L. 856.  >
À André Falconet,
le 5 février 1666

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 5 février 1666

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0856

(Consulté le 02/12/2024)

 

Monsieur, [a][1]

On fait des services en toutes les églises de Paris pour le repos de l’âme de la reine mère, [2] à la mémoire de laquelle beaucoup de particuliers sont obligés. On dit qu’elle a fait de belles remontrances au roi [3] son fils, en particulier, peu avant de mourir, et qu’il n’y avait qu’eux deux. [1] Je crois qu’elle n’a pas manqué de lui donner de bons préceptes pour régner sûrement et longtemps et je prie Dieu que cela lui réussisse ; et d’autant que le monde ne se gouverne guère plus que par finesses, je ne doute pas qu’elle lui ait marqué ceux à qui il peut se fier et ceux desquels il doit se défier. C’est le temps où l’on emploie la plus fine politique, qui n’est pas toujours si chrétienne que les préceptes que le bon Louis ix [4] (je veux dire le bon saint Louis) dicta avant que mourir à son fils Philippe le Hardi. [5] Maiores illi nostri, abavi et atavi, quamvis cepas et allium edebant, bene tamen animati vivebant[2] ils étaient grossiers en leurs vivres et en leurs habits, mais ils avaient l’esprit bien tourné. L’esprit de fourberie était alors bien jeune et quasi en maillot, leurs actions sentaient les préceptes de l’Évangile ; mais depuis ce temps-là, Machiavel [6] et Pomponace [7] sont venus, qui ont révélé aux ministres des rois et des princes souverains d’étranges maximes, qui sont la plupart réfutées par le P. Caussin [8] en sa Cour sainte ; [3] si bien qu’aujourd’hui, la plus belle politique et la plus chrétienne est devenue ars non tam regendi, quam fallendi homines[4][9] et voilà où malheureusement nous en sommes devenus, o mores ! o tempora ! [5]

M. Colbert, [10] maître des requêtes, frère du grand Colbert, vient d’être envoyé par le roi en Hollande pour traiter avec Messieurs les États généraux tant de l’affaire des Anglais que des Suédois, et pour empêcher que ces Messieurs ne fassent ensemble quelque accord sans notre consentement et à notre préjudice. [6] On parle ici de la mort de M. le prince de Conti, [11] qui laisse deux petits princes du sang, de la nièce du cardinal Mazarin. [7][12] Voilà un beau gouvernement vacant, qui est celui du Languedoc. [13] Celui de Bretagne [14] vaquait par la mort de la reine mère, on dit que le roi l’a donné au duc Mazarin, [15] duquel il retire la charge de grand maître de l’Artillerie. [8]

Le roi a fait présent au roi d’Angleterre [16] de 200 muids de très bon vin, savoir de Champagne, [17] de Bourgogne [18] et de l’Ermitage. [19] Je prie Dieu qu’il le boive en santé et en joie, à la charge qu’on nous laissera aussi en repos boire le nôtre. La trêve n’est point faite de l’Espagne avec le Portugal. L’on parle d’une nouvelle élection d’un roi des Romains. [9][20] M. Hannibal Sehested, [21] ambassadeur extraordinaire du Danemark, est ici arrivé depuis trois jours incognito. [10] M. l’électeur de Brandebourg [22] traite avec les Hollandais pour leur donner du secours contre les Anglais. Je vous baise les mains et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce 5e de février 1666.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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