L. latine 272.  >
À Christiaen Utenbogard,
le 21 décembre 1663

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Christiaen Utenbogard, le 21 décembre 1663

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1305

(Consulté le 20/04/2024)

 

[Ms BIU Santé no 2007, fo 154 ro | LAT | IMG]

Très distingué Monsieur, [a][1]

À la lettre déjà écrite et cachetée pour vous être envoyée, voici que j’en joins une seconde, qui répond à votre dernière, datée d’Utrecht, le 12e de décembre, que j’ai reçue aujourd’hui par la poste ; [1] voie dans laquelle je n’ai certes pas voulu persister, comme étant fort incommode et onéreuse. Quand vous voulez m’écrire, envoyez donc vos lettres à notre ami M. Vander Linden, professeur à Leyde ; [2] il dispose d’un moyen sûr, rapide, avantageux et également court pour en faire parvenir ici, car il a à Paris un fils qui s’applique à étudier la médecine. [3]

J’ignore tout à fait qui est ce M. Lalain ; je ferai pour lui comme je fis des deux autres dont je vous avais écrit : c’étaient un père et son fils, le premier maître des comptes à Paris[4] et le second conseiller en la Cour de Parlement, de la cinquième des Enquêtes ; [5] on les appelle tous deux Monsieur Leschassier, et le père est premier directeur de l’Hôpital Général, et un des premiers de la Chambre des comptes[2][6] J’ai donc vu M. Voest, mais ne m’en souvenais pas ; [7] Dieu le préserve, et saluez-le de ma part. Je salue aussi MM. les deux très distingués Desmarets ; [3][8][9] j’ai depuis longtemps vénéré le très estimable père que je tiens pour une grande étoile. Puisse tout bien aller pour eux deux ; si je puis leur rendre quelque aimable service pour le procès qu’ils ont ici, je le ferai de très bon cœur, en espérant pouvoir leur être utile. J’ai chez moi de nombreux fruits que ce très savant père a tirés de ses veilles ; [4] je me délecte fort à les lire dans les heures que j’ai de reste, et j’en suis toujours sorti meilleur. Malheur à ceux qui se trompent si impudemment en matière sacrée, qui occultent la lumière du plein midi et qui veritatem in iniustitia detinent[5][10] Il y a quelques jours, le commis de M. van Ganguel m’a avisé que des livres allaient bientôt lui arriver de la ville de Saint-Valéry [11] (ce sont sans doute les quatre que l’attends) ; [6][12] il a dit qu’il me les apporterait dès qu’il les aurait reçus ; mais je m’en enquerrai demain matin, quand j’irai le voir pour qu’il vous envoie cette lettre-ci. À la première occasion et dès que je pourrai, je vous enverrai l’opuscule de Saumaise de Manna et saccharo, qui est incomplet et mutilé, [13][14][15] avec d’autres que je vous destine, ainsi que le livre de Jacques Cornuti, l’un de mes collègues, de Plantis Canadensibus ; [7][16] s’il avait vécu plus longtemps, il en aurait écrit d’autres et de meilleurs, mais il est mort durant mon décanat, le 23e d’août 1651, âgé de 50 ans. [17]

[Ms BIU Santé no 2007, fo 154 vo | LAT | IMG] Le livre de Saumaise est court, il s’attaque à beaucoup de questions sur la manne, mais ne conclut pas : il laisse son lecteur dans le doute, il y mêle beaucoup de mots arabes, et tire beaucoup de choses d’eux, bien que toute notre manne ne soit pas de cette nature et qu’elle n’ait rien de commun avec cette origine. [8] J’ai donné jadis quelques leçons, où je distinguais quatre sortes de manne. La 1re est la manne des Hébreux ou des Chaldéens, parce qu’elle était tombée en pluie sur les fils d’Israël s’enfuyant d’Égypte et errant en Arabie, et ce fut pour eux la nourriture miraculeuse dont il est parlé dans l’Exode, et dont on lit beaucoup de choses chez ses commentateurs. [18][19] La 2e est la manne des Grecs, [20] de Dioscoride [21] et de Galien ; [22] ce sont des miettes d’encens écrasé. La 3e est la manne des Arabes, [23] qui se condense quelquefois dans les régions très chaude après les nuits froides, mais en petite quantité ; en raison de l’éloignement des lieux, elle n’est jamais transportée chez nous ; ajoutez à cela que c’est un médicament très anodin et très doux, qui purge légèrement, pour les enfants et les femmes enceintes ; mais puisqu’une telle manne n’existe pas en toute l’Europe, pas même en Calabre, je ne la prends pas en compte. Les marchands italiens, vauriens rusés et fourbes, boutiquiers très madrés, y ont substitué une 4e manne, qui est celle d’aujourd’hui, avec laquelle ils jettent de la poudre aux yeux de toute l’Europe ; [24] ils la composent avec du sucre liquéfié, et pas du meilleur, du miel clarifié et de la scammonée ou du suc de tithymales, etc. [25][26][27] Il ne se recueille pas en une année entière dans toute l’Arabie une quantité si grande que celle qu’on vend aujourd’hui et qui se trouve aujourd’hui dans l’officine d’un seul de nos boutiquiers. Notre manne n’est donc pas la véritable et légitime manne, mais un médicament fabriqué et frelaté qui trompe aujourd’hui bien des gens, par la stupidité et le laxisme des médecins. Je vous concède tout cela, etc. Voilà pourtant tout ce que je soumets à votre jugement aiguisé et à votre amicale censure. Pour ma part, je n’utilise ce remède qu’en fort petite quantité et rarement car il purge énergiquement en liquéfiant, il ne retranche que des eaux, il augmente l’ardeur fébrile, il excite la soif, etc. ; effets qui sont les marques d’un médicament funeste, et même très mauvais. Je salue le très distingué M. Marten Schoock, [28] et tous ses fils ; [29][30] j’aurai et choierai tout ce qu’il publiera désormais, mais l’attendrai patiemment. J’ai reçu son livre de Fermentatione, j’admire son érudition singulière et si vaste. Je puis véritablement proclamer à son sujet ce que jadis Cicéron, dans ses Lettres à [Ms BIU Santé no 2007, fo 155 ro | LAT | IMG] Atticus[31] a dit de Varron, le plus savant des nobles romains : [32] Mundus is ; [9] il me semble en effet tout savoir, tout connaître, tout comprendre. Dieu fasse qu’un si grand homme vive longtemps et en bonne santé. Je voudrais donc que vous le saluiez de ma part et lui fassiez souvenir d’envoyer ici son fils vers la fin de mars, au printemps nouveau, pour qu’il voie, parcoure et inspecte notre ville, qui est comme l’égale d’un monde, ou plutôt comme un abrégé du monde. Je l’accueillerai en ami, je le recevrai et le nourrirai splendidement, et il séjournera ici chez nous aussi longtemps qu’il le désirera, pendant six mois, pendant un an, s’il veut, et sans avoir aucune dépense à faire : sunt nobis mitia poma, castaneæ molles, etc. [10][33] dona laboratæ Cereris, nec munera Bacchi, nobis deerunt[11][34][35] ni les autres choses nécessaires à la vie. Il verra notre roi et toute la cour si florissante ; [36] jamais il ne regrettera d’avoir vu notre Parlement et les autres compagnies de la ville, et aussi leurs parures et ornements particuliers. Pensez donc à bien l’en aviser. [12] M. Joncquet [37] est mon ami et, avec son aide, j’espère avoir quelque chose venant de ce Jardin royal dont le premier médecin du roi lui a confié le soin. [38][39] Écrivez-moi donc ce que vous désirez, afin que je m’arrange avec lui pour vous l’obtenir. Je n’ai rien voulu vous promettre ni laisser espérer quoi que ce soit venant de Guénault [40] car il n’est ni l’ami de Joncquet [13] ni le mien ; c’est un vieillard, presque octogénaire, tout entier occupé à l’argent et établi dans l’espoir du gain, même le plus ignoble, étant lui-même tout à fait infâme, etc. Je me souviens avoir vu cet Hortus Blesensis, imprimé in‑fo ; [41][42] je l’ai négligé à l’époque parce qu’il était alors question de le rééditer, ce qui se serait sans doute fait si le malencontreux antimoine [43] de Guénault, médicastre cacochyme et vaurien de la pire espèce, n’avait misérablement frappé de mort prématurée Gaston, duc d’Orléans, oncle du roi. [14][44] Mes fils vous saluent et vous font leurs compliments. [45][46] Vale, très distingué Monsieur, et aimez-moi.

De Paris, ce vendredi 21e de décembre, qui est le jour même du solstice d’hiver, 1663.

Vôtre de tout cœur, etc., G.P.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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