L. latine 164.  >
À Sebastian Scheffer,
le 24 mars 1661

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Sebastian Scheffer, le 24 mars 1661

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=1197

(Consulté le 19/03/2024)

 

[Ms BIU Santé no 2007, fo 101 vo | LAT | IMG]

Au très distingué M. Sebastian Scheffer, docteur en médecine à Francfort. [a][1]

Il y a quelques jours, votre compatriote Sebastian Switzer, courtier de votre M. Öchs, est venu en cette ville pour affaires. [2][3] Voulez-vous que je vous dise amicalement la vérité, car je ne mens pas ni ne le voudrais ? Par lui, j’espérais de vos lettres ; mais vous ne lui en avez pas donné et je ne suis pas en droit d’en réclamer ; je suis pourtant chagriné que vous n’ayez pas écrit. Il m’a certes solennellement affirmé que vous vous portiez bien et Dieu fasse qu’il en soit ainsi pendant de nombreuses années ; mais écrivez-moi de vos nouvelles ou plutôt, écrivez-moi que vous n’avez rien de nouveau à dire, écrivez-moi tout ce qui peut vous venir sur la langue. Écrivez-moi comment vous vous portez, ainsi que votre père, ce vénérable vieillard. [4] Votre Lotichius. [5] songe-t-il à son Pétrone ou au 3e tome des Historiæ sui temporis ? [1][6] Qu’y a-t-il de nouveau sous vos presses, s’y trouve-t-il quelque chose de feu Caspar Hofmann ? [7] Pensez-vous à une nouvelle édition de votre Introductio ad artem medicam ? [2] Nous n’avons ici rien de nouveau en médecine, mais de récents événements ont pris le dessus sur tout le reste : je ne vous parle ni de la nouvelle comète, ni de la guerre qui menace de se ruer sur nous, ni de la paix universelle, ni du mariage de notre roi avec l’infante d’Espagne ; [8][9][10][11] ce ne sont que vétilles par comparaison avec la mort de Mazarin. [12] Le mercredi 9e de mars, avant trois heures du matin, il nous a quittés pour l’autre monde, il est passé au pays des morts, unde negant redire quemquam[3][13] Durant des mois, il a été tourmenté d’une fièvre lente, [14] liée à une suppression de goutte, [15][16] qui enfin a dégénéré en asthme et orthopnée tenace ; [17][18] à quoi une hydropisie de poumon a succédé. [4][19] Par l’incurie, la mollesse et l’inexpérience des médecins auliques[20] il s’en est ainsi allé pas après pas dans l’endroit qui est commun à tous les hommes, tyrans aussi bien que fripons politiques ; d’où est né, entre autres épitaphes satiriques ou risibles, ce plaisant distique :

Iulius occubuit tandem : res mira, tot inter
Carnifices furem vix potuisse mori
[5][21]

Jules Mazarin est donc mort, pour notre plus grand bien, et même pour celui de toute l’Europe. Et pourtant, il est encore en vie : je dirai de lui ce que disait jadis Eumène d’Alexandre le Grand, Etiam mortuus adhuc imperat[6][22][23][24] En effet, rien n’a changé par rapport à l’état où il a laissé nos affaires publiques ; en vérité, patienter expectamus donec immutatio veniat[7][25] On dit que notre roi entend désormais s’occuper lui-même de ses affaires, sans ministère de qui que ce soit : [8][26] ce que Dieu veuille nous accorder. Les charlatans auliques ne se sont pas abstenus de prescrire de l’antimoine à Mazarin ; [27][28] d’où a découlé cet autre distique :

Occidit miserum Stibii repetita Ministrum
Potio : quam feliciter hæc Medicina fuit !
 [9]

Je salue votre vénérable géniteur ; mais quant à vous, très distingué Monsieur, vale et continuez de m’aimer.

De Paris, le 24e de mars 1661.

Votre Guy Patin de tout cœur.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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