L. française reçue 32.  >
De Charles Spon,
le 20 mars 1657

De Lyon, ce 20e de mars 1657.

Monsieur, [a][1][2]

Je vous suis parfaitement obligé de tant et tant de bontés que vous avez pour moi, entre autres de trois lettres que j’ai reçues de votre part en peu de jours : l’une en date du 1er du courant, que m’a rendue céans M. Le Roy [3] de Poitiers, [1] l’autre du 6e et enfin, la dernière du 13e du dit. Pour auxquelles répondre, je vous dirai que j’ai été ravi de voir ledit sieur Le Roy qui m’assura de votre bonne disposition et partit d’ici par eau pour continuer son voyage du côté de Montpellier, le 13e de ce mois, en fort bonne compagnie. Je lui baillai un mot de lettre de recommandation, pour M. Courtaud, [4] le doyen. Je n’ai point encore pu apprendre de personne ce que vous me mandez de la mort de M. de Belleval, [5] et ne la crois pas véritable ; mais c’est chose assurée que l’Université de Montpellier [6] est fort malade et à la veille de perdre ce reste d’antique splendeur qu’elle avait tâché de conserver jusqu’ici. Nous commençons d’en voir sortir d’aussi chétifs médecins que des autres universités. Hier encore, il s’en présenta un à notre Collège pour s’y faire agréger[7] lequel se trouve si mal ferré qu’il fut renvoyé pour six mois à refaire son premier acte, qui est l’explication d’un aphorisme d’Hippocrate [8] tel qu’il se rencontre à la fortuite ouverture du livre. Cependant, ledit aspirant, plein de bonne opinion de sa suffisance, menace de se pourvoir en justice contre notre Collège. Nous le verrons venir et sommes résolus de ne point souffrir, à quelque prix que ce soit, que de tels ignorants s’introduisent parmi nous. [2][9] J’espérais de voir à notre assemblée M. Sauvageon [10] pour lui présenter vos baisemains, mais il n’y fut pas et l’on m’a dit du depuis qu’il était malade ; et même, l’on vient de m’apporter céans une épreuve du Varandæus [11] pour la lire à son défaut. [3] Je le veux aller voir pour savoir ce qui lui manque et ne faudrai à lui faire rapport de ce dont vous m’avez donné charge. M. Guillemin, [12] auquel j’ai fait vos baisemains, m’a prié de vous faire ses excuses sur ce qu’il ne vous a pas encore fait réponse sur celle que vous lui avez ci-devant adressée sous le pli de M. Rousselet, [13] laquelle il avoue avoir bien reçue, mais la disette de sujet (à ce qu’il m’a dit) l’a retenu de s’acquitter si longtemps de son devoir ; ce qu’il fera pourtant de près, à ce qu’il espère.

Je vous supplie de m’apprendre, si vous le savez (mais que ne sauriez-vous pas ?), qui est un certain Joannes Franciscus Grandis, [14] duquel on m’a fait voir ici depuis peu un livre in‑4o intitulé Dissertationes philosophicæ et criticæ[4] J’en ai lu quelque chose qui me semble d’assez bon goût ; surtout sa dissertation in Epicuream Philosophiam[15] par laquelle il témoigne d’avoir eu des habitudes particulières avec M. Gassendi ; [16] cependant, le sieur de La Poterie [17] m’a assuré qu’il ne le connaissait nullement, de quoi je suis étonné. [5] Serait-ce quelqu’un qui se voulût donner de la vanité par là, pour se relever par l’éclat d’un si excellent homme en se qualifiant de ses intimes amis ? J’écrivis dimanche dernier au sieur Jean Daniel Horstius à Darmstadt par la voie de Francfort et lui donnai avis du décès de M. Riolan. [18][19][20] Si je lui réécris par ci-après, je ne faudrai à lui faire vos baisemains comme vous m’en donnez charge par votre dernière. Je me suis informé des Mémoires de M. de Tavannes [21] et ai su qu’ils étaient imprimés en cette ville in‑fo chez Champion [22] et Fourmy, [23] mais vous ne direz pas, s’il vous plaît, à personne leurs noms parce qu’ils attendent encore l’expédition du privilège pour le susdit livre, dans lequel (à ce que m’a dit M. l’avocat Huguetan) [24] il y a des choses un peu hardies et des vérités que même M. de Thou [25] n’a pas sues, ou n’a pas osé écrire dans son Histoire, principalement sur le fait des massacres. [6][26] À propos de M. de Thou, l’on vient de me dire que le roi a enfin fait donner de l’argent à M. le président de Thou [27] pour son ambassade vers les États de Hollande et qu’il doit partir au premier jour pour ce pays-là, où il est bien nécessaire qu’on envoie quelque habile homme pour les intérêts de cette couronne. Les Suisses protestants [28] sont mal satisfaits de M. de La Barde, [29] notre ambassadeur en leur pays, et ont dépêché en cour pour savoir s’il a eu ordre de leur parler aigrement comme il a fait dans leur dernière assemblée d’Aarau. [7][30] Il est vrai que l’impératrice s’est délivrée d’un fils, comme vous me le mandez. [8][31] .Nous avons < su > d’Allemagne qu’il a été baptisé et nommé Ferdinand-Joseph-Aloysius, [32] ce que vous ne saviez peut-être pas. Dieu lui fasse la grâce (s’il a à vivre) d’être plus humain que ses pères, et moins esclave des passions de la famille ignacienne, [9][33] qui ont failli à perdre de fond en comble la pauvre Allemagne et qui ne cessent encore à présent à la troubler tant qu’ils peuvent.

Il court ici un bruit sourd de la mort de M. le duc de Guise, [34] de deux charbons pestilentiels que l’on dit qu’il a eus ; [35] mais je ne le puis croire si légèrement. [10] Je regrette fort, avec beaucoup d’autres, la perte de M. le premier président de Bellièvre, [36] en ayant ouï dire beaucoup de bien par ci-devant, et surtout iustissimus unus quod fuit in Francis et servantissimus æqui[11] qui est une très rare qualité en ce misérable siècle. L’on m’a assuré que leur race est sortie d’un village de notre voisinage nommé Givors, [37] et que le premier qui fit fortune fut Pomponne de Bellièvre, [38] qui fut fait chancelier de France. [12] Je pense que celui-ci sera le dernier de la race. Voilà comment va le monde, ο βιος τροχος, ασταλος ολβος. [13][39]

Au reste, Monsieur, je ne vous saurais assez remercier du bon accueil que vous avez fait à M. Breton [40] qui vous a présenté ma lettre écrite en faveur de Messre Najat, [41] et des bons offices que vous lui avez rendus, et à ces Messieurs, en ce rencontre. Il en a ici écrit merveilles et j’en ai été remercié comme il faut. Je sais bien que j’abuse de votre bonté en ces sortes de commissions et de corvées, mais je n’ai pas assez d’adresse pour m’en défendre. M. Jugeact [42] le prieur a été cause de cette dernière pratique car ayant hautement vanté à Messre Najat la part que vous me donniez en l’honneur de vos bonnes grâces, ils se sont voulu servir de ma recommandation envers vous, ce que je n’ai pu leur refuser pour l’ancienne affection que j’ai à leur maison, de laquelle je suis le médecin. [14] L’on m’a fait voir ici un factum imprimé pour M. de Chenailles, [43] auquel il tâche de faire paraître son innocence, répondant à tous les chefs d’accusation qu’on lui objecte ; [15] mais je ne vois pas qu’il se justifie bien nettement et crois avec vous que, s’il n’y a pas eu beaucoup de mauvaise intention en son fait, il y a du moins bien eu de cette graine infortunée de Libo Drusus, [44][45] que les Latins nomment vecordiam[16] Il a fait des pas de clerc dans ses réponses, qui sans doute lui seront fort désavantageux. Je suis bien fâché que le fils de M. Moreau [46] ait tenu si peu de compte de conserver les écrits de feu Monsieur son père. [47] J’ai véritablement quelques lettres de lui pleines d’érudition, mais qui ne sont pas propres à être publiées. Il faudrait avoir les additions qu’il avait dessein de faire à ses Commentaires de l’École de Salerne [48] et faire réimprimer ce livre qui est fort demandé. [17]

Je pensais vous avoir donné avis par ci-devant du livre de Gabriel Fontanus, [49] médecin de Marseille, [50] intitulé Antihermetica medicina[18] dans lequel il combat les dogmes de Van Helmont. [51] C’est un livre in‑4o imprimé depuis peu chez MM. Borde [52] et Arnaud, [53] et qui n’est pas mauvais à mon goût. Vous me rendez tout glorieux de vouloir placer mon tableau entre tant d’illustres personnages. [54] Prenez garde que ceux qui le remarqueront n’aient sujet de s’écrier que c’est Saul inter prophetas ou anser inter olores ! [19][55][56] Mais enfin, vous le tenez, vous en êtes le maître, disposez-en comme il vous plaira et tenez pour certain que vous possédez bien mieux l’esprit et le cœur de l’original qu’il représente. Je vous félicite de tout mon cœur de la première administration anatomique que vous célébrez aux Écoles en qualité de successeur de feu M. Riolan, [20][57] priant Dieu que ce soit pour longues années, et pour le bien des auditeurs qui aiment la bonne et pure science de médecine. J’ai porté parole à M. Huguetan [58] le libraire de vous envoyer un Sennertus [59] de la seconde impression, [21] comme vous le désirez ; ce qu’il m’a promis de faire et m’a dit que M. Ravaud [60] ne lui en avait rien écrit, dont il était étonné. Le sieur Cellier [61] qui a imprimé en cette ville les Institutions de Rivière [62] est bien en colère de ce qu’on lui a contrefait [63] à Genève ledit livre et dit qu’il en a vu un dans Avignon où il ne l’a pu saisir. [22] Si l’on a encore imprimé ledit livre à Leipzig, [64] comme vous dites, il en sera bien plus fâché, mais il n’y a remède. Les marchands libraires n’ont plus aujourd’hui de déférence les uns pour les autres, c’est à qui pourra supplanter son compagnon, ut faciam rem[23] Un médecin de Bâle [65] nommé Bernhardus Verzascha [66] m’a mandé qu’il était après à faire un compendium de la Pratique du dit Rivière. [24] Je m’assure que ce sera un plaisant scelet, [25] il le faut laisser faire pour en rire un jour si Dieu nous fait la grâce de le voir. Je ne pense pas que M. Le Gagneur me connaisse plus. [67] S’il vient en ce pays, nous verrons peut-être sa contenance, mais j’ai bien peur, s’il passe les monts avec M. le Prince son patron, [26][68] qu’il n’y laisse les os, n’étant pas des plus robustes à ce que j’ai pu connaître. Je souhaite de voir un jour l’Avicenne de la traduction du sieur Plempius. [69][70] Je pense vous avoir mandé ci-devant comme l’Hippocrate de Foesius [71][72] était achevé d’imprimer à Genève et qu’il y en avait déjà en cette ville à vendre pour le prix de 14 livres, reliés en veau. [27] J’en ai acheté un pour un beau-frère que j’ai à Orange [73] et le lui ai envoyé. Je suis au bout de ma page qui me sert de tâche, [28] et n’ai plus à ajouter autre chose que les assurances de ma dévotion perpétuelle à vous être, comme j’ai toujours été, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Spon, D.M.

De Lyon, ce mardi au soir 20e de mars 1657.



Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – De Charles Spon, le 20 mars 1657

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(Consulté le 18/04/2024)

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