L. 270.  >
À Charles Spon,
le 3 novembre 1651

Monsieur, [a][1]

Ce 24e d’octobre. Ma dernière, qui était de trois grandes pages, vous fut envoyée du même jour qu’elle est datée, savoir du mardi 17e d’octobre. Depuis ce temps-là, nous avons toujours attendu les courriers du duc d’Orléans [2] et du prince de Condé, [3] desquels on espère un accord ; nous les attendons encore et attendrons peut-être longtemps. Le roi [4] est encore à Bourges ; [5] on parle d’un voyage de Poitiers, [6] nil tamen est æque incertum[1] Le vieux duc de Bavière [7] est mort en Allemagne, il était le grand patron et fauteur des jésuites. [2][8] Le pape [9] était revenu en convalescence, les dernières lettres portent qu’une récidive l’a attrapé ; quand elle l’aurait étouffé, il n’y aurait point grande perte, telles gens que lui ne manquent jamais de successeur, non plus que les riches de parents. J’ai ici traité quelques jours malade [10] un libraire de Lyon nommé M. Rigaud, [11] que j’ai trouvé fort honnête homme. Il est ami intime, à ce que j’ai connu, de M. Falconet ; [12] mais croyez-moi qu’il est aussi bien fort le vôtre et qu’il fait très grand état de vous. Je l’estime de ce qu’il n’est point médisant, en quoi il est fort dissemblable de nos libraires de Paris qui se déchirent cruellement les uns et les autres. Je lui ai quelquefois parlé de MM. Huguetan [13] et Ravaud, [14] et ne m’en a jamais dit que du bien. J’apprends par un marchand, qui est ici le grand facteur [15] de la reine de Suède, [16] que M. de Saumaise [17] est arrivé en Hollande et qu’entre autres présents que cette reine lui a faits, elle lui a donné 10 000 écus en argent comptant. [3] Dieu garde de mal cette princesse qui traite si bien et récompense si libéralement les savants. Enfin, notre M. Bourdelot [18] est parti pour aller être son premier médecin, [4] à 12 000 livres par an, à la place de M. Du Rietz, [19] que l’on dit s’en venir demeurer à Nîmes ; si cela est, peut-être qu’il vous verra à Lyon en passant, et peut-être moi à Paris. Depuis la bataille que le roi d’Angleterre [20] a perdue, on ne savait ce qu’était devenu ce prince. On le soupçonnait caché en Angleterre, les autres pensaient qu’il eût été tué, d’autres qu’il eût été noyé par ceux auxquels il se serait fié en se sauvant après la bataille ; mais rien de tout cela, il s’est finement sauvé et est ici depuis le 29e d’octobre. La reine d’Angleterre, [21] sa mère, et quantité de ses amis furent au-devant de lui jusqu’à Saint-Denis [22] et à Pontoise. [5][23] On parle ici d’un accommodement de la reine [24] avec M. le Prince et que pour cet effet, M. le duc d’Orléans se dispose pour un grand voyage jusque devers Bordeaux ; [25] je ne tiens pas l’accord impossible si on en va jusque-là. Le Mazarin [26] est devers Sedan, [27] d’autres disent qu’il est même dans le château. Il voudrait bien entrer plus avant, mais jusqu’ici, il n’a osé ; fortassis in posterum ausurus [6] si la reine lui fait connaître qu’il y ait quelque assurance pour sa peau.

Ce 2d de novembre. J’ai ici vu malade un de vos libraires de Lyon nommé M. Rigaud l’aîné, lequel m’était venu saluer céans de la part de M. Falconet qui est son bon ami ; le même fait pareillement grand état de vous. Nous avons parlé ensemble de plusieurs livres, et du commerce des libraires et des nouvelles impressions. Je lui ai offert de lui donner quelque chose à imprimer de notre bon ami feu M. Hofmann ; [28] comme j’ai vu qu’il avait bonne opinion de cet auteur, il s’y est offert et m’a dit qu’il ferait tout ce que je lui dirais, et à telle condition que je voudrais. Je lui avais dit auparavant que je ne lui demanderais point d’argent, combien que la troisième partie de ce que je lui voulais donner pour faire un in‑fo assez raisonnable lui eût coûté toute seule 50 écus, dont j’avais céans la quittance de la fille de l’auteur ; que je me contenterais de plusieurs exemplaires. Il m’a répondu qu’il m’en donnerait ce que je voudrais. Ce sont ses Chrestomathies physiol. et pathol., à la première partie desquelles j’ajouterai les trois traités du même auteur qui avaient été si longtemps cachés en Hollande, apud Ianssonium, bibliopolam Amsteldamensem[7][29] savoir de Spiritibus et calido innato, de Partibus similarib. [30] et de Humoribus, afin de rendre ce traité physiologique de beaucoup plus parfait. Peut-être, si vous le trouvez bon, y pourrions-nous bien ajouter, propter similitudinem materiæ [8] et pour rendre l’œuvre plus accomplie, le petit livret in‑12 réimprimé en Hollande, lequel contient de Usu cerebri, de Usu lienis, de Ichoribus, Varias lectiones, etc. ; [9][31] mais cela ne sera que selon votre avis. Maintenant, je vous prie de me conseiller si j’en dois traiter avec M. Rigaud, qui se présente à moi et de bonne grâce. Je l’avais par ci-devant offert à MM. Huguetan et Ravaud qui n’en ont fait compte. [10] Je n’ose espérer de trouver ici personne qui l’imprime de longtemps et si nous n’avons la paix générale, mais quand sera-ce ? C’est un dépôt duquel je suis chargé et que, de bonne foi, je dois rendre au public le plus tôt que je pourrai, comme j’ai toujours eu envie de faire. De plus, je puis mourir et ma mort reculerait l’exécution de cette affaire. Voyez donc, Monsieur, où j’en suis, et me conseillez s’il vous plaît. Vous savez que medicus est inventor occasionis [11] et que le plus habile du métier est celui qui sait mieux l’empoigner : dois-je attendre une autre occasion, se présentera-t-elle bientôt ? celle-ci n’est-elle point assez bonne ? Je vous conjure de me répondre à la proposition que je vous en fais. Je vous prie aussi de faire mes recommandations à MM. Gras, Falconet et Garnier. Faites-moi la faveur de m’éclaircir de ce que l’on m’a dit : M. Barancy [32] imprime-t-il à Lyon quelque chose de M. de Gassendi ? [33] On dit qu’il fait un livre de Animalibus[12] On dit ici que le P. Théophile Raynaud [34] n’est plus à Lyon, mais qu’il est retourné à Rome pour leur chapitre général, auquel ils doivent élire un nouveau général. [13][35] J’eusse bien souhaité qu’il eût fait imprimer quelque chose à Lyon, et surtout sa continuation de Bellarmin [36] de Scriptoribus ecclesiasticis[14]

Mais à propos de l’édition de nos manuscrits de feu M. Hofmann, pourrez-vous bien avoir le loisir de jeter quelquefois l’œil sur les tierces avant que l’imprimeur [37] tire, [15] ou bien répondre quelquefois au correcteur qui pourra vous consulter sur l’intelligence de l’écriture de l’auteur ? Car sans vous et vos bonnes grâces, je ne pense point que cette affaire se pût jamais bien faire à Lyon, ou sans moi à Paris, vu qu’il faut un médecin qui préside à cet ouvrage, qui doit être fort exactement correct, pour la diversité des termes du métier qui se rencontrent en un si grand œuvre qui, en récompense, sera fort bon s’il est bien correct. M. Rigaud semble bien espérer quelque chose de votre bienveillance pour cela : voyez donc si la mémoire du défunt, qui a été notre bon ami, si le public, pour lequel vous avez toujours eu de la passion comme un homme de bien doit faire, et même si ma considération et mes prières envers vous pourront obtenir quelque chose de votre temps et de votre patience pour cet effet ; car autrement, j’aurais tort d’envoyer ma copie à Lyon, n’y sachant personne à qui je m’y voulusse fier. Faites-moi aussi la faveur de me mander ce que vous pensez du dit M. Rigaud, c’est celui qui est marié et qui s’appelle Pierre, et si vous êtes d’avis que je traite avec lui. Je ne lui demande point d’argent, mais je prendrai des exemplaires en récompense. Voilà ce que j’ai à vous dire pour le présent, vale qui valde dignus es, et me quod hactenus fecisti amare perge[16] Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 3e de novembre 1651.

M. Du Prat [38] m’a dit depuis son retour que Mlle Spon [39] m’avait fait l’honneur de lui parler quelquefois de moi ; je me sens obligé de tant plus à sa bonté pour cette courtoisie et vous prie de me permettre que je la salue ici, avec l’offre tout entier de mon très humble service. [17]

On imprime ici un nouveau livre de Balzac [40] in‑8o intitulé le Socrate chrétien, qui fera bien du bruit : il est là-dedans pour les molinistes, [41] mais il se doit tenir pour assuré que les jansénistes [42] ne lui pardonneront point ; ils valent mieux que lui et sont plus savants que lui. [18][43]

Ceux d’Angoulême [44] ont peur du siège tant ils voient lever de soldatesque alentour de leurs quartiers. [19]

Adieu Monsieur.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 3 novembre 1651

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(Consulté le 12/12/2024)

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