De tribus Impostoribus, Des trois Imposteurs, est le titre du livre le plus fantomatique du xvie-xviie s. Le G.D.U. xixe s. (publié de 1863 à 1876) l’a décrit comme étant à la fois :
« dirigé contre Moïse, Jésus-Christ et Mahomet. Le singulier est que tout le monde parlait de ce livre et que personne ne pouvait dire qu’il l’avait vu. La reine Christine de Suède offrit inutilement de le payer 30 000 livres. Si bien que les critiques les plus respectables finirent par révoquer en doute l’existence de ce fameux livre et cet avis bizarre a encore aujourd’hui un grand nombre de partisans. Dans ce système, l’édition publiée en 1753, par Straub, libraire de Vienne, serait due à un faussaire qui aurait profité d’une erreur générale pour publier un livre extrêmement hardi. L’exemplaire daté de 1598 que possède la Bibliothèque nationale porterait une fausse date. Tout cela paraît assez difficile à croire et en tout cas, ne nous expliquerait nullement comment le xviie s. a pu avoir l’idée et connaître l’idée d’un livre qui n’existait pas. Quoi qu’il en soit, outre l’édition de Vienne déjà citée, on en possède une autre de 1768 (Amsterdam et Yverdon, in‑8o). D’autres éditions ont paru en 1792, 1833, 1846, 1861. L’exemplaire que nous avons sous les yeux (sans lieu ni date) contient six chapitres et trois paragraphes supplémentaires intitulés : Sentiments sur le traité des trois Imposteurs ; Extrait d’une lettre ou Dissertation de M. de La Monnaye à ce sujet ; Réponse à la dissertation de M. de La Monnaye sur le traité des trois Imposteurs. {a} Quant à l’auteur, il n’est pas mieux connu que la date de la publication. On a successivement attribué le livre des Imposteurs à Averroès, à Boccace, à Campanella, à Guillaume Postel, à Machiavel, à Rabelais, à Étienne Dolet, au Pogge, à l’Arétin, à Muret, sans parler de l’empereur Frédéric ii qui aurait emprunté la plume de son chancelier, Pierre des Vignes. Ce qui est probable, c’est qu’un exemplaire unique et anonyme aura longtemps circulé sous le manteau et que l’auteur n’aura jamais cru prudent de se faire connaître. Ce livre singulier pouvait en effet passer en ce temps-là pour remarquable par l’audace de la pensée et du style, audace qui paraîtrait intolérable de nos jours et qui ne peut s’expliquer que comme une violente réaction contre les persécutions exercées, au temps de l’auteur, contre les impies. Voici un échantillon du genre : “ Tout le monde demeure d’accord que, pour la naissance et les fonctions ordinaires de la vie, ils {b} n’avaient rien qui les distinguât du reste des hommes : ils étaient engendrés par les hommes, ils naissaient des femmes et ils conservaient leur vie de la même façon que nous. Quant à l’esprit, on veut que Dieu animât bien plus celui des prophètes que des autres hommes, qu’il se communiquât à eux d’une façon toute particulière ; on le croit d’aussi bonne foi que si la chose était prouvée ; et sans considérer que tous les hommes se ressemblent et qu’ils ont tous une même origine, on prétend que ces hommes ont été d’une trempe extraordinaire et choisis par la divinité pour annoncer ses oracles. Mais outre qu’ils n’avaient ni plus d’esprit que le vulgaire, ni l’entendement plus parfait, que voit-on dans leurs écrits qui nous oblige à prendre une si haute opinion d’eux ? La plus grande partie des choses qu’ils ont dites est si obscure que l’on n’y entend rien, et en si mauvais ordre qu’il est facile de s’apercevoir qu’ils ne s’entendaient pas eux-mêmes et qu’ils n’étaient que des fourbes ignorants. Leur audace constitue tout leur mérite ; quand on se défaisait d’eux par des supplices, on leur infligeait une peine qui leur était due : Jésus-Christ n’échappa point au juste châtiment qu’il méritait ; il n’avait pas, comme Moïse, une armée à sa suite pour défendre ses opinions. ” L’auteur s’attache à démolir ses trois Imposteurs en se servant contre eux des textes mêmes empruntés aux livres sacrés. Un pareil dessein, qui serait banal aujourd’hui, où la critique a produit tant d’œuvres destinées à combattre les dogmes et les traditions de la Bible, était alors, pour l’époque, une tentative excessivement hardie, et l’on comprend tout le scandale qui s’est fait autrefois autour de ces arguments. L’auteur va plus loin : il s’attaque à l’existence même de Dieu, ou tout au moins aux preuves que l’on a habitude d’en donner et qui lui paraissent ridicules. En résumé, l’argumentation des trois Imposteurs nous paraît aujourd’hui banale et les plaisanteries dont ce livre est plein nous semblent de mauvais goût ; car le genre adopté par la société de nos jours est de ne pas croire à la religion, pas beaucoup à Dieu, mais de ne parler de l’un et de l’autre qu’en termes respectueux. » {c}
- Traité des trois imposteurs (Yverdon, de l’Imprimerie du Professeur de Felice, 1778, in‑8o de 95 pages, en français, suivies des pièces citées (pages 97‑143).
- Les trois Imposteurs.
- V. note [38], lettre 477, pour le Theophrastus redivivus, manuscrit latin athée beaucoup plus volumineux que Les trois imposteurs, et pour son hypothétique attribution à Guy Patin (qui ne m’a pas convaincu).
Sous le pseudonyme de Philomneste Junior, Pierre Gustave Brunet (1805-1896) a donné une édition critique moderne et abrégée de ce livre : De tribus Impostoribus m.d.iic. [1598]. Texte latin, collationné sur l’exemplaire du duc de La Vallière, aujourd’hui à la Bibliothèque impériale, augmenté de variantes de plusieurs manuscrits, etc. et d’une notice philologique et bibliographique (Paris, Jules Gay, 1861, in‑12 de 101 pages, bilingue, latin et français). Les Hypothèses au sujet de l’auteur (volume 1, pages vii‑xixi, avec cette conclusion :
« Parmi les écrivains connus comme libres penseurs et auxquels on aurait pu encore attribuer le Liber de tribus Impostoribus, nous n’avons pas rencontré Bonaventure Des Périers ; on sait que cet écrivain spirituel se suicida dans l’hiver de 1542 à 1543, après avoir fait imprimer en 1537 le Cymbalum mundi, {a} livre aussitôt poursuivi par le Parlement, comme contenant de grands abus et hérésies. […]
Nous n’avons pas besoin d’insister ; il est évident que si le Liber de tribus Impostoribus a réellement été imprimé en 1538, comme l’affirme Campanella, {b} on pourrait avec quelque vraisemblance le mettre sur le compte de Des Périers, qui y aurait développé avec plus de netteté la thèse qu’il voilait à dessein dans le Cymbalum, lequel pouvait, aux yeux des myopes, passer pour une raillerie dirigée contre le paganisme. »
- Cymbalum mundi {i}en français, contenant quatre dialogues poétiques fort antiques joyeux et facétieux. {ii}
- La Cymbale du monde.
- Sans nom ni lieu 1537, in‑4o de 8 feuilles : « facsimilé de l’exemplaire unique conservé à la Bibliothèque de Versailles », Paris, Société des Anciens Livres, 1914, avec un avant-propos de Pierre-Paul Plan.
L’épître de ce petit live anonyme est intitulée « Thomas du Clevier à son ami Pierre Tryocan S[alut]. », anagramme de « Thomas l’Incrédule à son ami Pierre Croyant S[alut] ». Son auteur aujourd’hui unanimement reconnu est Bonaventure Des Périers (v. note [21] du Faux Patiniana II‑1). L’athéisme du livre le fit condamner au feu et lui valut la haine de tous les chrétiens.
- Tommaso Campanella (v. note [12], lettre 467) prétendait que Marc-Antoine Muret (v. note [30], lettre 97) était l’auteur du livre.
Hugues ii de Salins est le seul de ses correspondants avec qui Guy Patin ait échangé sur les trois Imposteurs. V. notes [47], [48] et [49] du Naudæana 4, [31]‑[36] du Borboniana 5 manuscrit, et [10] du Borboniana 6 manuscrit pour d’autres informations sur ce livre maudit (avis divers, auteurs possibles, autres éditions).
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