À Charles Spon, le 10 avril 1654, note 14.
Note [14]

Discours du sieur de Sorbière {a} sur sa conversion à l’Église catholique. {b}


  1. Samuel Sorbière a correspondu avec Guy Patin.

  2. Paris, Antoine Vitré, « Imprimeur ordinaire du roi et du Clergé de France », 1654, in‑8o de 217 pages.

L’Épître dédicatoire est adressée au cardinal Mazarin (datée de Paris le 1er mars 1654) ; en voici un extrait parlant (page a iii ro et suivantes) :

« Je sais, Monseigneur, et par ma propre expérience, et par la connaissance que j’ai d’une infinité de personnes vertueuses, de beaucoup de savoir et de beaucoup d’esprit, qu’une des plus fortes considérations qui les retiennent dans l’hérésie est le malheur d’y être nées et la honte d’attirer sur elles, en sortant de cette communion, la haine de tous ceux de leur secte et le peu charitable jugement même de ceux dont la bonne estime doit être plus considérable. Ils rentreraient volontiers dans l’Église avec la foule ; et quand cette entreprise serait concertée avec les principaux du parti, ils donneraient aisément les mains et se soumettraient derechef à la discipline de leurs ancêtres. Mais de se séparer pour faire parler d’eux selon les divers mouvements des affections diverses, des préjugés et des habitudes, et de s’exposer à la bizarrerie des conclusions qui se tirent si diversement, selon les divers points d’où les choses sont regardées, c’est à quoi ils ne se peuvent résoudre et c’est ce qui leur paraît indigne de leur générosité. De sorte qu’ils tombent dans cette étrange maxime qu’il vaut mieux demeurer dans l’erreur et se mettre en danger de périr dans le schisme que de perdre la gloire de la constance, que de se faire tympaniser {a} (comme ils disent) et que de monter sur le théâtre en spectacle à tous ceux de sa nation. Véritablement, Monseigneur, cette infirmité est digne de commisération, quand ce ne serait qu’à cause du principe de générosité dont elle prend le prétexte ; et peut-être que, de même qu’on s’accommode à celle d’un malade pour l’intérêt de sa guérison, Votre Éminence, qui est le médecin de l’État et qui vient de le tirer de la plus dangereuse maladie dont il ait été attaqué, trouverait quelque biais et quelque expédient dans le fonds inépuisable de sa sagesse et de sa politique, pour leur lever ce scrupule et pour leur faire tout d’un coup et en grande compagnie ce à quoi il est à craindre qu’il ne faille employer des siècles entiers s’il faut les ramener séparément, et les uns après les autres. Le rétablissement de l’uniformité du culte divin dans tout ce royaume est un dessein auquel il semble que Votre Éminence est appelée, et par l’exécution duquel cet autre prince de l’Église, {b} dont Votre Éminence remplit heureusement et si dignement la place, voulait couronner ses grands travaux si Dieu lui eût donné une plus longue vie. En effet, n’ayant plus rien à craindre du dehors, il ne lui restait que le dedans à mettre en bonne assiette et qu’à ôter d’entre les sujets les semences de division intestine. Toutes les autres sont arrachées et les racines de celle-ci ne sont pas si profondes que la main et l’adresse de Votre Éminence n’en puissent venir à bout. Elles ne sont pas aussi de si peu de considération qu’elles doivent être négligées, et de moindres étincelles ont causé de grands embrasements. Outre que je conçois que la réunion des prétendus réformés en France serait un très notable acheminement à celle de tous les autres protestants des pays septentrionaux, et que si la plaie que l’Église reçut en Europe au siècle passé pouvait être refermée par cet appareil, il n’y aurait rien de plus glorieux pour Votre Éminence. »


  1. Se faire diffamer publiquement, se ridiculiser.

  2. Richelieu.


Au fil de sa correspondance, en s’en moquant certes, mais en s’en désolant au fond, Guy Patin a signalé la conversion de médecins protestants au catholicisme : ici Samuel Sorbière, ailleurs Théophraste Renaudot (en 1629), Lazare Meyssonnier (1644) ou Élie Béda des Fougerais (1648). Ceux de la Religion prétendue réformée devaient abjurer s’ils voulaient faire carrière à la cour, en dépit de la tolérance établie par l’édit de Nantes.

Raoul Allier (La Cabale des dévots, pages 279‑285) y a dévoilé l’intervention occulte de la Compagnie du Saint-Sacrement, qui « mettait tout en œuvre pour faire comprendre aux hérétiques qu’ils n’étaient que tolérés et qu’ils l’étaient avec impatience ». La Compagnie s’acharnait aussi à empêcher les facultés de médecine de diplômer des réformés ; mais presque toutes s’y refusèrent, en dépit de quelques excès de zèle, ici ou là, qui consistaient surtout à dénier certains honneurs aux réformés (comme à Paris, le rang d’ancien à Jean iii Des Gorris en 1660, v. note [1], lettre 596). Les dévots entendaient ainsi que les médecins, « tout en soignant les corps, […] devaient aider à la purification des âmes », tout particulièrement en les obligeant « à ne plus retourner voir leurs malades s’ils n’avaient fait appeler un confesseur ». Faute de résultats probants, le 13 novembre 1662, la Compagnie « décidait de faire peser sur les médecins eux-mêmes pour les contraindre à cette sainte obligation. Quelques semaines plus tard, le 4 décembre, on s’avisait que les curés pourraient intervenir eux-mêmes en envoyant visiter les malades de leurs paroisses dès qu’un médecin y aurait été plus d’une fois. Cela ne servit pas à grand-chose. En 1665, le 17 janvier, on se demandait si le mieux ne serait pas d’obtenir de l’archevêque un mandement pour agir sur les malades eux-mêmes. Quelques jours plus tard la Compagnie n’existait plus. Elle n’avait point réalisé son rêve obstiné. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 10 avril 1654, note 14.

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(Consulté le 18/04/2024)

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