L. 345.  >
À Charles Spon,
le 10 avril 1654

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 10 avril 1654

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/patin/?do=pg&let=0345

(Consulté le 19/03/2024)

 

Monsieur, [a][1]

Je vous ai envoyé ma dernière de trois pages le vendredi 27e du mois de mars, laquelle fut un peu écrite à la hâte, et que j’espère qui vous sera rendue en main propre par un marchand de Lyon nommé M. Raphelin, [2] neveu de M. Luillier, [3] chez qui je fis collation ce jour-là. [1]

Dès le lendemain, le roi [4][5] fut au Parlement, j’entends le samedi 28e de mars, où l’arrêt de mort contre le prince de Condé [6] fut prononcé. [2]

Le même jour, mon deuxième fils, par ci-devant avocat, fut fait bachelier [7] en médecine ; si bien que, Dieu merci, voilà notre famille délivrée de la chicane du Palais et de l’iniquité du siècle : au lieu de plaider devant des juges tels qu’il plaît à Dieu, il jugera lui-même des procès touchant les maladies et les morts des hommes, et < j’ >espère qu’il y réussira avec les bons fondements qu’il a en son âge de 21 ans, avec un mois et cinq jours. Fiat, fiat[3][8]

J’ai ce même jour reçu de la part de M. Duhan, [9] votre libraire, un beau livre, bien relié in‑8o, de Gul. Puteanus [10] de pharmacorum purgantium Facultatibus[11] pour lequel je vous remercie très affectionnément, et puis après, ce même M. Duhan. Je suis bien aise du rencontre qu’avez procuré à ce livre touchant les trois chapitres de feu M. Cousinot, [12] cela contribuera quelque chose à sa mémoire, qui est ce qu’il a très bien mérité. Pour l’épître que vous y avez mise au-devant, je vous rends grâces très humbles de vos louanges, c’est un excès de votre amitié et de la bienveillance ordinaire qu’avez pour moi. Je vous en dois beaucoup en toutes façons, mais je ne sais point comment je m’en pourrai acquitter jamais neque enim sum solvendo, sed nec ero ingratus debitor[4]

Ce 30e de mars. [On dit que le cardinal de Retz [13] a résolu de ne jamais donner sa démission pour l’archevêché de Paris et que d’ailleurs, on ne parle plus de l’envoyer en aucune prison ; qu’il sera retenu dans le Bois de Vincennes [14] jusqu’à quelque autre rencontre ou nécessité.] [5]

Depuis deux jours, Guénault [15] et des Fougerais [16] ont donné de leur vin émétique [17][18] à un maître des comptes nommé M. de La Grange, [6][19] lequel en mourut dans l’opération. Tout cela fait bien ici du bruit aux dépens de la réputation de ces deux bourreaux qui ne s’en soucient guère : nulla enim pœna in tales nocentes a Iudicibus statuta est præter infamiam ; [7] l’antimoine ne laisse pas d’en avoir ses malédictions et son exécration publique, mais ce n’est qu’en continuant car, Dieu merci, il est fort haï, aussi bien que ceux qui l’ordonnent.

Enfin, par plusieurs considérations, tant bonnes que mauvaises, M. le cardinal de Retz a donné sa démission de l’archevêché de Paris, moyennant 100 000 livres de rente en bénéfices qu’on lui donne, y compris quelques abbayes de feu son oncle, le dernier mort. [20] Il est sorti de prison aujourd’hui, mardi 31e de mars, il est allé dîner à Montrouge [21] et coucher à Chilly ; [22] et dès le lendemain matin, il part pour s’en aller à Nantes [23] en Bretagne où il demeurera en attendant que ses bulles [24] soient venues pour les bénéfices nouveaux qu’on lui donne. [8] On dit que l’archevêché de Paris est donné au cardinal Antonio [25] et que le P. Ithier, [26] cordelier qui fit l’an passé, amende honorable [27][28] à Bordeaux, sera son suffragant[9] Je le veux bien, etc.

On parle ici d’un grand armement que fait Cromwell, [29] sans encore savoir à qui il en veut. On dit qu’il veut envoyer du secours au prince de Condé ; les autres, qu’il veut envoyer une armée en Portugal ; d’autres, que c’est en France ; les uns ont peur du côté de Normandie, d’autres croient que ce sera du côté de La Rochelle [30] et de Bordeaux. Bref, cela ne se sait point, mais ce grand armement fait peur à bien du monde. [10]

Je vous supplie de faire mes très humbles recommandations à Messieurs nos bons amis, MM. Gras, Garnier, Falconet, Huguetan l’avocat et Messieurs les deux associés. Quand est-ce que sera parachevé leur Theatrum vitæ humanæ [31][32] et leur Sennertus [33] en deux volumes ? Que font-ils encore de nouveau ? Le quatrième tome de Vittorio Siri [34] est-il sur la presse ? Enfin imprimeront-ils ce Recueil des conclaves depuis tant d’années ? M. Devenet [35] avance-t-il fort l’impression de son Van Helmont [36] in‑fo ? [11]

On travaille au recueil des pièces qui ont été faites, tant en vers qu’en prose, sur la mort de feu M. Naudé. [37] J’ai donné tout ce que j’avais, tant de vous que de plusieurs autres. Tout cela sera mis en un volume in‑4o et sera mis sur la presse le mois qui vient. [12] Le Mazarin [38] a commencé à parler et a fait offrir de sa bibliothèque [39][40] 20 000 livres à plusieurs pauvres héritiers, mais elle vaut bien davantage ; [13][41] et surtout, elle abonde et est très pleine de petits livres, bons, rares et curieux, qui ne se pourraient qu’avec grande peine trouver ni rencontrer ailleurs.

Ce 5e d’avril. Ce propre jour de Pâques, M. Sorbière [42][43] m’est venu voir tandis que les autres étaient à vêpres et au sermon. Nous nous sommes entretenus tout seuls une heure entière. Il m’a dit que dans peu de temps il fera imprimer son livre touchant sa conversion [44] et qu’il espère quelque chose de bon du Mazarin qui lui a bien promis, et de bonne grâce ; [14][45] mais cet homme promet bien plus qu’il ne donne, je vois bien qu’il n’y a encore rien de fait. Il m’a dit que M. Derodon, [46] professeur en philosophie à Orange, [47] a fait imprimer un livre intitulé Lumière de la raison et plusieurs thèses de philosophie. [15] Je n’ai jamais rien vu de cet auteur ; s’il s’en trouve quelque chose à Lyon chez ceux qui trafiquent avec les libraires d’Orange, faites-moi la faveur de me les acheter ; comme aussi un autre livre qu’il m’a indiqué, intitulé Iacobus Gaddius de Scriptoribus non ecclesiasticis[48] qui est en deux petits tomes qui se peuvent relier en un, dont le premier est imprimé à Florence et le second à Lyon, l’an 1649. [16] Je vous supplie de vous en enquérir et de me les acheter si vous les trouvez, totum pretium ex animo refundam[17] Il m’a dit aussi que ceux de Leyde [49] ont imprimé depuis peu Horatius, cum Notis Variorum[18][50][51] qu’il était très beau, qu’il en avait vu un. Bref, il m’a bien chargé de vous faire ses recommandations. Je le trouve fort bon homme et m’a toujours semblé tel, mais il me semble tout poli, un peu courtisan et fort persuadé. [19] Il m’a dit aussi qu’à Utrecht, on a imprimé depuis peu un beau Pétrone [52] avec des notes, cum Priapeis[20][53][54] Il espère d’avoir en bref quelque bonne abbaye de la libéralité du Mazarin ; fiat, fiat[21] On ne parle point ici d’aucun grand voyage du roi, on dit seulement qu’il ira demeurer quelque temps au Bois de Vincennes [55] pour y chasser, et dans la plaine de Saint-Maur [56][57] qui est là tout joignant ; [22] et par après, on parle de célébrer le mariage de M. le grand maître [58] avec une des nièces du Mazarin, [59][60][61] celui de M. de Candale [62] n’étant pas encore résolu faute du consentement de M. d’Épernon [63] qui ne se veut pas dépouiller. [23]

L’édition des œuvres de Van Helmont est-elle bien avancée chez M. Devenet ? On dit qu’elle sera in‑fo de plus de 230 feuilles, et qu’il fait pareillement une belle Somme de saint Thomas. [24][64] Depuis peu de jours, on m’a déposé comme un grand secret entre les mains un certain manuscrit de médecine, lequel contient un commentaire assez grand in Iusiurandum Hippocratis ; [65] l’auteur est un médecin de Paris nommé Henricus Monantholius, [66] lequel mourut l’an 1606. Ce manuscrit était demeuré chez ses héritiers, lequel a pensé être perdu comme plusieurs autres manuscrits l’ont été. Enfin, Dieu a sauvé celui-ci, je m’en vais tâcher de le faire imprimer en trouvant quelqu’un qui ait assez de courage pour cela ; ce ne sera qu’un petit in‑4o d’environ 20 feuilles d’impression. [25]

Le P. Louis Jacob, [67] dans sa Bibliographie qu’il nous a donnée depuis peu pour les années 1652 et 1653, [26] a fait mention de quelques livres que je vous prie de m’acheter, d’autant qu’ils ont été imprimés en votre ville de Lyon : David du P. Raymond d’Avignon [68] in‑4o chez P. Rigaud, [69] 1653 ; Confiteor reformatum, Dissertatio Theophili Raynaudi, Lugduni, apud Iullieron [70][71] in‑12, 1653 ; Mala ex bonis Ecclesiæ du même, chez Prost, [72] 1653, in‑4o ; Lugdunum sacro-profanum, apud G. Barbier [73] in‑4o ; Abrégé et la dernière preuve de l’Académie de la vérité chez le même, in‑4o[27] Et me mettez sur mon compte tout ce que cela coûtera, s’il vous plaît ; en faisant s’il vous plaît mes recommandations à cesdits MM. Rigaud, Julliéron et Barbier.

On parle fort ici de la reine de Suède, [74] laquelle dépose sa royauté en se réservant une pension notable ; en ce cas-là, elle met en sa place un prince de Suède qui est son cousin, [75][76] nommé le prince palatin, duquel le père était descendu des princes palatins d’Allemagne. [28] Illius abdicationis vera causa adhuc nescitur : [29] les historiens n’en ont jamais dit une bonne pour Dioclétien ; [30][77] on dit qu’un des Andronics [78] en fit autant, épouvanté d’un spectre qu’il vit en son cabinet et qui lui dicta abdicationem illam Imperii ; [31] Charles Quint [79][80][81] était vieux et cassé, qui multis modis peccaverat[32] les moines disent qu’il voulait faire pénitence. [82] Tout cela est bon à dire, mais en vérité, je crois qu’il était fou de se dépouiller ainsi avant que de se coucher ; [33] aussi ne tarda-t-il guère à s’en repentir. La curiosité de notre siècle aura bien de la peine à sonder la vraie cause de celle-ci ; et quand on la saurait, peu de gens la diront, latet anguis in herba[34][83] Le résident que nous avons près de la reine de Suède à Stockholm, [84] nommé Picques, [35][85] a près de soi un jésuite nommé le P. Langlois, [86] qui est un homme d’esprit, qui en écrit de deçà à un autre Socius assez particulièrement ; ce loyolite est déguisé et travesti de delà, habillé en cavalier et nommé M. de Saint-Hubert. [36]

Je vous prie de dire à M. Huguetan [87] le libraire que l’on a imprimé à Leyde un in‑12 en français des Colloques d’Érasme [88] chez Adrien Vingart [89] l’an 1653 ; il n’y en a que dix en tout. [37] S’il en a la version entière, je pense qu’il ferait bien d’en procurer une nouvelle édition à Genève, in‑8o ou in‑4o, de peur que ceux de Hollande ne le préviennent. [38] Ce livre fidèlement traduit et nettement imprimé serait merveilleusement bien reçu en ce siècle si curieux de nouveautés ; joint qu’il prend le monde par le nez et est capable de détromper les sots, quorum infinitus est numerus[39]

Je vous prie de dire à M. Gras, [90] notre bon ami, que je suis son très humble serviteur et que j’ai ici entre les mains un jeune homme de Lyon, fils d’un orfèvre, nommé Simonnet, [91] lequel m’a parlé de lui ; il est malade d’une fièvre continue, [92] mais avec grande espérance et apparence de guérison.

On dit ici une plaisante nouvelle de la reine de Suède, savoir qu’elle a quitté sa royauté et qu’elle s’est commise entre les mains d’un ambassadeur du roi d’Espagne, [93] nommé Pimentel, [40][94] qui l’a emmenée en Italie pour lui faire voir le pays ; qu’elle se veut faire catholique romaine ; [95] qu’elle veut aller voir le pays de Grèce, la Thrace, ; [96] Constantinople, [97] l’Euphrate, [98] le Pont-Euxin, [99] etc. ; ce que je ne crois point. Néanmoins, nous sommes en un siècle plein de prodiges et me semble que nous ne devons point du tout nous étonner de tout ce qui arrive. On dit aussi que les Anglais ont envoyé 8 000 hommes vers La Rochelle et qu’ils sont fort à craindre en ces quartiers-là, et que leur paix avec les Hollandais s’exécute. [41][100]

Je vous prie d’acheter pour moi chez M. Huguetan la Chirurgie de Fabr. ab Aquapendente [101] en français, en blanc, avec ce qu’a fait un certain chirurgien, nommé Couillard, [102] et des bonnes et dernières éditions. [42] Je les ai vus aujourd’hui en ville, je n’ai céans ni l’un, ni l’autre. Quand vous les aurez, mettez-les dans mon paquet, s’il vous plaît, et mettez le prix sur mes parties. On dit que le Mazarin cherche de l’argent de tous côtés afin de lever des hommes et faire des recrues pour résister au prince de Condé qui sera, dit-on, bien fort au mois de juin prochain. Et moi, je serai toute ma vie, bien fort et de toute mon âme, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,

Guy Patin.

De Paris, ce vendredi 10e d’avril 1654.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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