Texte
Thomas Bartholin
Historia anatomica
sur les lactifères thoraciques (1652)
chapitre v  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Thomas Bartholin, Historia anatomica sur les lactifères thoraciques (1652), chapitre v

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(Consulté le 20/05/2024)

 

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observations nouvelles que nous ajoutons
aux lactifères de pecquet
[1]

L’ingéniosité de ceux qui exploraient la distribution du chyle s’en tenait à ce que j’ai dit et les sceptiques pensaient la tâche achevée. Il nous semblait tant devoir à Aselli [2] qu’il était inutile de mener la recherche sur les lactifères plus loin que les contours qu’il en avait décrits et publiés. On pensait qu’ils se terminaient dans le pancréas ou dans une glande médiane, [3] sans sortir des limites de l’abdomen. Des esprits éveillés ont vu des inconvénients dans l’étroitesse des branches qui vont du pancréas au foie, et présagé qu’on découvrirait un jour d’autres chemins encore ignorés. Sur sa planche iii, à la lettre T, Aselli avait dessiné la racine du mésentère, mais s’il l’avait suivie plus loin, vers le rachis, il aurait trouvé bien des choses. [1][4] Il a laissé à la postérité l’honneur de chercher et découvrir le reste. Hippocrate [5][6] puis Marziano et Castellus [7][8] ont émis maintes conjectures sur la possibilité que le chyle soit poussé du mésentère dans les mamelles, mais sans parler d’autre chose que de voies et de pores corporels igorés. [2][9][10] Pour l’éternel éclat de son nom, Jean Pecquet[11] médecin de Paris natif de Dieppe, [12] a prolongé et fait progresser la terminaison des veines lactées en mettant au jour des vaisseaux du chyle qui étaient précédemment inconnus ; dans les Experimenta nova anatomica, publiées à Paris en 1651, il a résumé trois années de ses travaux en trois courtes dissections, et en donnera d’autres à voir. Il y a le premier découvert deux choses chez des moutons, des chiens et d’autres [Page  13 | LAT | IMG] animaux vivants qu’il a disséqués [13] environ quatre heures après les avoir nourris : d’abord, sous le mésentère ou les veines lactées d’Aselli, qui étaient déjà connues, est disposé un réservoir [14] qui recueille tout le chyle venant du mésentère par ses nombreux lactifères ; ensuite, depuis ledit réservoir, d’autres canaux chylifères rampent vers le haut dans le thorax en direction des subclavières. [15][16][17] C’est par accident et sans y penser qu’il a découvert ces deux structures que tant de siècles ont méconnues, en travaillant sur le mouvement du cœur chez les animaux vivants : en les éviscérant et en essuyant le sang qui coulait en abondance, son regard s’est arrêté sur l’écoulement d’un liquide laiteux et sur des canaux blancs du thorax ; en les explorant ensuite plus avant, il a vu que leur origine siégeait autour du diaphragme et dans le mésentère. Il est fort surprenant qu’une chose aussi manifeste se soit jusqu’ici soustraite aux yeux de tous, et même de ceux qui se glorifient du vain orgueil d’avoir ajouté à l’anatomie l’ultime complément qui lui manquait encore. Nous qui sondons tous les jours la nature pour trouver du nouveau, méritons-nous vraiment d’être facilement pardonnés quand nous avouons ingénument ne pas suivre ce qu’elle nous montre ? [3] Nous savons gré à Pecquet, à la page 3, chapitre i[18] d’avoir mis ce manque de clairvoyance plutôt sur le compte de notre malchance que sur notre incurie. Prévenu par une lettre de mon frère Érasme Bartholin[19] très distingué médecin et mathématicien qui avait reconnu l’exactitude d’une démonstration faite à Blois, [20] j’ai éprouvé le désir ardent de connaître les observations pecquétiennes. [4][21] Dès que j’eus le livre en ma possession, agité d’impatience par cette nouveauté, en compagnie de mon ami M. Michael Leyser[22] nous ouvrîmes un chien vivant, quatre heures après l’avoir très copieusement nourri, et trouvâmes la plus grande partie de ce que Pecquet avait observé et [Page 14 | LAT | IMG] représenté dans ses figures. [23] Étant donné que les vaisseaux lactés disparaissent très vite chez un animal vivant agité de mouvements, dans son ultime effort contre la torture, et que j’avais observé des veines lactées subsistant dans l’abdomen d’hommes qui venaient d’être pendus, je pensai que l’expérience pourrait être accomplie avec succès si j’ouvrais sans tarder un animal étranglé avec une corde et nourri quelques heures plus tôt, ou un homme mené au gibet après un copieux repas car, la suppression de la respiration empêchant subitement tout mouvement du thorax, les liquides qu’il contenait y resteraient sans être déplacés par la douleur de la dissection. Après avoir médité sur la question et mené l’expérience sur de nombreux chiens, l’occasion désirée se présenta : conformément au vœu du public et avec la clémente permission du sérénissime roi Frédéric iii[24] nous nous sommes mis en quête de cadavres d’hommes condamnés à la roue ou à quelque autre sorte d’exécution capitale après avoir été bien nourris ; et une fois trouvés, chacun d’eux serait soumis à la dissection habituelle, soit publiquement, dans l’amphithéâtre anatomique de la Faculté, soit en privé ; nous y avons mis tant d’application que nous avons été les premiers à reproduire l’expérience de Pecquet chez l’homme. [5][25] Le premier cadavre fut celui d’un homme très maigre, presque réduit à l’état de squelette, exécuté pour infanticide, et le second, celui d’un voleur qui était obèse et entièrement sain de corps. Cinq heures avant leur exécution, tous deux furent rassasiés de nourriture et de vin. Chez le premier, nous avons trouvé des lactifères mésentériques et thoraciques remplis de chyle ; [26] chez le second pourtant, il ne restait plus de chyle dans ces vaisseaux, mais notre attente et nos espoirs ne furent pas entièrement déçus, car se voyaient les glandes lombaires du mésentère et les canaux thoraciques qui sont destinés à recevoir le chyle, et nous les avons découverts avec d’autant plus de facilité que leur position nous était [Page 15 | LAT | IMG] parfaitement connues grâce aux expériences précédemment menées sur de nombreux animaux. Chez le premier, dans la même position que le réservoir pecquétien, nous avons publiquement démontré la présence de trois glandes lombaires pleines de chyle, [27] et l’insertion externe et bien visible, sous la forme de trois rameaux, des lactifères thoraciques dans la veine axillaire gauche. Chez le second, en y mettant la plus extrême application, après avoir retrouvé les mêmes glandes mésentériques, nous avons bien vu l’insertion des lactifères thoraciques, avec sa valvule, [28] à l’intérieur de la veine axillaire que vous avions ouverte, après l’avoir bien dégagée à l’aide du scalpel et de l’insufflation d’air. Personne ne mettra honnêtement en doute notre bonne foi et notre sincérité. À aucun moment nous n’avons dit le moindre mot pour influencer public qui nous regardait. Je sais pourtant qu’il ne manquera pas d’opposants pour nous contredire, par jalousie ou par mépris, mais nous faisons fi des hommes de cette engeance qui ont l’ajournement pour règle : qu’ils fassent donc l’expérience eux-mêmes, s’ils en sont capables, ou du moins qu’ils suivent nos traces, et cessent de médire et de mal nous entendre ! En attendant, s’ils nous accusent de supercherie, j’ai pour moi des planches dessinées et les très honorables témoins de toute condition, très éminente comme très modeste, qui ont assisté à nos dissections, tant publiques que privées : en tout premier l’illustre et magnifique héros qu’est M. Christen Thomesen, seigneur de Stougaard, chevalier de l’Éperon d’or, grand chancelier du sérénissime roi et très généreux conservateur de l’Université et des lettres, [6][29] ainsi que d’autres généreux et très nobles personnages, que la nouveauté de la chose et leur bienveillance coutumière à mon égard avaient incités à venir contempler ce spectacle de la nature, et que nul ne louera assez pour cela ; mais aussi de très nombreux et éminents médecins, fins connaisseurs de l’anatomie, Jacobus Fabricius[30] [Page 16 | LAT | IMG] Olaüs Wormius[31] Simon Paulli[32] Paulus Moth[33] Henrik Fuiren[34] Jacobus Finck[7][35] et d’autres professeurs royaux, qui formaient une splendide couronne de gens fort instruits et attentifs. Quiconque n’accorde pas sa confiance à de si grands personnages sera à tout jamais de mauvaise foi. Nous avons néanmoins observé que la structure des nouveaux vaisseaux n’est pas la même chez les hommes et les bêtes, et qu’elle varie d’une espèce animale à l’autre, comme nous l’expliquerons ultérieurement plus en détail et selon notre méthode coutumière, mais nous traiterons principalement ici de l’homme car le premier inventeur des lactifères thoraciques n’a disséqué que des bêtes, et il a tant enjolivé ses descriptions de mots et de phrases fleuries qu’il laisse toujours place au doute, même après qu’on l’a relu plusieurs fois. [8][36]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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