L. latine reçue 21.  >
De Adolf Vorst,
le 4 septembre 1661

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Adolf Vorst, le 4 septembre 1661

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=9072

(Consulté le 05/12/2024)

 

[Uppsala universitetsbibliotek, cote Waller Ms benl-00773, page 195 | LAT | IMG]

Adolf Vorst au très distingué M. Guy Patin, ευ πραττειν και υγιαινειν. [1]

Très distingué Monsieur, [a][1][2]

Pour que la trop grande rareté des lettres n’éteigne soudain, comme une hémérocalle, [2] l’amitié qui est récemment née entre nous, j’ai depuis longtemps pensé qu’il était de mon devoir, quand l’occasion m’en serait donnée, de vous entretenir de nos affaires. Robert Sibbald, Écossais de nation, très honorable étudiant en médecine, [3][3] après s’être attardé un an et demi en notre École de Leyde, [4] m’a déclaré à son départ vouloir se rendre à Paris, désirant des lettres de recommandation pour ceux de chez vous. Je vous ai bien sûr estimé être le premier à qui écrire en sa faveur. Ainsi donc, parce que j’ai déjà été assuré, plus d’une fois, de votre amabilité et de votre application particulière à promouvoir les intérêts de la jeunesse qui se voue à l’art médical, je ne rougis pas d’oser vous solliciter pour cela ; et ce avec une chance d’heureux succès, car les expériences passées m’ont maintenant rendu moins timide. Pour cette raison, et à cause de moi comme de lui, qui le mérite bien, vous ne voudrez pas priver de votre aide et de tout votre influence un maître ès arts et philosophie dont la valeur n’est point banale et qui a été initié à nos rites. J’ajouterai à cela que les Écossais doivent être d’autant plus recommandés à vous, les Français, que depuis toujours les sérénissimes rois de France ont eu coutume d’accorder à la fidélité et au courage des Écossais leur confiance, et la garde de leur corps et de leur vie. [4][5] Dans les lettres qu’il m’envoie, mon fils [6] ne cesse jamais de me vanter votre indéfectible gentillesse à son égard, et il s’estime bienheureux d’avoir été admis en votre amitié, sous mon patronage. Dieu fasse que je puisse vous rendre la pareille, et compenser et rembourser en quelque partie les bienfaits que vous avez dispensés à ma famille. En attendant, tandis que je suis dans l’incapacité de vous exprimer ma reconnaissance de vive voix, je ne manquerai pas, faute de mieux, de mettre mon énergie et ma volonté à répondre à vos innombrables mérites et bienfaits envers moi. L’envie me consume donc de savoir [Uppsala universitetsbibliotek, cote Waller Ms benl-00773, page 195 | LAT | IMG] quand la possibilité et l’occasion me seront offertes de le satisfaire. Puisque je vous sais vraiment être librorum helluo[5][7] et avide de connaissance si quelque ouvrage des meilleurs auteurs se vend ou vient d’être imprimé, chez nous ou ailleurs, je vous avise qu’après que tous y ont apporté leurs soins, les œuvres complètes de Cicéron au format in‑4o, comme on dit, ont récemment vu le jour, dans une édition en caractères élégants et parfaitement corrigée, chez Hackius, talentueux imprimeur de notre pays. [6][8][9][10] Qui plus est, un Seneca Tragicum, in‑8o, avec des commentaires est sorti de l’officine elsévirienne, par les soins et l’étude de mon très savant collègue Johann Friedrich Gronovius ; [7][11][12][13] c’est lui qui m’a succédé cette année dans la noble charge de recteur de notre Université ; il en remplit maintenant la fonction et les attributions avec grand honneur et solide réputation. Sous la même presse se prépare encore l’Antiquitatum Romanarum opus de Rosinus, avec les notes ou commentaire de l’Écossais Depmster. [8][14][15][16] Dites-moi si vous désirez quelqu’une de ces éditions et commandez-la à celui qui n’a d’autre vœu que de s’affranchir à votre égard, au moins en quelque façon, au nom d’un fils qui vous est lié depuis longtemps déjà. Notre ami Vander Linden va toujours bon train, mais je suis peiné qu’il s’entende aussi mal avec notre collège commun Sylvius qu’avec Galien. [9][17][18][19] J’aime par-dessus tout la paix et la concorde, je désapprouve ces dissensions et les endure contre mon gré. Certains esprits sont d’une nature si querelleuse et inquiète qu’ils préfèrent toujours avoir un adversaire que vivre paisiblement, sans être jaloux des vertus d’autrui. L’ambition et la nimia φιλαυτια [10] en sont la cause, en même temps qu’ils désirent constamment être υπειροχοι αλλων. [11] Grands dieux ! quel plaisir y prend-on donc ? Sans doute y en a-t-il à vivre de banales futilités.

[Uppsala universitetsbibliotek, cote Waller Ms benl-00773, page 195 | LAT | IMG] Je me rends de plus en plus compte chaque jour à quel point je suis redevable à mon défunt père : [12][20] dès mon enfance, il a eu soin de m’inculquer les bonnes manières et, quand j’eus avancé en âge, il a voulu que j’aille en Angleterre, en France, le royaume qu’il faut préférer à tous les autres, et même en Italie, pour que j’apprenne à vivre et à cesser d’être autodidacte, défaut dont souffrent ordinairement ceux qui n’ont jamais sorti un pied du sol de leur patrie. [13][21] Homère loue Ulysse car Πολλων ανθρωπων ιδεν αστεα και νοον εγνω, [14][22][23][24] et c’est pourquoi le prince des poètes l’a surnommé πολυτροπος. [15]

J’achève là ma lettre qui fut assez bavarde ; l’amour particulier que je mets à accompagner et vénérer vos vertus me l’a inspirée. Je vous ordonne cordialement, très savant Monsieur, de longtemps bien vous porter, ainsi que votre famille, et de recevoir mes salutations.

À Leyde, le 4e de septembre 1661.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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