L. 470.  >
À Claude II Belin,
le 14 mars 1657

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 14 mars 1657

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0470

(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous rends grâces d’avoir acheté les dix thèses [2] pour moi, je vous en rendrai l’argent quand il vous plaira et je les recevrai quand il plaira à Dieu. On dit bien que le rétablissement des jésuites [3] est certain dans Venise, mais c’est avec plusieurs conditions, et entre autres qu’ils n’acquerront aucun immeuble et qu’ils ne confesseront point. Tout cela est encore mystique, comme tous les grands font leurs affaires. La meilleure impression des Épîtres de Casaubon [4] est celle d’Allemagne depuis trois ans, augmentée d’environ 80 lettres par-dessus celles de Hollande. Ce bonhomme connaissait bien toutes les fourberies du nigrum agmen Ignatianum[1][5] Mme de Mercœur [6] prit trois fois de l’antimoine [7] et la duchesse de Lorraine [8] a pris deux fois d’une certaine drogue stibiale que le charlatan appelait de l’or potable ; [9] et d’autant qu’elle empira fort, le sieur Vallot [10] la fit rudement saigner inter stibium et lethum ; [2] d’où vient la grosse querelle qui est aujourd’hui entre lui et le petit < Le > Vignon, [11] qui est pareillement bien étourdi, et qui a dit tout haut que Vallot l’avait tuée de l’avoir tant fait saigner ; sur quoi j’apprends qu’il court un papier latin imprimé contre ledit Vallot. L’autre dit qu’elle est morte ex auro potabili emetico, quod erat stibium fucatum : Claudius accusat mœchos, Catilina Cethegos[3][12][13][14][15] Les grands sont malheureux en médecins et la plupart des médecins de cour sont ignorants ou charlatans, et bien souvent l’un et l’autre.

Je crois que l’on n’imprimera jamais rien de feu M. Moreau, [16] on n’y a rien trouvé de parfait. Son fils [17] ne dit rien à propos de cela, qui même n’en est pas capable. Le traducteur de M. de Thou [18] se nomme Du Ryer, [19] c’est le même qui a traduit Fam. Strada. [4][20] M. de Thou a pris hardiment de La Popelinière, [5][21] qu’il nomme aussi de son propre nom, Lancelotus Vicinius, Lancelot du Voisin (qui mourut ici l’an 1608, le 9e de janvier, durant le grand hiver, fort vieux, asthmatique, [22] dans sa chaise, devant le feu, au faubourg Saint-Germain ; [23] qui est ce que peu de gens savent, et que j’ai appris de bonne part) ; il a pris aussi fort hardiment, à ce qu’il a confessé lui-même, d’Ubertus Foglieta [24] qui scripsit de rebus Ligurum[6] et de Buchanan, [25] de rerum Scoticis[7] qui est un admirable écrivain.

J’ai vu un petit livre en français in‑4o fait par un médecin de Beauvais [26] nommé Mauger, [27] touchant une fille près de Gisors, [28] laquelle ne mangeait presque rien, et vixit[8][29] L’auteur même m’a dit que c’était une fille fort mélancolique, [30] mais l’on m’a depuis dit qu’elle était morte. D’autres miracles, [31] je n’en sais point, je ne crois que ceux qui sont dans le Nouveau Testament et c’est assez pour moi. Feu M. Naudé, [32] mon bon ami, disait que pour n’être point trompé il ne fallait point ajouter foi aux mythes, aux visions, aux miracles ni aux révélations de ces gens qui cachent la tête dans un capuchon. [33] Ad populum phaleras[9][34] Je n’ai point ouï dire que le pénitencier de Notre-Dame ait de telles filles chez soi. [10][35]

Ce dimanche 11e de mars. La femme de M. de Harlay, [36][37] maître des requêtes, est ici morte quinto die ab abortu[11] Elle était propre sœur, eaque dilectissima[12] de M. le président de Bellièvre [38] qui est en grand danger de mourir ex febre assidua, et vitio pulmonis. Vituli multi circumdederunt illum, aulici medicastri, et alii nebulones[13] Les crocheteurs de notre quartier sont mieux traités qu’il n’a pas été : ils se sont mis en état de le saigner plusieurs fois, mais il n’est plus temps, ils ont commencé trop tard, elapsa erat ευκαρια. [14] Les grands fomentent les charlatans, [39] qui les tuent à la fin.

Ce lundi 12e de mars. Il prit hier après-midi de l’antimoine dans un breuvage purgatif[40] Il a eu très mauvaise nuit et ce matin (pour vous montrer qu’il est entre les mains de gens qui raisonnent fort bien) on lui a fait avaler du laudanum [41] quod nihil est aliud quam opium castratum, vel potius venenum fucatum[15] Il a une grande difficulté de respirer, il sue et tressue de grand ahan, [16] et d’une pure oppression ; il a le poumon ravagé et perdu, per malignitatem humoris diaphthoram facientis et per omissam venæ sectionem initio morbi[17] Ce remède[42] hardiment et heureusement réitéré au commencement des maladies, est un des principaux mystères de notre métier que les charlatans, les chimistes [43] et les empiriques [44] n’entendent point, non plus que de s’abstenir de la purgation en ces mêmes commencements.

M. le premier président de Bellièvre mourut hier, mardi 13e de mars, à sept heures du soir, âgé de 50 ans, ex putrilagine pulmoni, cum febre assidua, quæ invaluit in dies, propter neglectam initio morbi sanguinis missionem, quæ est mysterium, aulicis medicastris ignotum[18] Je vous remercie de votre dernière, que je reçus hier, et du mot atemed qui est une conjecture assez raisonnable, [19][45] et de vos dix thèses que j’attendrai patiemment. Je suis de tout mon cœur, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur

Guy Patin

De Paris, ce mercredi 14e de mars 1657.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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