L. latine 21.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 18 mai 1652

[Archives de l’Institut d’Histoire de l’Académie russe des Sciences à Saint-Pétersbourg | LAT]

Très distingué Monsieur, [a][1][1]

Je vous écris peu de mots certes, mais sincères, et même très sincères. Par la singulière grâce de Dieu, je suis en vie et me porte bien, du moins sans souffrir ni gémir de nos tumultes militaires et civils : qu’y pourrais-je donc faire ? Autrement, je me porte bien. Si Dieu voulait, s’apaiseraient enfin ces discordes de notre reine et du vaurien empourpré, Mazarin, avec les princes du sang royal et tous les parlements d’un royaume naguère si fleurissant, qui sont fort contraires et hostiles à ce Mazarin. [2][3][4]

Ne vous étonnez pas si je ne vous ai pas écrit plus tôt ; presque rien à vous dire ne me venait à l’esprit, hormis nos misères et nos calamités publiques, qui ne vous concernaient en rien : o vos felices ac fortunatos forti pectore Batavos, apud quos nulli Tyranni, nulli Principes fatui, nulli Cardinales et Episcopi, nulli Monachi, civilium et extraneorum bellorum authores nulli ! [2][5] Je ne voudrais pas non plus que vous doutiez le moins du monde de ma bonne foi quand, de longue date, je ne vous ai envoyé aucun livre imprimé à Paris : la raison en est que notre Riolan a enfin achevé les nouveaux Opuscula anatomica qu’il nous promettait de publier ; avant un mois, nous en aurons donc les divers traités ; [6] je vous les enverrai aussitôt avec d’autres livres que j’ai ici gardés depuis longtemps, et qui vous sont voués et consacrés. En attendant, je voudrais pourtant que vous m’écriviez pour me dire si vous vous portez bien et vous souvenez de nous. Si vous en faites ainsi, envoyez votre épître à M. Simon Moinet (qui vous remettra celle-ci) ; et je recevrai aisément vos lettres par son intermédiaire. [7] Vous saluerez très obligeamment de ma part, s’il vous plaît, votre collègue et compatriote M. Willem Canter. [8] Ne cessez pas de me rendre la très ardente affection que j’ai pour vous. Vale, très distingué Monsieur.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin, natif de Beauvaisis, docteur et doyen de la très salubre Faculté de médecine de Paris.

De Paris, ce samedi 18e de mai 1652.


a.

Lettre autographe de Guy Patin « Au très distingué M. Christiaen Utenbogard, très célèbre docteur en médecine à Utrecht », conservée par les Archives de l’Institut d’Histoire de l’Académie russe des Sciences à Saint-Pétersbourg, Section de l’Europe occidentale, collection 9, carton 354, no 19.

1.

L’histoire et les commentaires de cette lettre se trouvent dans l’annexe intitulée Une lettre inédite de Guy Patin venue de Russie. Je ne l’ai retranscrite ici que pour la mettre à sa place dans la suite chronologique de la correspondance.

2.

« que vous êtes donc heureux et fortunés, vous les Hollandais au cœur vigoureux, chez qui il n’y a ni tyrans, ni princes insensés, ni cardinaux, ni évêques, ni moines, ni fauteurs de guerres civiles et étrangères ! »

Le soulignement de cette phrase dans le manuscrit (bien que rien ne garantisse qu’il soit de la plume de Guy Patin) m’a seul décidé à la maintenir en latin dans ma transcription ; elle ne m’a paru issue d’aucune source identifiable.

s.

Archives de l’Institut d’Histoire de l’Académie russe des Sciences à Saint-Pétersbourg, Section de l’Europe occidentale, collection 9, carton 354, no 19, ro et vo (non consultable en ligne).

Clarissimo viro D. Christiano Utenbogardo, Doctori Medico
Eminentissimo, Ultrajectum.

Ecce ad Te scribo, vir clarissime, pauca quidem, sed vera, imò veris-
sima : vivo et valeo, singulari Dei beneficio, bellicis et civilibus nostris
tumultibus indolens quidem et ingemiscens, sed quid agerem ? cætera sanus.
Isthæc dissidia Reginæ nostræ et purpurati nebulonis Mazarini cum
Principibus de stemmate regio, et singulis florentissimi antehac regni Ordi-
nibus ipsi Mazarino inimicissimis ac infensissimis, tandem si Deus volet, componentur.

Si antehac ad Te non scripserim, non est quod mireris :
vix enim mihi succurrebat quod scriberem, præter miserias et clades nostras
publicas, de quibus nihil ad Te pertinebat : ô vos felices ac fortunatos forti
pectore Batavos, apud quos nulli Tyranni, nulli Principes fatui, nulli
cardinales et Episcopi, nulli Monachi, civilium et extraneorum bellorum
authores nulli !
Neq. velim Te de fide mea quidquam dubitare, si à
longo tempore librorum nostrorum hic excusorum nihil ad Te miserim : in
causa fuit Riolanus noster, qui nobis pollicebatur novorum Opuscu-
lorum Anatomicorum editionem, quod tandem præstitit : habebimus enim
ante mensem de ea ipsa re varios Tractatus, quos statim at Te mittam
cum alijs quæ hîc habeo Tibi jamdudum addicta et consecrata. Interea
verò scribas ad me velim, si valeas et nostri memineris : quod si feceris, Epistolam tuam mittes ad D. Simonem Moinet (qui hanc Tibi missurus est) Leidæ
commorantem apud Elsevirios, Academiæ Typographos, per quem facilè
tuas recipiam. Collegam et popularem tuum D. Guill. Canterum,
meo nomine, si placet, officiosissimè salutabis : meq. Tui studiosissimum
redamare non desines. Vale igitur vir clarissime.

Tuus ex animo Guido Patinus, Bellovacus,
Doctor Medicus Parisiensis, et saluberrimæ
Facultatis Decanus.

Parisiis die Sabbathi,
18. Maij, 1652.

Viro clarissimo
D. Christiano Utenbogardo,
Doctorie Medico celeberrimo,

Ultrajectum.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 18 mai 1652

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(Consulté le 26/04/2024)

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