Je vous veux avertir de la bonne fortune que j’ai eue : M. Rigaud, [2] votre libraire, m’a salué de votre part, ce qui m’a réjoui de deux manières, en ce que j’ai eu par ce moyen des nouvelles de votre santé et l’honneur de sa connaissance. Il ne m’a pas su dire si le grand in‑fo de M. Meyssonnier [3] est achevé, dont il m’avait envoyé lui-même il y a quelques mois la première feuille. [1] Le jésuite qui a continué la Chronologie de Gaultier, [4] depuis quelques mois imprimée à Lyon, l’a mis au rang des illustres de notre siècle. Non equidem invideo, miror magis, [2][5] j’ai peur que dorénavant le papier ne serve plus que comme les maquereaux, à la prostitution de la renommée des hommes et à faire des éloges tant à ceux qui le méritent qu’à ceux qui ne le méritent point. Je vous en parle ainsi librement, mais je vous prie que ce soit à l’oreille.
Le roi [6] et la reine [7] sont encore à Bourges ; [3][8] on parle d’aller à Poitiers, [9] mais cela est fort incertain. Le cardinal Mazarin [10] voudrait revenir par deçà, mais il n’ose l’entreprendre de peur d’y laisser sa peau. Son grand et puissant ennemi, le cardinal Panciroli, [11] est mort à Rome, il gouvernait le pape [12] et le papat. Un autre cardinal nommé Rocci [13] s’est aussi laissé mourir. Il n’y a jamais grande perte quand ces gens-là meurent, une pluie du Vatican en fait bientôt renaître d’autres comme des champignons. [4] On peut dire d’eux aussi bien que des moines ce qu’a dit Pline [14] des Esséniens [15] en son Histoire naturelle qui est le plus beau livre du monde, que c’est une nation éternelle parmi laquelle personne ne naît. Vale. [5]
De Paris, ce 24e d’octobre 1651.