L. 595.  >
À André Falconet,
le 5 mars 1660

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À André Falconet, le 5 mars 1660

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(Consulté le 09/12/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Ce 27e de février. Il n’y a que deux heures que j’ai délivré une lettre pour vous à M. Troisdames, [2] qui est le plus honnête et le plus obligeant de tous les hommes. Je n’en connais point qui le vaille, il faut que je lui donne l’éloge qui est dans Catulle [3] et que je le nomme Optimus bonorum[1][4] Nous avons fait ensemble partie d’aller l’été prochain en sa belle maison de Fontenay-les-Roses [5] (c’est un beau village, près du Bourg-la-Reine) [6] où l’on cultive les roses pâles [7] dont nos apothicaires [8] se servent tous les ans ; [2] et là nous y boirons à votre santé et c’est là que nous dirons les meilleurs mots que nous saurons. Aujourd’hui, ce même jour à midi, nous avons enterré notre bonhomme Guérin, [9] âgé de 89 ans. Nous étions 40 de nos docteurs en robe rouge et auparavant, nous avons assisté à la procession du recteur en Sorbonne pro pace[3][10][11] C’est l’Université qui a fait celle-là tout extraordinaire pour la réjouissance qu’on a de la paix. [12] Mme la duchesse d’Orléans [13] est ici arrivée, laquelle fait pitié tant elle est triste. Elle inspire de la tristesse à tous ceux qui lui rendent visite. On parle ici d’un grand service pour défunt son mari [14] dans Notre-Dame, [15] comme c’est la coutume d’en faire pour les princes du sang.

Ce 29e de février. Nous avons aujourd’hui après-dîner été saluer M. Talon, [16] avocat général. Nous étions douze qui præbebamus comitatum decano nostro[4] et qui lui avaient présenté, cum brevi oratiuncula[5] un décret qui avait été fait à son honneur sur une grande feuille de vélin avec le grand sceau de la Faculté, enfermée dans une petite boîte d’argent fort mince. Il nous a fort bien reçus et fort remerciés de notre gratitude. Nous aurions pu lui répliquer ces beaux mots d’Ausone [17] in sua Gratiarum actione : Hoc debeo quod solvo et quod solvo adhuc debeo[6] Nos chirurgiens [18] sont fort étourdis de leur arrêt [19] et ne savent ce qu’ils doivent entreprendre par provision. Ils nous haïssent fort, et nous eux, comme des misérables. Nous ne les craignons point et n’en avons que faire. Pour les apothicaires, [20] ils sont souples comme un gant et voudraient bien avoir nos bonnes grâces. Guénault [21] leur avait fait espérer de les rétablir dans les familles par le moyen de l’antimoine, mais la corde est rompue, cela n’est pas réussi, nous sommes plus de 80 qui l’avons empêché ; [7][22] ainsi ceux d’aujourd’hui payent l’amende de la faute de leurs pères et aïeuls. Tant que nous aurons de la casse, [23] du séné, [24] du sirop de roses pâles, nous pourrons toujours continuer à délivrer Paris de la tyrannie et de la trop grande cherté des parties d’apothicaires. Le monde est aujourd’hui trop pauvre. Ces dépenses, lorsqu’elles n’étaient que médiocres, auraient pu être tolérables sur la fin du bon roi Henri iv [25] jusqu’environ 1625. [26]

Nunc alia est ætas, aliter nunc vivitur isthic,
Hæc fuerant sub Rege Numa, sub Consule Bruto, etc.
 [8]

< Ce lundi 1ermars. > Je soupai hier chez M. le premier président [27] qui me dit qu’avant un mois Londres était en danger d’un grand changement. [9] M. le Prince [28] le fut voir avant-hier, et M. de Longueville [29] hier. Il est fort enrhumé [30] et ne veut rien faire, faute de loisir : la grandeur de sa charge le tue, non videbit annos Petri[10] Il m’a encore invité pour dimanche prochain, et de suite, jusqu’à la fin du Parlement[11] toutes les semaines ; mais les grands jours d’été viendront qui troubleront cet ordre. Je viens de chez M. le premier président pour lui recommander une affaire du fils de feu M. Riolan ; [12][31] je n’ai point voulu lui refuser ce petit office, qui a réussi de la bonne sorte. Là j’ai appris que M. le comte d’Albon [32] était malade et qu’il avait déjà été saigné trois fois. Hæc volui nescius ne esses[13][33]

Comme vous êtes plus près de la cour que nous, [14] aussi ne vous puis-je rien apprendre de nouveau. On ne dit rien ici, sinon que les Anglais ont cassé leur ancien Parlement, [34][35] qui est celui qui fit mourir le feu roi [36] l’an 1649, et qu’ils en veulent établir un autre qui aura, ce disent-ils, plus de liberté et moins d’autorité de mal faire. Toutes les nouvelles institutions ne manquent jamais de promettre force soulagement au peuple, mais cela ne réussit pas, et in hoc versatur Deorum iniquitas[15] Ceux de Londres se sont accordés avec le général Monck [37] pour tenir la main à ce nouveau Parlement réformé.

Le prince de Condé est ici avec le duc d’Enghien, [38] son fils, et sa femme, [39] qui font force visites et qui sont fort visités des compagnies de Paris, de leurs amis particuliers et de ceux-mêmes qui ne font que semblant de l’être. On fait filer de l’infanterie devers Calais, [40] on croit que c’est pour assiéger Dunkerque [41] conjointement avec les forces d’Espagne ; et après, quand nous l’aurons ôtée aux Anglais, nous la rendrons aux Espagnols qui nous donneront en échange Cambrai ; [42] les autres disent Saint-Omer ; [43] c’est un article secret du nombre de plusieurs autres. [16][44] On parle ici du siège d’Orange [45] où toutes les troupes qui sont revenues d’Italie et de Catalogne [46] ont ordre de se rendre. [17] La pauvre Provence [47] se sentira longtemps de ce voyage du roi [48] qui n’était fondé que sur la paix et le mariage ; adeo verissimum illud poetæ, Quidquid delirant reges, plectuntur Achivi[18][49]

Je souperai dimanche prochain chez M. le premier président, où je m’informerai de la santé de M. le comte d’Albon. Je recommencerai mardi prochain, 9e de mars, mes leçons publiques [50] au Collège royal[51] Aubert [52] n’est plus l’apothicaire du comte de Rebé, [53] Du Fresne [54] lui donne des poudres et des pilules ; néanmoins, Belaître [55] le voit encore quelquefois. Je vous baise très humblement les mains, et à Mme Falconet, et suis de tout mon cœur votre, etc.

De Paris, ce vendredi 5e de mars 1660.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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