[Ms BIU Santé no 2007, fo 187 vo | LAT | IMG]
Au très distingué M. Heinrich Meibomius, à Helmstedt.
Très distingué Monsieur, [a][1]
J’ai reçu hier matin avec grande joie votre fort agréable lettre ; avec votre permission, j’y répondrai en quelques lignes. J’attendrai patiemment le paquet que vous avez envoyé pour moi à notre ami Scheffer de Francfort, [2] et vous écrirai aussitôt que je l’aurai reçu. Vous m’aurez lié à vous par un immense bienfait si vous avez pris soin d’y mettre les opuscules que votre imprimeur a publiés, dont je vous avais envoyé la liste. [1][3] Après que je les aurai reçus, je veillerai à vous payer chacun de ceux que vous avez expédiés à Scheffer ; si vous voulez bien, comme je vous l’ai écrit, vous enverrez les autres à Hambourg, chez Louis Héron, qui vous remboursera aussitôt ce qu’ils vous auront coûté. [2][4] Nous ne nous querellerons jamais sur le prix, si du moins le défraiement sans délai de vos dépenses vous agrée. Tout ce que vous écrivez au sujet de Schefferus, natif de Strasbourg, me plaît beaucoup ; [3][5][6] dès que cela se vendra ici, je l’achèterai aussitôt et tirerai sans doute grand profit de sa lecture. Je connais fort bien ce Loccenius, par les ouvrages qu’il a publiés. [4][7] Je ne veux pas m’échauffer la bile sur le Pétrone qui a été publié l’an passé à Padoue, mais sous pseudonyme ; [8] [Ms BIU Santé no 2007, fo 188 ro | LAT | IMG] on le trouve même ici depuis quelques mois, mais j’ai du mal à y sentir son esprit : ce fragment est, dit-on, de Pétrone, mais je le nie farouchement ; je soupçonne, pour ne pas dire que je préfère croire, que cet opuscule est l’ouvrage de quelque moine oisif et d’un petit singe pétronisant ; longe enim et aliter olent catuli quam sues. [5][9] Quoi qu’il en soit, un tel écrit a bien pu sortir de quelque lupanar, et jamais je ne me persuaderai de bon cœur ni ne croirai naïvement qu’un fragment si insipide appartienne à Pétrone, lui qui fut l’Arbitre des voluptés privées du fameux Trimalcion ; [10] lequel ne fut, je pense, personne d’autre que l’infâme disciple de l’incomparable Sénèque, [11][12] Cujus ad exitium non debuit una parari simia, non serpens unus, non culeus unus ; [6][13] vous savez ce que je veux dire et comprenez parfaitement ce que j’entends. Ce fils d’Agrippine [14] fut un monstre d’homme qui Romæ olim exercuit histrionam, auriga, incendiarius, matris et præceptoris carnifex, etc. [7][15][16] Anne d’Autriche décline de jour en jour, les remèdes du prêtre sont inefficaces contre son cancer, [17][18] dont, je pense, on ne peut rien attendre d’autre que la consomption. [19] Dieu fasse que votre traité de Cervisia paraisse enfin au jour sous de bons auspices. [8][20][21] Nous vivons dans un siècle novateur et bien trop avide de découvertes, et ce contre la volonté divine : voilà pourquoi on nous présente quantité de fictions, on nous les impose même contre notre gré ; j’y mets ce que vous écrivez de cette Chirurgia infusioria de Johann Daniel Major, médecin des épidémies à Hambourg, car il fait de fausses promesses et professe l’impossible ; voilà bien les sornettes et les délires d’un siècle moribond. [9][22][23] Je saluerai ici tous vos amis et en retour, vous me recommanderez bien aux très distingués Conring [24] et Tappius, [25] et aux autres qui m’honorent de leur bienveillance. Vale, très éminent Monsieur, et aimez celui qui vous salue avec tous les siens.
De Paris, le 1er d’avril 1665.
Vôtre de tout cœur, Guy Patin.