L. latine 44.  >
À Johannes Antonides Vander Linden,
le 18 février 1656

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Johannes Antonides Vander Linden, le 18 février 1656

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1077

(Consulté le 12/12/2024)

 

[Ms BIU Santé no 2007, fo 39 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Vander Linden, docteur en médecine et professeur à Leyde.

Ce samedi 18e de février 1656.

Très distingué Monsieur, [a][1]

J’ai reçu vos deux lettres de la propre main de M. Elsevier [2] et j’y réponds sans tarder. Vous saluerez de ma part, s’il vous plaît, M. Vorst, et lui offrirez mes faveurs et tous mes services, quelqu’en puisse être le nombre. [3] Je n’ai jamais vu la traduction de Théophraste par ce Gulielmus ; [4][5] si je l’avais, je l’enverrais très volontiers à ce fort savant homme qui prépare une nouvelle édition d’un si éminent auteur ; mais à la place de celui que je n’ai pas, je lui ai envoyé un Théophraste complet, grec et latin, de la traduction d’Heinsius, [6] corrigé et amendé par la propre main de feu Caspar Hofmann, avec aussi ses annotations et corrections que j’ai acquises après la mort de cet excellent personnage. Puisse tout cela être utile à M. Vorst, mais sous condition formelle qu’il rende justice à ceux dont il aura tiré profit, et en tout premier à l’immense héros qu’a été Caspar Hofmann. [1][7] J’ai parlé à M. Elsevier de ses autres œuvres, [8] et il ne m’a pas semblé répugner à les éditer. Vous remettrez, je vous prie, l’ensemble de ce qui concerne Théophraste à M. Vorst, pour qu’il s’en serve, s’il lui plaît ; sinon, qu’il me renvoie le tout ; je pourrai ainsi soit me justifier, soit me libérer de la dette que j’ai envers les Allemands pour ce que j’ai reçu d’eux touchant Théophraste. Et voilà pour M. Vorst. Mais à vous, j’envoie deux Celse : un premier fort grand, corrigé par la propre main de Nicolas de Nancel, que m’a offert le très distingué M. Michel de La Vigne, très savant docteur en médecine de Paris ; [9][10][11] un second plus petit, que je pense pourtant être meilleur, dont le très distingué [Ms BIU Santé no 2007, fo 39 vo | LAT | IMG] M. Jean Riolan m’a fait cadeau, et corrigé de la propre main d’un homme jadis très célèbre, Jacques Charpentier, docteur en médecine de Paris et professeur royal (qui mourut ici en 1574). [12][13] Il est issu d’un autre Celse, qu’avaient amendé le labeur et la propre main des très grands personnages que furent Jean Fernel et Jean Chapelain, tous deux docteurs en médecine de Paris et premiers médecins de nos rois très-chrétiens, savoir Henri ii pour le premier, et Charles ix pour le second. [2][14][15][16][17][18][19] Dieu veuille qu’ils vous soient utiles : utilisez-les donc et choyez-les ; puis ensuite, renvoyez-les-moi vite s’il vous plaît ; je les garde en effet soigneusement comme de précieux trésors.

J’en viens maintenant à votre plus longue lettre. Si M. Elsevier veut penser à éditer les œuvres manuscrites du très distingué Hofmann que je lui ai montrées, je n’irai certainement pas en chercher un autre, et je vous rendrai garant de toute cette affaire. Contrairement à beaucoup dont c’est l’habitude, je n’en demande ni n’en souhaite de l’argent, dont je n’ai pas besoin, Dieu soit loué, gratia Musa tibi ! [3][20] bien que je puisse le faire très légitimement car tout cela ne m’est pas tombé gratuitement dans les mains. Je me contenterai de quelques exemplaires gratuits, qui me permettront de faire plaisir à mes amis, et de faire savoir à la postérité que je fus le fidèle ami d’un très distingué personnage qui, de son vivant, trouva fort bienvenu de me confier ses ouvrages manuscrits, comme à un homme de fidélité indubitable, et dont l’affection pour moi était solide et n’était guère courante en ce siècle de fer. Je m’en remettrai à vous pour l’exactitude de l’édition et je ne doute pas que dans la mesure de vos forces vous ferez en sorte que tout cela progresse comme il faut. [4]

Puissiez-vous vite recevoir les deux paquets de livres que je vous ai expédiés ci-devant. Je vous en enverrai volontiers de meilleurs s’il m’en vient sous la main. L’antimoine est ici tout à fait terrassé, avec horreur et affliction, car il ne convient pas à nos compatriotes, qui sont trop mous. [21] Il est peut-être convenable pour les Allemands, qui sont plus vigoureux et résistants, et dont le gros ventre a l’habitude d’être dilaté par quantité de bière et de fromage [22][23] (hélas, que cela conviendrait bien aux Italiens de chez nous dont la bedaine replète se gave du meilleur et du plus pur suc de France, et enfle jour après jour pour notre immense malheur !). [5][24] Il demeure, j’en conviens, quelques médicastres, impertinents et sots, et même étrangers aux muses, qui se servent de cette nouveauté pour tirer quelque réputation de leurs multiples secrets, mais sans nullement la mériter ; ils tâchent de persuader la populace et les autres ignorants, tout comme le peuple des nantis, qu’ils sont de grands esculapes. Au début, j’en conviens, cette nouveauté n’avait pas déplu à beaucoup des nôtres, mais ils ont prudemment changé d’avis et ab ista scabie sapienter ungues abstinent ; [6][25] ils soignent avec peu de remèdes, mais éprouvés et choisis, se conformant à la méthode qui est le plus grand secret de l’art. En 32 années de pratique, je n’ai certes jamais utilisé l’antimoine, j’ai fréquenté de meilleurs maîtres et n’ai subi d’attrait pour aucune nouveauté ; et jamais je ne l’utiliserai à cause de ces effets qui m’ont paru tout à fait désastreux et quorum me vestigia terrent[7][26] Je passe sous silence les familles que ce poison a ensanglantées et endeuillées, même celles de ceux qui se donnaient pour de grands maîtres et voulaient être tenus pour de nouveaux machaons en préparant et en prescrivant aux malades un médicament si délétère et si pernicieux ; [27] par ce moyen, certains d’entre eux ont enseveli leurs épouses, d’autres leurs fils et leurs filles, d’autres leurs gendres et leurs neveux. [28][29][30][31] Ainsi se sont-ils conduits malhonnêtement, ainsi même les pires et plus misérables vauriens ont-ils brigandé avec leur poison métallique, avant que chez tous nos concitoyens il eût perdu le charme de la nouveauté, elle qui tous les jours trompe les ignorants et les imprudents. Je vous dois de très grands remerciements pour m’avoir cité avec honneur dans vos Selecta et peut-être vous le rendrai-je un jour. [8][32] Je tiens pour glorieux d’être loué par un homme de très grand renom ; tu thura Iovemque concilias, tu das epulis accumbere Divum[9][33] Crollius, cet imposteur chimiste, est mort à Prague l’an 1609. [34] Libavius mourut à Cobourg l’an 1616. [35][36] Aucun des deux n’a exercé la médecine. Souvenez-vous, s’il vous plaît, du discours de Freitag sur les pharmaciens. [10][37][38] Vous saluerez de ma part, je vous prie, le très distingué M. Utenbogard. [39] Vale, très brillant Monsieur, et aimez-moi.

Vôtre de toute mon âme, Guy Patin, docteur en médecine de Paris et professeur royal.

De Paris, ce vendredi 18e de février 1656.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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