À Charles Spon, le 23 juillet 1649, note 15.
Note [15]

Première apparition du mot frondeur, sous la plume de Guy Patin : il l’appliquait ici à l’esprit de Jacques Leschassier, mort en 1625, bien avant la guerre civile de 1649. On doit donc lui attacher le vieux sens guerrier, dérivé du latin fundator « qui jette des pierres avec une fronde [funda]. Les frondeurs faisaient une partie de la milice des Romains » (Furetière) ; au figuré, « se dit aussi de ceux qui contredisent, qui critiquent » (ibid.). L’exhumation du mot n’était pourtant pas le fait du hasard et annonçait son emploi dorénavant commun dans les Lettres.

Dans ses Mémoires (pages 551-552), Retz a daté la naissance des mots Fronde et frondeur du printemps 1649, c’est-à-dire la période qui succéda à la paix de Saint-Germain (1er avril) :

« Quand le Parlement commença à s’assembler pour les affaires publiques, M. le duc d’Orléans et M. le Prince y vinrent assez souvent […] et y adoucirent même quelquefois les esprits. Ce calme n’y était que par intervalles. La chaleur revenait au bout de deux jours et l’on s’assemblait avec la même ardeur que le premier moment. Bachaumont {a} s’avisa de dire un jour en badinant que le Parlement faisait comme les écoliers qui frondent dans les fossés de Paris, qui se séparent dès qu’ils voient le lieutenant civil et qui se rassemblent dès qu’il n’apparaît plus. Cette comparaison, qui fut trouvée assez plaisante, fut célébrée par les chansons et elle refleurit particulièrement lorsque, la paix étant faite entre le roi et le Parlement, l’on trouva lieu de l’appliquer à la faction particulière de ceux qui ne s’étaient pas accommodés avec la cour. {b} Nous y donnâmes nous-mêmes assez de cours parce que nous remarquâmes que cette distinction de nom échauffe les esprits. Le président de Bellièvre m’ayant dit que le premier président {c} prenait avantage contre nous de ce quolibet, je lui fis voir un manuscrit de Sainte-Aldegonde, {d} un des premiers fondateurs de la République de Hollande, {e} où il était remarqué que Brederode {f} se fâchant de ce que, dans les premiers commencements de la révolte des Pays-Bas, l’on les appelait les Gueux, le prince d’Orange, qui était l’âme de la faction, lui écrivit qu’il n’entendait pas son véritable intérêt, qu’il en devait être très aise et qu’il ne manquât pas de faire mettre sur leurs manteaux de petits bissacs en broderie, en forme d’ordre. Nous résolûmes dès ce soir-là de prendre des cordons de chapeau qui eussent quelque forme de fronde. Un marchand affidé {g} nous en fit une quantité qu’il débita à une infinité de gens qui n’y entendaient aucune finesse. {h} Nous n’en portâmes que les derniers pour n’y point faire paraître d’affectation qui en eût gâté tout le mystère. L’effet que cette bagatelle fit est incroyable. Tout fut à la mode, le pain, les chapeaux, les canons, {i} les gants, les manchons, les éventails, les garnitures ; et nous fûmes nous-mêmes à la mode encore plus par cette sottise que par l’essentiel. ».


  1. V. note [8], lettre 715.

  2. Le parti des Princes.

  3. Mathieu i Molé.

  4. Philippe de Marnix de Sainte-Aldegonde (v. note [11] du Grotiana 2).

  5. Les Provinces-Unies.

  6. Hendrik graaf van Brederode.

  7. De confiance.

  8. Subtilité.

  9. Dentelles garnissant le bas de la culotte.

En juillet 1649, Guy Patin ne faisait donc que suivre la mode de son temps ; peut-être sans tout à fait savoir qu’elle lui venait indirectement des gueux bataves, gentilshommes hollandais révoltés contre la souveraineté espagnole qui avaient transformé leur dénomination injurieuse en titre de gloire : du temps de Guillaume le Taciturne (v. notule {d}, note [2], lettre latine 452), en 1572, ils avaient pris en signe de protestation des habits de mendiants pour venir déposer une plainte auprès de la gouvernante des Pays-Bas, Marguerite de Parme, et un de ses conseillers avait dit tout haut qu’on ne devait avoir aucun égard à la demande de tels gueux (Bertière a).

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 23 juillet 1649, note 15.

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(Consulté le 13/10/2024)

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