Bonaventure Des Périers (vers 1510-1543), valet de chambre et secrétaire de Marguerite de Valois, reine de Navarre, {a} a laissé, en dépit de sa courte existence (à laquelle il aurait lui-même mis fin), une assez copieuse œuvre littéraire (en vers et en prose), qui est encore fort estimée de nos jours. On lui attribue le Cymbalum mundi. {b}
Un apologue est une « instruction morale qu’on tire de quelque fable inventée exprès. “ C’est un exemple fabuleux qui s’insinue avec d’autant plus de facilité et d’effet, qu’il est plus commun et plus familier ” (La Fontaine) » (Trévoux). Celui de Des Périers, intitulé L’Avarice. À Hélias Boniface, d’Avignon, figure dans ses Œuvres françaises {c} (tome 1, pages 88‑89) :
« Voyant l’homme avaricieux,
Tant misérable et soucieux,
Veiller, courir et tracasser,
Pour toujours du bien amasser
Et jamais n’avoir le loisir
De s’en donner à son plaisir,
Sinon quand il n’a plus puissance
D’en percevoir la jouissance,
Il me souvient d’une alumelle, {d}
Laquelle, étant luisante et belle,
Se voulut d’un manche garnir,
Afin de couteau devenir, {e}
Et, pour mieux s’emmancher de même,
Tailla son manche de soi-même.
En le taillant, elle y musa, {f}
Et, musant, de sorte s’usa
Que le couteau, bien emmanché,
Étant déjà tout ébréché,
Se vit grandi par plus de neuf {g}
D’être ainsi usé tout fin neuf ;
Dont fut contraint d’en rire aussi
Du bout des dents, et dit ainsi :
“ J’ai bien ce que je souhaitais,
Mais pas ne suis tel que j’étais,
Car je n’ai plus ce doux trancher,
Pour quoi tâchais à m’emmancher. ”
Ainsi vous en prend-il, humains,
Qui nous avez entre vos mains,
Hormis qu’on peut le fil bailler
Au tranchant qui ne veut tailler ; {h}
Mais à vieillesse évertuée {i}
Vertu n’est plus restituée. » {j}
- V. note [38] du Borboniana 10 manuscrit.
- V. notule {a}, note [23], lettre 449.
- Édités par Louis Lacour (Paris, P. Jannet, 1856, 2 tomes, in‑8o).
- « Fer délié [mince] et plat qui fait le tranchant ou la lame des épées, couteaux, poignards, etc. » (Furetière).
- Afin de devenir couteau.
- Elle s’y attarda par plaisir.
- Neuf fois.
- Rendre son tranchant à la lame qui ne veut plus couper.
- Velléitaire.
- Le sens de cette fable ne paraît guère obscur, qu’on l’entende au premier degré, ou surtout au second, avec allusions et homophonies fort salaces, dont je ne donnerai que deux indices : « suça » pour « s’usa », « Ce vit grandit par plus de neuf » pour « Se vit grandi par plus de neuf ».
Guy Patin (ou son porte-plume), me semble-t-il, n’aurait pas ingénument transcrit ces vers s’il n’y avait éprouvé « un vrai plaisir de trouver quelque finesse ».
|