L. 596.  >
À Hugues II de Salins,
le 16 mars 1660

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Hugues II de Salins, le 16 mars 1660

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0596

(Consulté le 07/12/2024)

 

Monsieur, [a][1]

J’ai été bien aise d’apprendre de vos nouvelles. Nous avons ici un livre nouveau de M. Des Gorris, [2] de la saignée et de la purgation[3] qui est fort bon. Ce M. Des Gorris est aujourd’hui l’ancien [4] de notre École par la mort du bonhomme Guérin. [1][5] J’ai céans un de ces livres-là pour vous être envoyé avec quelques thèses [6] de notre École. In pleuritide et omnia alia inflammatione partis alicuius internæ, semper est mittendus sanguis a directo partis affectæ ; nihilominus tamen si fuerit corpus plethorium, post depleta maiora vasa per aliquoties repetitam venæ sectionem, etiam licet ex altera parte detrahere, ut etiam depletur, ne illius partis plenitudo novum morbum ibidem infert. Sed in duplici pleuritide, ex utraque parte venit mittendus sanguis, cito, diligenter et copiose : tunc enim periculum est in mora[2][7][8][9] Quand la douleur quitte un côté pour passer à l’autre, tunc non est pleuriticus ille dicendus dolor, sed rheumaticus : cui tamen idem delectum præsidium ter per diem celebrandum, dum sævit morbus, et vires sinunt[3] Cæs. Mochæ Consilia [10] sont peu de chose, le Zecchius est meilleur. [4][11] Les petits enfants qui ont gagné la vérole [12] de leurs nourrices [13] ne se guérissent pas aisément. Quand ils sont encore à la mamelle, on leur fait téter une chèvre, [14] quæ quoniam sufficiens non præbet alimentum, tandem contabescunt[5] Quand ils sont plus avancés en âge, ils en guérissent encore moins car la décoction prétendue sudorifique [15] ne fait que les échauffer ; joint que, adaucta intemperie tenellulorum et molliculorum viscerum, incidunt in februm lethalem ; [6] d’ailleurs, ils ne peuvent pas supporter la salivation par le mercure [16] qui les étouffe. Il faut donc attendre qu’ils soient plus grands et capables de cette salivation.

Le roi [17] est en Provence, [18] il a été à la Sainte-Baume [19][20] et est de retour à Aix. [7][21] Nous tenons Orange [22] assiégée, le roi la veut avoir pour la rendre au prince d’Orange [23] quand il sera majeur. [8] La paix [24] a été publiée partout. Le duc d’Orléans [25] est mort le huitième jour d’une fièvre continue [26] avec une fluxion sur la poitrine et quatre prises de vin émétique, [27][28] dont la quatrième ne fut prise qu’une heure avant sa mort. Ainsi sont traités les princes, sic vivitur in aula[9] Les empiriques [29] de la cour ne peuvent mieux faire et les princes n’en veulent point d’autres. Guénault, [30] qui en était le coryphée, [10] avait écrit au duc de Lorraine, [31] qui était ici, que M. le duc d’Orléans serait guéri dans le 10e < jour > de sa fièvre. Il en avait mandé autant à la reine. [32] Peut-être qu’il entendait qu’il serait ce jour-là délivré de tous ses maux, vu qu’à ce que dit Sénèque, [33] Mors omnium dolorum solutio est ac finis[11] Il doit trois millions à ses créanciers, il avait 1 900 000 livres de rentes et est mort gueux ; par sa mort, ses créanciers perdent pour huit millions d’offices. L’on dit qu’il a dit en mourant Domus mea Domus desolationis vocabitur[12] D’autres disent qu’il a fait miracle en mourant et qu’il est mort sans rendre l’esprit[13] Il a été porté sans bruit ni cérémonie à Saint-Denis [34] où il est pour longtemps. Sa veuve [35] et ses trois filles sont ici à Luxembourg. [36] Le prince de Condé [37] y est pareillement avec son fils, le duc d’Enghien. [38] Plures eum salutaturi concurrunt, nec mirum : orientem enim solem plures respiciunt quam occidentem[14] Nous avons ici pour premier président du Parlement M. de Lamoignon [39] que je vois souvent et avec lequel je soupe tous les dimanches. La dernière charge de conseiller de la Cour a été vendue 64 000 écus et 100 pistoles, c’est acheter de la vanité et de la fumée bien cher. On dit ici que nous allons, conjointement avec les Espagnols, rassiéger Dunkerque [40] pour par après la rendre aux Espagnols qui, en récompense, nous doivent rendre une autre ville ; quelques-uns disent que ce sera Cambrai [41] ou Saint-Omer. [42]

On vend ici les articles de la paix, mais ce ne sont que les connus ; il y en a d’autres, mais secrets, qui sont les plus précieux. Il y a de grands bruits en Angleterre, mais qui apparemment ne se termineront point si tôt à cause de la diversité des partis. Le Parlement, qui avait été cassé puis rétabli, est encore une fois cassé ; c’est celui qui avait fait mourir le feu roi. [43] En sa place, ils en veulent faire un autre qui sera plus libre, à ce qu’ils disent, et qui aura moins d’autorité. [15]

Le roi est de présent à Aix, il a été à Marseille [44][45] où l’on continue de travailler à la citadelle pour brider la prétendue liberté de cette cité sourcilleuse. On dit que le roi s’en va à Toulouse, [46] où il passera les fêtes et par après, il prendra le chemin de Bordeaux pour après aller à Bayonne, [47] et delà se rendre sur la frontière pour le mariage, [48] où le roi d’Espagne [49] se rendra pareillement sur la fin d’avril, à ce qu’on dit ; et delà, reviendront de deçà jusqu’à Fontainebleau, [50] où le roi recevra les députés du Parlement et des autres compagnies, qui s’y doivent rendre pour le remercier de la paix qu’il nous a donnée. On parle ici de lui faire, quand il viendra à Paris, une entrée toute triomphante ; et même, on dit que les Flamands et leurs femmes viendront ici en grand nombre pour voir cette entrée. [16]

Nous allons lundi prochain interroger nos candidats ; ils sont au nombre de douze, il y en a de très savants. [17][51] Le prince de Condé a été ici visité de plusieurs et en a aussi visité ; même, il a rendu visite aux révérends pères de la Société. [52] On a ici mis en vente depuis peu un petit livre intitulé Relation du pays de Jansénie et des mœurs de ses habitants, avec leur façon de faire, etc. Le livre se vendait au Palais. M. le chancelier[53] qui avait donné le privilège de ce livre, s’en est dédit et a renvoyé quérir le privilège, et a dit que c’était un sot livre qui sortait de la boutique des capucins ; [54] opusculum fuit sed propudiosum ac insanum, alicuius cucullionis intemperanter abutentis otio et literis ; [18][55] ceux qui l’ont vu, disent qu’il ne vaut pas qu’on le lise. Enfin le livre posthume du P. Morin, [56] père de l’Oratoire[57] est achevé. C’est un in‑fo contre les rabbins, [58] touchant leurs rêveries sur les anciennes religions du vieux Testament. [19] Un certain Io. Bapt. Duhamel, [59] jadis père de l’Oratoire, a fait un livre in‑4ode Meteoris et Fossilibus[20][60][61] J’apprends qu’il est bien fort contre l’antimoine, [62] mais je ne l’ai point encore vu. Je baise les mains à mademoiselle votre femme et à monsieur votre frère. On imprime ici une belle Bible toute latine, [63] in‑fo, chez M. Vitré, de laquelle on dit bien du bien. [21] J’ai recommencé mes leçons à Cambrai [64][65] où j’ai quantité d’auditeurs. On fait ici une nouvelle édition de toutes les œuvres de M. Edmond Richer, jadis syndic de Sorbonne. [66] Il y aura là-dedans un traité qu’il fit en 1611, de ecclesiastica et politica Potestate, qui a fait autrefois bien du bruit et en fera encore. C’est lui qui a fait les richéristes, [67] qui étaient des docteurs de Sorbonne qui défendaient autrefois les libertés de l’Église gallicane contre les entreprises de Rome, du pape, des jésuites et autres moines. [22] Le roi fait faire dans Marseille trois forts, lesquels équipolleront une citadelle, [23] pour brider la hardiesse de ces Provençaux. Jules César [68] a autrefois ruiné la ville de Marseille et aujourd’hui, voilà un autre Jules [69] qui les bride et leur ôte le moyen de mal faire, ou [alor]s de se rebeller, comme quelquefois ils en ont fait la mine, e[n causant bien d]u désordre en ce pays-là. [24]

On imprime en Angleterre une Bible en latin, [70] laquelle contiendra sept tomes in‑fo à cause de plusieurs commentaires qu’ils y mettent, lesquels seront tirés des plus savants protestants qui ont écrit sur la Bible depuis 130 ans ; et font cette édition afin de l’opposer à celle du P. de La Haye, [71] laquelle est en 18 tomes in‑fo avec des commentaires de nos docteurs, jésuites et moines. [25] Cette Bible d’Angleterre sera bonne car elle contiendra tout ce que les plus savants ministres ont pu contribuer à l’éclaircissement de la Bible. M. de Marolles, abbé de Villeloin, [72] continue toujours sa traduction des poètes latins : il nous a donné Sénèque le Tragique en deux tomes, l’Horace d’une deuxième édition de même ; il a ses mains sur Ovide, duquel les Fastes seront faits à Pâques et puis après, il continuera sur les autres livres du même auteur. Il dit que tout l’Ovide fera dix tomes in‑8o, il veut remettre son Virgile, qui est in‑fo, en quatre tomes in‑8o et faire réimprimer son Catulle augmenté, aussi bien que Martial. On réimprime à Rome le Ciaconius [73] (qui était jacobin[74] de Vitis pontificorum Romanorum et cardinalium, changé et augmenté depuis la mort de son premier auteur. C’est un jésuite qui y travaille, il y aura trois volumes in‑fo. Deux libraires de Lyon s’attendent d’en faire une autre impression dès que celle de Rome sera achevée. [26] Hugo Grotius a fait Annales Belgici, [75] in‑fo et in‑12, depuis la révolte des Hollandais jusqu’à la trêve, c’est-à-dire depuis l’an 1567 jusqu’à l’an 1608 ; [76] ils ont trouvé un savant homme qui l’a mis en français, on commence à l’imprimer. [27] On imprime aussi en Hollande toutes les œuvres de Ioan. Wierus [77] en latin, c’est un livre in‑fo. C’est celui qui a fait un livre de Imposturis dæmonum[28] Je vous ramasse ici quelques thèses depuis deux ans, donnez charge à quelqu’un de les venir prendre céans et qui aura soin de vous les faire tenir.

Ce 14e de mars. Aujourd’hui sur les dix heures du matin, j’ai vu passer sur le Pont Notre-Dame [78] une certaine procession [79] de mathurins [80] avec des trompettes et des galériens. [81] Ce sont des esclaves qui ont été rachetés des Turcs par l’aumône des chrétiens, mais cette cérémonie m’a semblé une pure cérémonie [29] ridicule ; et de fait, il n’y a plus guère à dire entre moinerie et momerie. Il y avait des moines barbus, des jeunes, des vieux, des orientaux, des méridionaux, des petits garçons habillés en anges, qui avaient des ailes et que le peuple, qui n’est qu’un sot, considérait comme de petits animaux venus de paradis, et plusieurs autres badineries de la sorte. Tandem fuit otiosum spectaculum plebeculæ insanientis, et monachorum delirantium[30] Certes, il faut avouer que notre siècle est bien fou et que les moines font bien leur profit de la sottise des peuples.

Je me recommande à vos bonnes grâces et suis de toute mon affection, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce 16e de mars 1660.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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