< L. 763.
> À André Falconet, le 25 décembre 1663 |
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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. –
À André Falconet, le 25 décembre 1663
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Je vous renvoie votre lettre de M. Torrini, [2] dans laquelle je vois toute l’humeur de M. Morisset, [3] qui est capable de s’achever et de se gâter de delà, comme il a bien commencé de deçà. Ô que la vanité est un grand vice ! et qu’elle aveugle aisément les hommes ! Madame Royale, [4] sa maîtresse, a les deux maux que vous me mandez et je tiens pour certain qu’elle en mourra, tum ratione diuturnorum affectum, tum ætatis ingravescentis, tum gravissimæ et iniquissimæ tempestatis. [1] Il y a encore bien loin d’ici au 15e d’avril ; si Madame Royale n’est bien forte, elle ne résistera jamais duplici hydropisi ; [2][5] il n’en faut qu’une pour la tuer. Serum in thorace conclusum nulla arte exhauritur, quam per sectionem aut perforationem, a qua tamen pauci evadunt, imo paucissimi, pene nulli. [3][6] N’en déplaise à celui des nôtres, qui est un vieux fou, qui dit que le souverain remède de l’hydropisie du poumon est hydrargyrosis : [4][7] le flux de bouche, [8] comme aux vérolés, [9] ad populum phaleras ! [5][10] Tous les fous ne sont pas dans les Petites-Maisons, [11] O quantum est in rebus inane ! [6][12] L’on a envoyé à Turin [13] M. Vézou [14] à la seule recommandation de Vallot. [15] Il fait bien l’entendu, et l’homme de secrets et d’importance, mais je le tiens cent fois au-dessous de M. Morisset en fait de science et de bonne médecine. Je ne verrai M. le premier président [16] qu’après les Rois. Dans la première occasion, je prendrai mon temps de lui parler de nos six ans, qui est un grand terme. [7] Il est vrai que la plupart de ces jeunes médecins ne savent rien, ils n’étudient point, on les hâte aux universités, au lieu de les examiner rigoureusement, car ils ont peur de perdre leur marchand ; [8] et pour cela même les médecins de Rouen [17][18] sont en grand procès, et ceux d’Amiens [19] aussi, et ainsi presque partout. Tous les villages de Normandie sont tantôt pleins de médecins, Quis enim non vicus abundat tristibus obscænis ? Tantus amor vitæ ! [9][20] Et néanmoins, on voit par toute la France une pauvreté publique et générale. Væ victis ! [10] malheur à ce royaume des Francs qui s’est laissé gouverner depuis peu par des animaux rouges, par des cardinaux enragés d’avoir le bien d’autrui et de laisser beaucoup de biens à leurs neveux et nièces. [21] Væ tibi terra cuius rex puer est, et in qua principes comedunt mane. [11][22] Des femmes, des favoris et des princes de peu de courage ont toujours gâté le gouvernement. Les petites universités manifeste peccant in publica commoda, [12] ils ne renvoient personne : si le jeune docteur n’est retenu à bon marché en un endroit, il s’en va en un autre. C’est pourquoi ceux de Reims [23] s’en vont plaider contre ceux d’Angers, [24] d’autant qu’ils font meilleur marché de leurs degrés académiques, avec un léger examen, peu de temps, et sans thèses [25] s’ils ne veulent. Enfin, si on ne trouve remède à un tel désordre, il sera plus grand nombre de médecins en France qu’il n’y a de pommes en Normandie, ou de fratri en Italie et en Espagne. [13] Sans davantage exagérer leur ignorance, laquelle est de vérité extrême, honteuse et périlleuse, ils ne veulent plus même étudier ni avoir de livres. C’est assez pour eux si habeant in manibus diplomata academica, etiam vili ære redempta, [14] et qu’ils soient cousins ou voisins de quelques chirurgiens ou apothicaires. J’en ai vu même qui avaient de fausses lettres. Ils se retirent en leur pays, villages, bourgs ou petites villes, à peine ont-ils un Perdulcis et un Fernel qu’ils n’entendent point, et font les entendus comme s’ils avaient ius vitæ et necis. [15] J’ai vu un Provençal qui se vantait impudemment de guérir toutes sortes de malades avec un méchant livre qu’il avait en sa pochette, c’étaient les Centuries de Rulandus, [16][26] qui n’a jamais été qu’un méchant fripon et qui en a bien tué cum aqua sua benedicta, [17] qui n’est qu’une infusion d’antimoine [27] in aqua pluvialis distillata. [28] Nec mirum [18][29] pour un Provençal, Natio comœda est, [19][30] ce pays-là est plein de gens atrabilaires, [31] marchands affamés de gain, juifs, [32] charlatans ; [33] mais les autres pays n’en sont pas exempts, hic et alibi venditur piper, [20] [34] tant est vrai le passage de Virgile, Terra malos homines nunc educat atque pusillos. [21][35] Plût à Dieu que ces erreurs finissent bientôt et que ceux qui en ont la direction s’y veuillent appliquer sérieusement, car le mal est grand et les conséquences très dangereuses ; mais j’ai bien peur que cela n’arrive pas si tôt car le peuple est bien fou, les magistrats trop lâches et tout le monde trop méchant. Je me réjouis de la bonne fortune de M. Touvenot, [36] je lui baise les mains. [22] Je crois qu’il réussira mieux, par sa sagesse, que le médecin de Madame Royale, par sa suffisance et son humeur altière. La modestie sied bien à tout le monde, mais elle est particulièrement nécessaire à la cour, aux médecins, aux étrangers et à ceux qui ont besoin d’argent. Je viens d’apprendre de bonne part que samedi prochain, le roi [37] ira au Palais pour divers sujets, savoir des jansénistes, [38] et pour plusieurs articles de suppression. [23] Je prie Dieu qu’il veuille inspirer son cœur pour le bien de toute la France et pour le soulagement du pauvre peuple, lequel gémit d’une misérable pauvreté depuis si longtemps, et principalement depuis la faveur de ces deux derniers cardinaux, qui ont été de vraies sangsues qui ont misérablement sucé le sang de toute la France. M. Spon me mande que vous êtes allé à Turin y voir Madame Royale. Je vous y souhaite bonne réussite, qu’elle puisse bien guérir et vous, en revenir bien content. Je vous prie aussi, étant sur les lieux, de faire mes recommandations à M. Torrini le père, à Monsieur son fils, [24][39] à M. Morisset, à notre ancien ami M. Touvenot. je vous souhaite toute sorte de prospérité et de contentement, et un prompt retour à Lyon. Je suis de tout mon cœur votre, etc. De Paris, ce 25e de décembre 1663. | |||||||||||||
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Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr | |||||||||||||
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