Kastler est décédé très
peu de temps après, et les suites du rapport sont
restées limitées. Un seul poste de professeur a été
créé, précisément ici à Nantes, poste occupé par le
mathématicien Jean Dhombres. Le rapport insistait sur la
nécessité de créer des pôles régionaux, sous la
responsabilité d'un professeur chargé de coordonner les
activités dans ce domaine entre les différentes
universités et les différents laboratoires impliqués. Il
a fallu vingt ans pour aboutir à la réalisation du
programme tracé par Alfred Kastler. Que l'on me permette
de rendre ici hommage à sa mémoire.
C'est dans le groupe de travail réuni par Alfred Kastler
que, introduit par René Wurmser (ancien directeur de
l'Institut de biologie physico-chimique, mais également
ancien de Strasbourg, cela dit entre parenthèses), j'ai,
pour la première fois, rencontré un autre grand
alsacien, Pierre Karli, rencontre qui a eu, une dizaine
d'années après, quelques suites. Le rapport Kastler
comportait une partie sur les sciences de la vie et la
médecine (Jean Hamburger faisait d'ailleurs partie du
groupe de travail), que l'on m'a demandé de rédiger. Je
l'ai rédigée en deux parties, une partie sur l'histoire
historienne, une partie sur l'histoire philosophique et
épistémologique. Cette expression d'histoire
historienne, nullement polémique et simplement
descriptive, se retrouve dans un article publié quelque
temps plus tard par Jacques Roger, qui sans doute avait
pris les choses un peu autrement. Jacques Roger était
l'un de ceux qui, à l'époque, dans la situation
institutionnelle et intellectuelle assez désastreuse que
j'ai décrite, jouait un rôle réel et positif.
Dans cette conjoncture, et alors que j'étais
personnellement très marqué par l'expérience américaine,
je me suis dit qu'il n'y avait qu'un moyen de s'en
sortir, c'était de se prendre soi-même en charge, de ne
plus dépendre d'institutions faibles et peu
coopératives, et de créer des associations. Je m'en suis
ouvert, à l'époque, à ma collègue Hourya Sinaceur, qui
se trouvait à peu près dans le même état d'esprit que
moi. Je lui ai dit qu'il fallait créer des associations,
et c'est ce qui a été doublement fait. Les historiens
des mathématiques ont créé l'Association Henri Poincaré
pour l'histoire des mathématiques, qui a vécu assez
longtemps, une vingtaine d'années environ, et qui a eu
une activité très remarquable. Que faire du côté des
sciences de la vie et de la médecine? Des discussions
ont eu lieu avec Anne Fagot-Largeault et d'autres, qui
ont abouti à la création de l'association Philomed dont
elle était la présidente et dont j'étais le secrétaire.
L'activité de cette association n'a pas été
satisfaisante, elle a vite disparu, malgré les appels de
certains médecins qui, pendant des années encore, m'en
ont parlé. La situation, de ce côté, n'était pas mûre.
Pour ma part, séjournant à Lyon dans le laboratoire de
Michel Jouvet, j’y ai soutenu ma thèse sous la direction
de François Dagognet en 1982, thèse dans le jury de
laquelle se trouvait Christian Bange, rencontre
également significative. Puis je suis allé à Strasbourg,
appelé par Pierre Karli en 1991, pour, entre autres
choses, participer à la fondation d'une société,
l'Association européenne pour l'histoire de la médecine
et de la santé, dont le premier Président a été Ulrich
Tröhler, alors directeur de l'Institut d'histoire de la
médecine de l'Université de Göttingen avant de prendre
la direction de l'Institut de Fribourg en Brisgau et de
devenir ainsi notre voisin. Pour ma part, j'ai assuré
les fonctions de secrétaire de l'Association pendant
quatre ans et de trésorier pendant huit ans.
L'Association a collaboré avec la Fondation européenne
de la science ainsi qu'avec la Fondation Mérieux. Je
n'ai eu aucune espèce d'hésitation à aller à Strasbourg,
impressionné que j'étais par l'exceptionnelle dimension
intellectuelle et humaine des personnalités, françaises
et allemandes, impliquées dans les projets de
l'Université Louis Pasteur. C'est d'ailleurs à
Strasbourg que j'ai rencontré Michel Meulders, visiteur
régulier du séminaire de lecture de Helmholtz destiné
primitivement aux étudiants de DEA, séminaire qui a été
colonisé par les collègues et qui est devenu depuis une
Académie qui se réunit régulièrement.
L'expérience de la gestion scientifique et matérielle
d'une association européenne m'a conduit à l'idée qu'il
était indispensable de reprendre le travail sur le plan
français, que l'Europe ne pouvait se substituer aux
nations défaillantes, et que la chose était
véritablement faisable, je veux dire qu'il n'y avait
aucun obstacle, même pas d'obstacle psychologique, à
cela. Comme on dit en alsacien, ou en allemand qui n'est
qu'une variété d'alsacien, "wer will, der kann", qui
veut peut. Pour rendre justice à la France, on dit aussi
qu'impossible n'est pas français. Je n'étais apparemment
pas le seul à en être convaincu, et des rencontres ont
eu lieu à Paris, avec Charles Galperin, Jean Gayon,
Jean-Louis Fischer, Christian Bange, Roselyne Rey,
Marino Buscaglia et d'autres sans doute. Il était
évident, au moins pour moi, que la chose ne pouvait être
viable que si elle permettait de dépasser les clivages
parisiens. Nous nous sommes donc tournés vers Christian
Bange, qui a accepté, très généreusement, de piloter
cette affaire et de mettre à la fois son immense savoir
et sa scrupuleuse honnêteté au service d'une communauté
qui n'était pas sa communauté principale ou d'origine.
Christian Bange a donc été le Président fondateur de
notre société. Il a conduit l'Assemblée Générale
fondatrice qui a eu lieu à la Sorbonne dans
l'amphithéâtre Gaston Bachelard il y a dix ans. Le
premier Congrès de la Société a eu lieu quelque temps
après, peut-être un an après, à la Faculté de Médecine
de Strasbourg, dans la belle salle des Actes qui
contient des collections d'histoire de la médecine.
L'une des dispositions qui devaient de toute évidence
être prises dans les statuts, était d'alterner les
Présidences entre responsables français et non-français.
C'est bien ce qui a été fait, et cela est un facteur
important et même crucial de la vie d'une société comme
la nôtre. La société a eu, a, quatre Présidents
successifs : Christian Bange, de Lyon, Marino Buscaglia,
de Genève, Charles Galperin, qui n'est pas seulement
parisien mais tout autant lillois, et Lille est une cité
qui doit être également mentionnée dans cette histoire,
et aujourd'hui Michel Meulders, de l'Université de
Louvain-la-Neuve qui est une merveilleuse et harmonieuse
synthèse de la Belgique. Ma tâche est donc de les
remercier. Une sorte de géographie mentale assez
cohérente se dégage, fort curieusement, de
l'appartenance de nos Présidents successifs :
Lyon-Genève, Lille-Louvain, ce sont les deux extrémités
de la Lotharingie. Au milieu de la Lotharingie,
Strasbourg. La stabilité culturelle de nos sociétés sur
la longue durée est un phénomène très remarquable.
Cher Christian, cela fait plus de vingt ans que nous
nous connaissons et que nous nous retrouvons
régulièrement. Vous représentez, véritablement, la
quintessence de la qualité lyonnaise. Votre savoir est
littéralement prodigieux. Vous connaissez avec une égale
profondeur les Pères de l'Eglise, vous possédez
l'intégralité de la collection des Sources chrétiennes,
et les labyrinthes de la biochimie et de la physiologie.
Vous avez été l'élève de Marcel Florkin à Liège,
lui-même grand amateur et professionnel de l'histoire
des sciences, puisqu'on lui doit une monumentale
histoire de la biochimie. Vous représentez, au milieu
d'évolutions qui n'ont pas toujours été favorables, mais
qui aujourd'hui le redeviennent un peu plus, la
physiologie, science reine, générale et comparée,
intégrative autant que matérielle, naturellement liée à
la biochimie. Vous enseignez dans la ville de Claude
Bernard, dans l'Université Claude Bernard, où
physiologie et médecine ont noué une alliance jalonnée
par des noms illustres et où l'esprit physiologique est
plus vivant que jamais. Rien ne vous échappe de cette
histoire glorieuse, mais votre curiosité ne s'arrête pas
là. Vous avez d'autres passions, d'abord celle de la
botanique. La recherche de telle rare variété de fougère
dans tel site escarpé de la montagne espagnole ne vous
effraie nullement. Vous connaissez sur le bout des
doigts, cela va sans dire, la flore du Lubéron, si
particulière. Si nous vous lançons sur ces sujets, nous
n'en sortirons pas. De tels sujets ne sont pas seulement
pittoresques. Leur importance pour la théorie de
l'évolution est apparemment considérable. J'ai
d'ailleurs remarqué, à cet égard, que vous êtes un
esprit indépendant, avec une certaine sympathie pour les
causes difficiles ou presque perdues. Vous aimez
l'argumentation et connaissez très bien le droit, je
crois l'une de vos inclinations. En tant que Président
de la Société Linnéenne de Lyon, vous avez un agenda
chargé et de grands projets internationaux entre les
différentes sociétés linnéennes en cours de réalisation.
Vous avez une autre passion, tout aussi officielle, et
cela est fort heureux pour notre communauté, c'est celle
de l'histoire des sciences. J'ai mentionné Marcel
Florkin. Mais votre goût pour l'histoire des sciences ne
doit peut-être pas tout à son exemple. Comme
physiologiste, vous savez que l'important est
l'interface entre les organismes et les instruments qui
les explorent, en ne donnant d'ailleurs chaque fois
qu'une image particulière de leur fonctionnement. Vous
êtes un grand amateur d'instruments scientifiques, nous
en avons aujourd'hui un bel exemple dans le programme du
Congrès et dans l'exposition qui l'accompagne.
J'ai aussi l'impression que l'histoire, à savoir la
longue durée, vous passionne pour elle-même, et la
longue durée nous amène à la philosophie. Lorsque vous
m'avez demandé, il y a plus de vingt ans, de collaborer
à des enseignements d'histoire des sciences en DEUG
série B au campus de La Doua de l'Université Claude
Bernard, je vous ai demandé la permission d'assister à
vos propres cours. Je me souviens de leçons où vous avez
parlé de Thalès tout autant que d'Aristote. Les
étudiants, jeunes scientifiques, dans un vaste
amphithéâtre bien rempli, étaient très attentifs. Il
faut le faire, et ce n'est certes pas si simple. Cela me
ramène à la cité lyonnaise, à l'alliance si réussie de
la grande culture, de l'innovation scientifique et
technologique, du capital financier et de l'industrie
qui a toujours été une caractéristique remarquable de
cette ville. Lyon est indubitablement une capitale, une
sorte de deuxième capitale pour notre pays, une ville
qui est pour les autres un exemple à suivre. La
richesse, de toute sorte mais d'abord culturelle,
n'effraie pas les lyonnais. Elle fait partie de leur
savoir-vivre, et ils savent en faire bon usage. Vous en
faites aujourd'hui un usage remarquable, en fondant dans
votre résidence beaujolaise une bibliothèque dont il est
aisé d'imaginer quel chef d'œuvre de soin et de patience
elle représente. Je dois vous dire très simplement, cher
Christian, que j'éprouve, de temps à autre, une
nostalgie lyonnaise, tout comme il m'arrive d'éprouver
une nostalgie strasbourgeoise. Devant certaines
difficultés, il m'arrive de me dire qu'après tout,
pourquoi ne pas revenir à Lyon, pour collaborer avec des
collègues infiniment sérieux et respectés, aider à un
mouvement qui semble maintenant bien lancé, à Lyon et
dans la Région Rhône-Alpes en collaboration avec les
universités grenobloises et en particulier avec l'ami
Jacques Lambert, et aussi avec des projets de
coopérations interfacultaires, entre Faculté de
Philosophie, Faculté de Médecine, INSERM et sans doute
scientifiques de l'Université Claude Bernard. Ce sont là
les fruits à long terme de l'initiative prise par Alfred
Kastler il y a vingt ans et qui a rencontré, à Lyon,
après de longs efforts, un terrain favorable. Cher
Christian, vous êtes un constructeur, patient,
persévérant, méthodique, et votre modestie bien connue
ne fait qu'ajouter au respect qui vous entoure. Mais
personne ne pourrait vous imaginer sans Renée, elle
aussi la quintessence des qualités lyonnaises. Vous vous
ressemblez et vous complétez admirablement. Vous êtes un
couple de scientifiques exemplaire. Tous deux
physiologistes, je dirai grands universitaires, vous
êtes extrêmement attentifs aux étudiants, au respect qui
leur est dû, à leur formation, autant que possible
destinée à en faire des acteurs de la vie économique et
pas seulement ou nécessairement scientifique. Vous avez
le souci des jeunes, et n'avez eu aucune difficulté à
créer, tous les deux, des enseignements destinés à
faciliter leur intégration professionnelle. Là encore,
ce n'est pas si simple, et vous avez réussi. De vos deux
fils, l'un est un scientifique, normalien, physicien et
astrophysicien, l'autre, Raphaël, est historien,
spécialisé en histoire des sciences. Il apporte une
collaboration extrêmement précieuse aux projets de
Pietro Corsi au Centre d'histoire des sciences et des
techniques de La Villette à Paris. Notre communauté vous
est donc doublement redevable, pour votre action et vos
travaux dans le domaine de l'histoire des sciences, et
maintenant pour nous avoir également donné, si j'ose
dire, avec Renée, Raphaël. Merci, de tout cœur! A
l'occasion du dixième anniversaire de notre société dont
vous avez été le Président fondateur, cet hommage doit
vous être rendu, et j'ajoute rendu à vous trois.
Je souhaite également associer, peut-être un peu plus
brièvement, vos successeurs à cet hommage. Marino
Buscaglia, cher Marino, je ne sais plus dans quelle
circonstance nous nous sommes rencontrés, mais j'ai été
immédiatement frappé par ta personnalité si vivante,
aiguë, chaleureuse et parfaitement authentique. Tu es un
vrai chercheur, un biologiste extrêmement distingué, tu
as travaillé au Muséum à Paris, puis avec Etienne
Baulieu à Bicêtre, ainsi qu'avec Roger Guillemin aux
États-Unis. Tu as pu développer à Genève des
enseignements d'histoire des sciences, en collaboration
avec Jean-Claude Pont, à la Faculté des sciences. Tu
étais tout désigné pour devenir le premier non-français
à assurer la Présidence de la Société, et tu l'as fait
avec un dévouement et même un héroïsme exemplaires dans
des conditions qui, pour toi-même, étaient loin d'être
favorables. L'ami Charles Galperin t'a succédé. Cher
Charles, nous nous sommes rencontrés pour la première
fois dans le séminaire que François Dagognet dirigeait
périodiquement, en venant de Lyon, à la rue du Four,
sous l'oeil vigilant de Georges Canguilhem. J'ai appris
ainsi que tu travaillais sur la biologie moléculaire, je
travaillais sur la biochimie, nos champs étaient donc
proches. Ta personnalité est littéralement universelle,
entre les religions, les cultures, les lettres et les
sciences, les grands Instituts (tu es une sorte de
pastorien honoraire). Il était là encore évident que tu
devais prendre en charge, un jour ou l'autre, la
Société. Tu l'as fait avec ta diplomatie habituelle.
Enfin Michel Meulders. Cher Michel, nous nous sommes
rencontrés à Strasbourg, rapprochés par Pierre Karli, tu
es alsacien par Marie-Thérèse, grande dame du droit en
Europe. Je ne vais pas faire ton éloge, cela prendrait
beaucoup de temps, mais parmi tes nombreux titres,
travaux, et très hautes fonctions, tu as un titre
supplémentaire, qui est la sagesse et le rayonnement
singuliers que donne, indubitablement, une appréciation
de l'existence humaine puisée aux sources les plus
profondes de la réflexion. Notre Société doit donc se
sentir particulièrement honorée du fait que tu aies
accepté une Présidence de plus, une charge de plus,
s'ajoutant à tes occupations. Ta stature propre, et ton
intérêt profond pour l'histoire des sciences te
désignaient naturellement pour cette charge. Tu nous a
donné un Helmholtz qui est une totale réussite, car tu
as l'art de susciter chez ton lecteur une furieuse envie
de lire et de relire ce grand berlinois très austère,
dont tu proposes une image véritablement humanisée.
Parmi ceux qui ont également joué un rôle dans le
développement de notre Société, Patrick Triadou,
rencontré grâce à notre ami Philippe Meyer,
c'est-à-dire, in fine à Monsieur Jean Bernard qui lui
aussi a joué ainsi, indirectement, un rôle. Patrick, tu
es un ancien de l'Institut Pasteur, tu es à la fois un
hématologiste et un sinologue également distingués, tu
es maintenant un politique avisé du système hospitalier.
Je me souviens des réunions du conseil d'administration
de la Société que tu as hébergé dans la salle de réunion
du Département d'Hématologie à la Faculté de Médecine
Necker, Département dirigé par Georges Flandrin, grand
spécialiste, comme toi, des leucémies et de leurs
classifications. Là encore, il y a un cercle qui
s'établit, des leucémies à l'histoire des sciences et
qui, grâce à toi, va jusqu'à la Chine. Jean-Paul
Gaudillière a été le premier secrétaire de notre
société, je souhaite mentionner également son nom d'une
manière reconnaissante. J'ai moi-même assuré le
secrétariat pendant quelques années, Armelle a assuré la
trésorerie et les relations avec l'imprimeur lillois.
Mais je souhaite surtout me tourner maintenant vers nos
successeurs, Jean-Claude Dupont et Stéphane Tirard, qui
jouent un rôle crucial dans le fonctionnement de la
Société. Jean-Claude, je n'ai pas gardé de souvenir
précis de notre première rencontre, mais un souvenir
très précis de ta soutenance de thèse à Lille, sous la
direction de Gérard Simon, et de Charles Galperin, thèse
à laquelle participait également Jean Lecomte, distingué
biochimiste liégeois. Tu as pu entrer dans le système de
l'enseignement et de la recherche en histoire des
sciences, ta productivité et ta solidité sont absolument
impressionnantes, la suite devrait normalement venir
d'une façon ou d'une autre. Nous te devons, d'ores et
déjà, énormément. Stéphane, j'ai été personnellement
moins mêlé à ta propre histoire, bien qu'il y ait des
points communs entre nous, par exemple Gabriel Gohau,
fidèle du séminaire de Georges Canguilhem à la rue du
Four, mais nous nous sommes rencontrés à de nombreuses
reprises, également en Espagne d'ailleurs, car nous y
avons fréquenté les mêmes endroits, et je crois savoir
que tu as de ce côté-là des affinités que je partage
entièrement. Ton équilibre, ta sagesse personnelle, ta
solidité, ta distinction venue peut-être en partie de
l'Espagne, te désignent toi aussi évidemment pour des
charges plus importantes. Les institutions ont besoin
d'hommes, sans quoi elles dépérissent. Il faut te
remercier pour la parfaite organisation du Congrès dans
ce lieu véritablement magnifique.
Les Congrès maintenant. Nous avons eu de la chance, ils
ont toujours eu lieu dans des sites remarquables :
Strasbourg (Faculté de Médecine), Lyon (je me (je me
souviens d'une soirée mémorable que Michel Delsol et son
épouse, avec leur générosité habituelle, avaient
organisée chez eux quai Gailleton à l'occasion de ce
congrès), Genève (Faculté des sciences, quai Ernest
Ansermet, grâce à l'activité de Marino Buscaglia),
Montpellier (congrès organisé par Annie Petit au cours
de journées cristallines d'un mois de mars languedocien,
et je me souviens d'un déjeuner avec François
Duchesneau, venu de Montréal, sur une esplanade
montpelliéraine ensoleillée), Lille bien sûr, centre
intellectuel et scientifique où des choses très
remarquables se sont passées et continuent d'agir,
Louvain (à l'occasion d'une journée scientifique très
réussie, organisée par Bernard Feltz, sur la plasticité
nerveuse, thème d'une très grande actualité
scientifique), et sans doute d'autres lieux (je n'ai
malheureusement pu assister à tous les Congrès).
Aujourd'hui à Nantes, nous découvrons le patrimoine
scientifique remarquable du Muséum d'histoire naturelle.
Si j'ai bien compris, il y a un projet de Congrès à
Milan, grâce à l'hospitalité de Maria-Teresa Monti. Nous
sommes devenus, véritablement, européens.
Je souhaiterais, pour finir, tirer une leçon
philosophique générale de cette histoire dont j'ai
donné, inévitablement, une version trop subjective et
unilatérale, et je vous prie de m'excuser de ce travers
gênant. Si j'ai voulu retracer cette aventure en le
faisant d'un point de vue peut-être excessivement
personnel, et qu'il faudrait sans doute immédiatement
compléter par d'autres témoignages d'autres acteurs,
c'est en vue de montrer quelque chose de particulier, à
savoir l'importance durable des rencontres, toujours à
l'origine plus ou moins aléatoires, dans la vie et la
société humaines, et la valeur créatrice des décisions,
des mouvements individuels. Rien de plus important que
de transformer l'amitié en création. La création
collective ne peut pas se concevoir sans l'amitié, et, à
son tour, la création collective est indispensable pour
entretenir l'amitié. Que la Shesvie soit devenue un
espace d'amitié et de création, cela est en soi une
réussite remarquable. J'ajouterai que les mouvements
individuels ne font en réalité que traduire, du moins je
le crois, des mouvements de fond de nos sociétés. Je
dirai donc aux jeunes, allez-y, n'ayez pas peur, selon
une parole célèbre de l'actuel titulaire du Saint-Siège
romain. C'est vous qui êtes les porteurs du renouveau,
et le devoir le plus sacré des seniors que nous sommes
devenus les uns et les autres est de nous mettre à votre
service et non l'inverse. Pour finir, j'aurai une pensée
pour Georges Canguilhem, il aurait cent ans en juin
2004, c'est à lui que beaucoup d'entre nous doivent
l'inflexion de leurs destinées.
Claude Debru