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Thomas Bartholin
Hepatis Exsequiæ
[Funérailles du foie] (1653)  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Thomas Bartholin, Hepatis Exsequiæ [Funérailles du foie] (1653)

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/pecquet/?do=pg&let=1020

(Consulté le 03/06/2024)

 

[Page 53 | LAT | IMG]

Après la découverte des vaisseaux lymphatiques, les funérailles du foie[1][1][2]

Nous devons reconnaître les mérites des grands hommes qui ont soutenu le fardeau de la république avec honneur pour eux-mêmes et profit pour le plus grand nombre, en conservant le souvenir des hauts faits qu’ont accomplis ceux à qui la nature a refusé l’immortalité. Nous acquitterons volontiers notre devoir de respect et de gratitude envers le foie, qui était encore tout récemment tenu pour le principal organe du corps humain. Ce sont pourtant ses funérailles qu’il faut aujourd’hui célébrer car la chute de son trône l’a contraint à choisir une situation de moindre prestige. Voilà bien des siècles, Aristote [3] l’avait menacé en tramant contre lui, mais la [Page 54 | LAT | IMG] sagesse de Galien [4] et de tous ceux qui l’ont suivi avait écarté le danger, si bien que le foie est demeuré sain et sauf jusqu’à notre siècle, où les grands souverains ne sont pas à l’abri de la ruine. [2] En découvrant les lactifères thoraciques qui gagnent la veine axillaire, [5][6] Pecquet [7] a privé le malheureux foie de la sanguification car il n’a observé aucune veine lactée qui s’y rende, [8] ce qui a aussitôt entraîné le trépas de ce glorieux viscère. [9] Maints complices se sont joints à sa conspiration, mais pour ma part, je n’ai pas voulu décider à la légère de jeter ce vieil organe par-dessus le pont, [3] et me suis démené en divers sens pour lui conserver son antique gloire. J’ai d’abord réparti la fabrication du sang entre le foie et le cœur, [10] parce que j’avais vu les lactifères qui montent au cœur, mais aussi quelques-uns gagner le foie : [11] nul en effet ne peut nier et tous ceux qui ont soigneusement disséqué des animaux [12] [Page 55 | LAT | IMG] ont vu de fins rameaux pénétrer dans le foie ou en sortir ; il est toujours possible de démontrer leur existence et je suis étonné que ses récents adversaires continuent à la mettre en doute. S’ils ne sont pas lactés et s’ils n’introduisent rien dans le foie, il faudra leur donner un autre nom, leur trouver une autre fonction, mais ne pas les nier globalement sous prétexte qu’on ignore leur trajet et leur utilité. J’avais donc toujours observé ces quelques vaisseaux autour du foie et les avais jusqu’alors légitimement tenus pour des lactifères distribuant le chyle, qui va en partie au foie et en partie au cœur, en attendant qu’une faveur de la nature m’ait autrement convaincu. Les ayant tout récemment observés à Copenhague en éviscérant soigneusement des animaux et en cherchant à savoir [Page 56 | LAT | IMG] ce qu’étaient ces grêles vaisseaux, où ils allaient et quelle était leur fonction, sans vouloir rester obstinément attachés à l’ancienne opinion, ni respecter bien longtemps les fonctions chancelantes d’un foie voué à l’abandon. Nous avons ainsi découvert que ces vaisseaux proches du foie étaient d’un genre particulier et les avons appelés lymphatiques à cause du liquide aqueux qu’ils contiennent : [13] ils le transportent du foie au réservoir du chyle [14] car, quand on y place une ligature, ils enflent en amont, du côté du foie, et s’affaissent en aval ; [15] leur contenu est identique, par sa substance, sa couleur et sa fonction, à celui que nous avons précédemment découvert ailleurs, dans les membres et le bas-ventre. La nouveauté de cette invention a fait perdre au foie tout espoir de demeurer le lieu de la sanguification, contre ce qu’on avait unanimement rabâché pendant tant de siècles, et de pouvoir le maintenir dans son opulence. [16] J’ai certes déploré le revers qu’endurait un viscère qu’on a naguère glorifié, mais ai fait tout mon possible pour le consoler en invoquant la fragilité du sort humain et les caprices imprévisibles de la [Page 57 | LAT | IMG] glissante fortune. Je l’ai invité à considérer courageusement que le destin se montre avare à l’égard des plus grands héros ; qu’il leur faut monter et décliner, naître et mourir ; que tous les hommes viennent au monde pour le quitter un jour ; que telle est l’immuable loi du déclin que connaissent tous les empires, et que la disparition des républiques est fixée d’avance ; qu’il se contente, pour son immortelle gloire, de la souveraineté qu’il a méritée et obtenue pendant tant de siècles, grâce aux suffrages des meilleurs auteurs et à l’ignorance de maints autres. Le voilà rabaissé à la principale fonction d’extraire la bile, [17] mais qu’il n’aille pas la vomir sur moi en me tenant pour responsable de sa royauté renversée : qu’il s’en prenne donc aux dieux et aux présages qu’on a récemment vus dans le ciel, car

      Nunqvam spectatus cœlis impune Cometes ; [4][18]

à la nature, qui méconnaît le devoir de [Page 58 | LAT | IMG] déférence ; aux pecquétiens qui, sans juste motif, ont dernièrement fomenté la rébellion. Quant à moi, je n’oublie pourtant pas l’antique vénération due au tout-puissant maître qui a régné sur notre abdomen pendant deux fois huit siècles ; et pour qu’il ne soit pas mené au tombeau incognito et sans panégyrique, j’ai rédigé cet éloge funèbre, en ultime témoignage public de dévotion : [Page 59 | LAT | IMG]

« Arrête-toi, voyageur, devant ce tombeau où est enfermé le foie, premier cuisinier et arbitre de ton corps, qui a enseveli quantité de gens. Des générations d’hommes le connaissaient, mais il était inconnu de la nature. Parce que la majesté d’un nom l’avait affermi dans l’opinion et lui avait conservé sa réputation de dignité, il a cuit si longtemps que lui-même et son pouvoir sanguinaire ont fini par être entièrement digérés. Éloigne-toi sans foie, voyageur, concède la bile au foie et prie pour lui afin de bien digérer sans bile. » [5]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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