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Au très distingué M. Steph. Scheffer, [1] docteur en médecine à Francfort.
Très distingué Monsieur, [a][1]
J’ai jusqu’ici attendu ce que vous aviez envoyé par les Tournes ; [2] mais bien que ce paquet ne se hâte guère d’arriver, je vous écris afin de ne pas vous inquiéter plus longtemps par mon silence, et afin de vous saluer et remercier pour vos présents que j’attends de jour à autre, ainsi que que votre dernière lettre, datée du 16e de mai. Vous n’avez pas à vous tracasser outre mesure pour le 2e tome des Epistolæ du très distingué Claude Saumaise, pour l’Opus practicum de Sebizius et pour les Criticæ Epistolæ de Reinesius : ils nous arriveront quand ils auront enfin été donnés à imprimer. [2][3][4][5] Je vous ai inutilement mis en peine de les trouver, leurré par le catalogue de votre foire. [6] Je prendrai mieux mes précautions une autre fois et n’ajouterai pas aussi facilement foi à une liste si mensongère. En attendant, je voudrais que vous pardonniez ma curiosité et mon avidité de posséder de tels livres. Il y a diverses raisons pour lesquelles je désirais vivement voir chacun de ceux-là ; peut-être seront-ils publiés un jour et mis en vente ici. J’ai en mains trois traités manuscrits du très distingué Hofmann, de Humoribus, de Partibus similaribus, de Calido innato et spiritibus ; [3][7] comme ils sont physiologiques, je voudrais les joindre aux Chrestomathiæ physiologicæ du même auteur, que j’ai ici à faire imprimer. En réunissant tout cela avec les Chrestomathiæ patholologicæ du même Hofmann, [4] que j’ai ici pareillement manuscrites, on ferait deux tomes in‑fo, un peu moins épais que ce Lexicon etymologicum que votre M. Götze a publié il y a cinq ans. Je traiterais très volontiers avec lui s’il voulait sérieusement songer à les publier, à la condition que tous ces inédits du très distingué Hofmann paraissent ensemble, car je pense que rien ne doit en être détaché, de sorte qu’en étant réunis et en n’étant pas dépareillés, ils forment un Corpus integrum Medicinæ. [5][8][9] Peut-être n’acceptera-t-il pas l’édition d’un si volumineux ouvrage ; mais moi, par la grâce de cette paix dorée qui reviendra bientôt, [10] je ne désespère pas de trouver un autre imprimeur, à Paris, à Lyon, à Genève ou en Hollande. Je salue de tout cœur monsieur votre père, ce vénérable vieillard, [11] je le serre dans mes deux bras et lui souhaite annos Nestoreos. [6][12] J’attendrai patiemment cette Malta vetus et nova dont vous parlez. [7][13][14] Mais avant de passer à autre chose, je voudrais vous prévenir que j’ai aussi ici deux autres traités manuscrits du très distingué Caspar Hofmann, dont le premier est de Sanitate tuenda et le second, medendi Methodum. Ce sont des commentaires fort vigoureux sur les livres de Galien de mêmes titres. Si ces deux ouvrages sont joints aux livres susdits, ils feront deux tomes tout emplis d’érudition en tout genre, de même grosseur que le Lexicon etymologicum de Martini, et que tous les médecins liront et achèteront, [8][15] car ils contiendront une encyclopédie de la matière médicale.
Quant aux livres que vous recherchez, je vous prépare un paquet où vous trouverez le Stadium Medicum ad Lauream Scholæ Parisiensis de Victor Pallu, qui est mort en 1648. [9][16] J’envoie aussi le livre de Jean Chicot que vous indiquez. {Je ne l’ai jamais vu, mais je sais seulement qu’il a un livre, prêt pour une nouvelle édition, de varia Opuscula, de Rheumatismo, de Dolore, de Variolis et morbillis, de Methodo studendi Medicinæ.} Il est toujours en vie, plus que septuagénaire ; il songe à une nouvelle édition de ses opuscules, augmentée de nombreuses parties et corrigée en divers endroits, car les fautes y abondent, en particulier là où il est question de l’antimoine. [10][17][18] En même temps, vous recevrez aussi le Paradoxum orthodoxum, etc. de Henri Bourgeois. Cet auteur est un jeune Parisien qui exerce la médecine dans le duché de Bourgogne, près de Dijon, dans une petite ville au nom obscur. [11][19] Je n’ai jamais vu le livre de François Pidoux de febre purpurea ; [12][20][21] il a été publié à Poitiers, d’où je me chargerai de le faire venir pour moi et pour vous, puis vous l’enverrai avec un autre opuscule d’un autre médecin de la même ville adversus Circulationem sanguinis Harveïanam ; son auteur s’appelle François Umeau, petit-fils de celui qui a jadis écrit un petit livre de Liene. [13][22][23][24][25] Je vous ai expédié tout cela.
[Ms BIU Santé no 2007, fo 87 vo | LAT | IMG] L’arrêt du Parlement contre nos chirurgiens n’est pas encore sous presse, je sais pourtant qu’il est entre les mains de l’imprimeur et j’espère que nous l’aurons bientôt. [14][26][27] Notre roi a enfin procuré la paix à son royaume et il a épousé la fille du roi d’Espagne. [28][29][30] J’espère qu’elle fera refleurir l’honneur de notre imprimerie et que seront publiées chaque année quantité de nouveautés ; je vous les enverrai bien sûr si vous voulez ; au moins, si je vous connais bien, ne vous déplairont-elles pas.
Je n’ai jamais rien entendu dire de quiconque sur votre Italien Franciscus Josephus : [15][31] empiriques et souffleurs chimiques ne réussissent guère à Paris, pour l’abondance des médecins dogmatiques qui ont déclaré la guerre à ces ignobles vauriens et les mettent en fuite ou les réduisent à la mendicité, par autorité de notre École qui rend chacun de nous fort influent. [32][33][34] Mes deux fils vous saluent. L’aîné vient de prendre femme. [35][36] Le second, Charles, éprouve de la répugnance pour le mariage, préférant cultiver l’amour des muses ; il a récemment été élu professeur de pathologie, charge dont il s’acquittera certes heureusement. [37] Je vous salue donc de tout cœur, ainsi que votre très illustre père. Vale, très distingué Monsieur, et ne cessez pas de m’aimer comme vous faites.
Votre Guy Patin de tout cœur.
De Paris, le 22e de juillet 1660.