« et d’autres encore dont le souvenir ne me vient pas à l’esprit. »
Louis Guyon, sieur de la Nauche (originaire de Dole où il mourut vers 1630), médecin et érudit, fit de longs voyages en Italie, en Allemagne, dans les Pays-Bas, en Espagne, avant de s’établir à Uzerche dans le Limousin et acheter une charge de conseiller royal. Il connaissait un grand nombre de langues anciennes et modernes, et possédait une grande érudition (G.D.U. xixe s.). Guy Patin invitait ici à regarder les :
Diverses leçons de Louis Guyon, Dolois, sieur de la Nauche, conseiller du roi en ses finances au Limousin, suivant celles de Pierre Messie et du sieur de Vauprivaz. Divisées en cinq livres, contenant plusieurs histoires, discours, et faits mémorables, recueillis des auteurs grecs, latins, français, italiens, espagnols, allemands et arabes. Revues, corrigées et augmentées par l’auteur en cette seconde édition, avec deux indices, l’un des chapitres, et l’autre des matières. {a}
- Lyon, Claude Morillon, 1610, 2 tomes in‑8o ; le second contient les livres iii‑v.
Cet ouvrage est une collection de faits divers, toujours curieux mais souvent fantaisistes, ramassés chez une foule d’auteurs de tous pays. Le chapitre ix du livre iii est intitulé De certaines filles a Rome, et d’une seule fille à Paris, qui contrefaisaient les démoniaques, et ce qu’il en advint, et commence par ce récit intitulé 89 filles se disent démoniaques (page 485‑488) :
« Un abbé qui avait demeuré à Rome m’a récité l’histoire suivante, de certaines filles démoniaques qu’il y a vues. […] C’est qu’il y avait 89 tant filles que femmes démoniaques à Rome, lesquelles couraient par les rues presque toutes nues, hordes, {a} sales, avec de si horribles cris qu’on les croyait être telles, de sorte que plusieurs religieuses personnes, et qu’on tenait pour dévotieuses et saintes, s’étaient efforcées de les exorciser, mais c’était en vain.
Elles furent enfin exorcisées par un religieux de l’Ordre de S. Benoît, lequel, tant pour son grand savoir en toutes langues que pour sa bonne et vertueuse vie, Monsieur de Gondi, évêque de Paris, {b} amena < depuis > avec lui, qui fit aussi peu que ceux qui étaient passés devant lui, encore qu’il y employât six mois entiers. Il interrogea Satan en aucune {c} de ces démoniaques et lui demanda pourquoi il persécutait ces femmes et filles. Il répondit que les juifs l’avaient envoyé, dépités de ce qu’on les avait baptisées, pource qu’elles étaient juives pour la plupart.
Or je vais déclarer pourquoi elles feignaient les démoniaques et disaient ces paroles : ces filles étaient des débauchées, caimandes {d} par les rues, qui voulaient vivre sans rien faire, et l’on leur disait que si elles se faisaient baptiser, qu’on leur donnerait au double ; {e} ce qu’elles firent. Et aucuns courtisans qui faisaient la piaffe {f} à Rome, n’ayant pas les moyens de faire bonne chère et de s’habiller bravement, {g} pour recouvrer des moyens, persuadèrent à ces filles et femmes débauchées de contrefaire les maniaques, et de dire que les juifs avaient trouvé moyen de les faire posséder par des malins esprits ; et toutes le disaient.
Or ces courtisans savaient que le pape théatin, {h} qui présidait lors, haïssait extrêmement lesdits juifs et que soudain, pour ces forfaits, étant poussé aussi par aucuns qui étaient près de Sa Sainteté, il donnerait les confiscations de leurs biens à ceux qui le demanderaient, et qu’avec ce, pourrait commander qu’on les massacrât, ou pour le moins les chasserait.
Or, comme l’on parlait de cette affaire à Sa Sainteté, un jésuite, personnage judicieux et docte aux saintes lettres, soutint lors devant le pape, qui était aussi versé aux bonnes lettres, et surtout en théologie, que les hommes n’ont pas cette puissance : ce qui est bien certain, ni Satan aussi ; mais si Dieu le permet aux uns et aux autres, cela se peut faire ; et d’entrer au conseil de Dieu, c’est chose incompréhensible ; non pas que je pense que Satan fût envoyé par les juifs, car ceux de leur religion en seraient plutôt possédés, que ceux {i} qui se font baptiser et renoncent à leur Loi.
Or […], voici ce qu’en ai appris […] : c’est qu’aucunes personnes ayant la conscience et l’âme meilleures, reconnaissant qu’il y avait de la malice et ruse de l’homme, obtinrent commission de Sa Sainteté secrètement d’intimider aucunes de ces filles, voire leur donner quelque géhenne {j} ou le fouet, pour leur faire dire la vérité. L’on n’eut pas donné demi-douzaine de coups de fouet à deux, que toutes dirent qu’une douzaine de courtisans leur avaient persuadé de contrefaire les démoniaques, et les nommèrent, ce qui fut écrit, et de plus les montrèrent au doigt secrètement.
Ce qui fut rapporté au Conseil secret du pape, où il fut arrêté que, par une nuit, ils seraient pris ; ce qui fut fait par le barigel, {k} qui fit leur procès et furent soudain pendus de nuit. Car si on les eût gardés, aucuns ambassadeurs des grands princes qui suivent la cour du pape les eussent demandés ; et autres eussent employé leus amis et alliés qui avaient crédi, qui les eussent empêchés par importunité de solliciter pour leur absolution, de sorte qu’on n’eût pas fait justice. Or, quand le barigel, le matin, vint trouver le pape, et lui eut dit et récité ses diligences, pour récompense d’avoir si secrètement exécuté son mandement, il lui donna 200 ducats, puis dit : ” Sans mon bon jésuite, j’étais damné ; car j’eusse fait mourir à tort des juifs ; et prie Dieu qu’il les convertisse, mais tant que je vivrai, je ne les molesterai ni haïrai comme j’ai fait ” ; dont il acquit un grand honneur envers tous les princes chrétiens. Ces choses advinrent l’an 1552. » {l}
- Vagabondes.
- Pierre de Gondi (Lyon 1533-Paris 1616), évêque de Paris en 1568, cardinal en 1587.
- En l’une.
- Mendiantes, gueuses.
- Qu’on doublerait leurs aumônes.
- Certains courtisans qui paradaient.
- Richement.
- Paul iv, Gian Pietro Carafa, pape de 1555 à 1559 (v. note [9], lettre 317), a appartenu à l’Ordre des théatins (v. note [19], lettre 282).
- Mais par ceux.
- Torture.
- À Rome, l’« officier dont le soin est de veiller à la sûreté publique, en faisant arrêter et punir les bandits et les voleurs ; c’est le chef ou le capitaine des sbires, qui sont des archers » (Trévoux).
- Date discordante avec ce qui précède car, en 1552, le pape était Jules iii (v. note [12], lettre latine 151), qui n’était pas théatin (v. supra notule {h}).
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