L. latine 431.  >
À Petrus Augustinus Rompf,
le 14 juillet 1667

[Ms BIU Santé no 2007, fo 216 ro | LAT | IMG]

Au très brillant M. P. A. Rompf, éminent docteur en médecine à La Haye.

Très distingué Monsieur, [a][1]

Je vous réponds beaucoup plus tard que je n’aurais voulu, sans peut-être vous satisfaire, spatiis exclusus iniquis[1][2] eu égard aux diverses exigences de mon métier et de mon peu de temps libre. Monsieur votre excellent et très savant frère n’a jamais été en dette envers moi : [3] c’est bien moi qui lui dois énormément et à de multiples titres, comme j’en conviens volontiers avec reconnaissance, sans être oublieux de tous les bienfaits qu’il m’a jusqu’ici si généreusement accordés, ainsi qu’à mon fils Charles. [4] Je souhaite que s’offre prochainement une occasion de lui rendre la pareille. Pour votre question sur la pleurésie, [5] je vous répondrai brièvement et franchement : je n’ai jamais assisté à l’ouverture du cadavre d’un pleurétique [6] car, depuis tant d’années que j’exerce ici, je n’ai jamais entendu dire que quiconque y fût mort de pleurésie, étant donné que la saignée représente le remède le plus souverain et le plus certain contre cette affection. [7] Aussi bien les médecins qui maîtrisent parfaitement leur métier et leur art, que les chirurgiens, instruits par sa fréquente pratique, [8] prescrivent ici la phlébotomie hardiment et fréquemment ; comme font même les mulierculæ[2][9] à qui l’expérience quotidienne a parfaitement appris son mérite et son efficacité dans cette maladie. À dire le vrai, je n’ai jamais soigné un malade qui soit mort de pleurésie. Si pourtant, sans tenir compte de mon expérience, vous voulez savoir ce que je pense de cette controverse, voici mon jugement : au début de la maladie, seule la plèvre est affectée par la grande quantité de sérosité bilieuse qui s’y collecte, en l’irritant par son acidité ; [10] mais l’afflux persistant et la maladie continuant à progresser, le poumon lui-même se trouve sans nul doute corrompu et affecté dans sa propre substance ; la matière morbifique s’y propage, le pénètre et le submerge ; voilà pourquoi, dans le cadavre d’un pleurétique, on trouve une lésion du poumon, qui est un abcès, [11] puisqu’il a été écrasé sous le poids et l’abondance de l’humeur peccante qui s’y est transportée depuis la plèvre où elle était initialement contenue. [3] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, le 14e de juillet 1667.

Vôtre de tout cœur, Guy Patin.


a.

Brouillon autographe d’une lettre que Guy Patin a écrite à Petrus Augustinus Rompf, ms BIU Santé no 2007, fo 216 ro.

1.

« empêché par le manque de temps » (Virgile, v. note [12], lettre latine 280).

2.

Littéralement « petites bonnes femmes » : terme condescendant que Guy Patin employait pour désigner les femmes charitables, religieuses ou laïques, qui soignaient surtout les démunis.

Publié pour la première fois à Genève en 1680, le Dictionnaire françois de Pierre Richelet définit une infirmière comme une « religieuse qui a soin des malades et qui consulte avec les médecins sur les moyens de les guérir ».

V. note [10], lettre 40, pour ce qu’était alors, et demeure aujourd’hui une pleurésie. À l’instar de ce que font bien mieux, depuis le milieu du xxe s., les médicaments diurétiques, la saignée devait principalement guérir les pleurésies dites mécaniques, par épanchement des liquides corporels qui surabondent dans la « pléthore sanguine » de l’insuffisance cardiaque (hydropisie ou anasarque).

3.

Dans l’idée de Guy Patin, la pleurésie était toujours en soi une maladie bénigne, tant que l’inflammation qui la provoquait ne se propageait pas au poumon sous-jacent. D’autres contestaient son point de vue, pensant que la présence de liquide dans la plèvre était la conséquence d’une lésion première du poumon (infectieuse ou de quelque autre nature).

En pathologie moderne, les deux éventualités existent : pleurésie mécanique (v. supra note [2]) et pleurésie essentielle dite a frigore (provoquée par un « coup de froid » ou plus probablement par un virus), bénigne en soi ; et pleurésie symptomatique d’une lésion primitive du poumon, généralement plus grave (infection, tumeur, embolie pulmonaire).

s.

Ms BIU Santé no 2007, fo 216 ro.

Cl. viro D.D. P. A. Romph, Med. Doctori eximio, Hagam.

Seriùs profectò quàm voluissem, Vir Cl. tuis respondeo, nec forsan
satisfacio, spatijs exclusus iniquis, et otij et negotij vario respectu. Vir optimus
atque doctissimus D. Frater tuus nihil unquam mihi debuit, sed ego plurimùm
illi debeo multiplici nomine, quod lubens fateor grato memorique animo, pro tot bene-
ficijs quæ hactenus mihi filióque meo Carolo tam generosè contulit : et utinam in
posterum aliqua sese offerat retaliandi occasio. Quod spectat ad quæstionem
de pleuritide : dicam paucis et liberè : Pleuritici cadaveris dissectioni numquam
interfui, nec unquam audivi quemquam ex pleuritide hîc obijsse à multis annis,
quandoquidem talis affectûs summum et certissimum præsidium est sanguinis
missio, quæ hîc et audacter et frequenter præscribitur, tum à Medicis, qui rem
suam et artem optimè intelligunt, tum à Chirurgis, frequenti usu edoctis : imò et
ab ipsis mulierculis, quibus apprime quotidiano experimento innotuit venæ sectio-
nis in tali affectu dignitas et efficacia : et verè dico, nullus unquam
mihi perijt ex pleuritide : sed si seposito experimento, scire velis quid sentiam de
tali controversia, sic respondeo. Initio morbi sola pleura afficitur, per copiam
seri biliosi ad eipsam affluentis, et acrimoniâ suâ eam lancinantis : sed perseverante
affluxu, et progresso morbo, pulmo ipse haud dubiè inquinatur, ac in propria substantia
afficitur, per propagationem materiæ morbificæ, quæ in ipsum pulmonem penetrat,
eúmq. pessundat : sicq. in cadavere pleuritici, deprehenditur vitium, nempe
abscessus in pulmone, quatenus obruitur à pondere et copia materiæ morbificæ,
quæ ex pleura primùm affecta tandem transijt in pulmonem. Vale, Vir Cl. et
me ama. Parisijs, 14. Iulij, 1667.

Tuus ex animo, Guido Patin.


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Petrus Augustinus Rompf, le 14 juillet 1667

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(Consulté le 26/04/2024)

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