Je me mets en état de faire tout ce que désirez de moi afin que reconnaissiez que je ne me veux pas épargner en aucune chose qui regarde votre service. Voilà que j’écris, selon que le désirez, à M. Charpentier, malade ex podagra notre collègue, combien que je n’aie point de grandes habitudes avec lui, et nul commerce du tout. J’écris néanmoins hardiment, tant pour l’amour de vous et de monsieur votre père, [2] mon bon et ancien ami, que d’autant que votre demande est juste, civile et honnête. Je ne vous saurais dire quel cas M. Charpentier fera de ma lettre, comme il est un stoïque un peu bourru et un de ceux de notre Compagnie que je hante le moins ; mais parce qu’il est homme d’honneur et généreux, je ne laisse point d’en espérer quelque chose. Quoi qu’il en soit, et tout au pis aller, ut ut sit, [1] je fais ce qu’avez désiré : Facio, Domine, disait Pline [3] à Trajan, [4] quod voluisti ; [2] je souhaite qu’il réussisse.
Il y a ici querelle entre le prince de Condé [5] et le Mazarin. [6] M. le duc d’Orléans [7] est entre les deux, comme Crassus [8] était à Rome entre César [9] et Pompée, [10] sola futuri Crassus erat belli medius mora, [3] ce dit Lucain ; [11] celui qui aura le duc d’Orléans de son côté sera le plus fort. M. le Prince demande qu’il soit chassé et qu’en sa place la France soit gouvernée par un Conseil de plusieurs grands personnages qui seront choisis pour cet effet. On parle là-dessus de MM. le premier président, [12] de Nesmond, [13] d’Avaux, [14] Talon, [15] du maréchal de L’Hospital, [16] de Chavigny [17] et autres. [4] Le prince de Condé demande aussi qu’on fasse le procès à ceux qui n’ont point fait la paix avec l’Espagnol quand ils ont pu la faire avantageuse pour la France, et que l’on fasse rendre compte à ceux qui ont manié les finances depuis six ans. M. de Longueville [18] est ici arrivé depuis deux jours, qui vient pour aider à son beau-frère et qui est ennemi du Mazarin.
J’ai reçu de Lyon Philosophiam Epicuri cum animadversiones Petri Gassendi en trois volumes in‑fo ; on y travaille au Sennertus. [5][19] Le P. Caussin [20] popularis vester, [6] fait ici imprimer un livre intitulé De Regno et Domo Dei, il sera en deux volumes in‑fo. Je vous baise les mains et à monsieur votre père, à Madame Belin, à MM. Belin et Sorel, vos deux oncles, à MM. Camusat et Allen, et je serai toute ma vie, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
De Paris, ce 26e de septembre 1649.
Je n’ai point voulu cacheter la lettre de M. Charpentier afin que puissiez voir ce que je lui écris à votre sujet. Ce sera à vous de la fermer comme il vous plaira.