À André Falconet, le 31 janvier 1659, note 29.
Note [29]

Don Juan d’Autriche {a} passa à Paris, et Mme de Motteville (Mémoires, pages 475‑476) a expliqué le savant double jeu de Mazarin à l’occasion de cette visite qui fut l’un des préambules au mariage espagnol de Louis xiv :

« Dans ce même temps {b} don Juan d’Autriche, par le commandement du roi d’Espagne, {c} son père, quitta la Flandre où il commandait, pour retourner en Espagne. Le roi lui avait envoyé des passeports pour passer en France et le cardinal l’avait envoyé visiter sur la frontière. Don Juan lui manda qu’il le suppliait qu’il pût voir la reine. {d} Le cardinal en parut fâché et reprit publiquement Millet, qui était celui qu’il lui avait envoyé, de n’avoir pas évité cet engagement. En effet, la reine qui avait témoigné un grand désir de voir ce prince, tout d’un coup en parla plus froidement ; ce que les gens de la cour remarquèrent convenir fort bien avec le chagrin du ministre, qui voulait persuader les spéculatifs que l’alliance d’Espagne lui faisait toujours peur et qu’il n’y était entré que par la force des événements qui l’y contraignaient, et par celle de la reconnaissance qu’il avait pour la reine ; et ce qui fit croire qu’il n’en avait point envie fut que, dans le même temps, il faisait donner sous main de grandes espérances à Mme de Savoie et qu’il paraissait être le confident de la reine sur l’opposition qu’elle faisait à ce mariage. {e} Il dit un jour à un de ses amis, parlant de cette affaire, que l’aversion qu’elle avait pour la princesse Marguerite l’embarrassait ; que selon ses intérêts, il ne devait point souhaiter l’infante ; qu’elle ne lui saurait point de gré de la marier au roi puisqu’elle s’estimait assez pour croire que le roi ne pourrait avoir dans l’Europe de princesse qui pût l’égaler ; et ajouta qu’il appréhendait que l’infante étant en France, à l’exemple de la reine, sa tante, qui avait haï le cardinal de Richelieu, elle ne fît des intrigues contre lui.

Enfin, la reine voulut voir don Juan d’Autriche qui passa à Paris incognito afin d’éviter les embarras des rangs. {f} Elle le reçut au Val-de-Grâce et eut sans doute beaucoup de joie de voir en lui une personne de son sang. […] Je vis ce prince qui, tout bâtard qu’il était, se faisait beaucoup respecter. […] Après qu’il eut salué la reine, elle le mena dans un recoin de sa chambre, un peu séparé des autres ; ils demeurèrent tout debout trois quarts d’heure ou une heure. Delà {g} il alla loger chez le cardinal Mazarin où il fut traité magnifiquement. […] La reine le fit venir au Louvre par une porte de derrière et le fit entrer dans son cabinet des bains, qui était beau […]. Quand il fut dans le cabinet et qu’il eut été un peu de temps avec elle, la reine fit appeler le roi qui entra un moment pour se montrer ; et comme plusieurs personnes de qualité en foule, selon la mode de France, entrèrent avec lui, don Juan se retourna vers la reine et lui dit Seniora, es esto el particular del rey ? {h} Il le loua beaucoup et dit que s’il n’eût pas été roi par naissance, il méritait de l’être par élection. Enfin, il partit deux jours après, n’ayant vu de Paris que la foire Saint-Germain. La reine en demeura fort satisfaite et on connut par la joie qu’elle eut de voir ce prince combien elle aimait tout ce qu’elle devait aimer. Il était carême et la reine eut de la peine de ce qu’il mangea toujours de la viande, lui et toute sa suite ; elle eût désiré qu’il eût été plus régulier et plus obéissant aux commandements de l’Église ; mais comme le poisson est plus rare à Madrid qu’à Paris, ils sont accoutumés à n’y point faire de jours maigres et ils ne s’en corrigent pas ailleurs. »


  1. Fils bâtard de Philippe iv, Don Juan quittait alors la vice-royauté des Pays-Bas espagnols (v. note [26], lettre 487).

  2. Que Pimentel négociait secrètement avec Mazarin.

  3. Philippe iv.

  4. Anne d’Autriche.

  5. De Louis xiv avec la princesse Marguerite de Savoie.

  6. Préséances.

  7. Ensuite.

  8. « Madame, est-ce là le particulier [la compagnie ordinaire] du roi ? »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 31 janvier 1659, note 29.

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(Consulté le 26/04/2024)

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