À Charles Spon, le 8 janvier 1649, note 26.
Note [26]

La « guerre civile », sommet de la première Fronde, éclatait. Les précédentes lettres en ont évoqué les prémices parlementaires et politiques, mais le départ subreptice du roi et de sa cour pour Saint-Germain marquait la rupture entre le Conseil de régence et le Parlement et le peuple de Paris. Le roi privait la capitale de sa protection.

Le pire pouvait dès lors arriver (Ranum, pages 206‑207) :

« Soudain, la ville ne faisait plus qu’un seul corps, qu’un seul peuple, dont chaque membre se sentait personnellement menacé. Le départ du roi Louis et de la reine régente stupéfia les Parisiens. […] Un irrésistible sentiment de crise submergeait la ville. Sa vie, son sang paraissaient en danger. »

Les auteurs anonymes du Journal de la Fronde, en date de Paris, le 8 janvier 1649 (volume i, fos 7 ro‑9 vo), ont fort utilement complété la brève narration que Guy Patin donnait des événements de première importance qui se déroulèrent alors :

« Le 5, veille des Rois, à 10 heures du soir les capitaines du régiment des gardes et des gendarmes et chevau-légers du roi reçurent ordre d’amener leurs soldats tout doucement au Cours de la Reine sans tambour ni trompette, ce qu’ils firent et tout y était presque rangé en bataille à minuit. À trois heures du matin, le roi et la reine, M. le duc d’Anjou et M. le cardinal sortirent par la petite porte du jardin où il y avait trois carrosses qui attendaient, et s’en allèrent au Cours. En même temps on envoya avertir M. le duc d’Orleans et M. le Prince, ensuite Mademoiselle et Mesdames les princesses de Condé {a} qu’on les attendait au Cours. S.A.R. {b} se leva aussitôt et se prépara pour partir. L’on remarqua qu’en descendant l’escalier de son palais, {c} il était soutenu de deux de ses gentilshommes sous les bras et qu’il sortit avec de si grandes tendresses {d} que son visage en était pâle, < ce > qui fut suivi d’une grosse sueur. Madame, ayant reçu ordre de Monsieur de partir, s’y résolut après beaucoup de larmes et partit à sept heures avec les petites princesses ses filles. Elle sortit par la porte du jardin de son palais et s’en alla droit à Saint-Cloud où elle passa la Seine. Mesdames les princesses de Condé se trouvèrent au Cours un peu devant cinq heures. Mademoiselle, ayant reçu l’ordre de la reine et de Monsieur son père, obéit avec assez de répugnance, se rendit au Cours entre cinq et six heures, où étant elle entra dans le carrosse de la reine. Enfin Leurs Majestés ayant demeuré dans le Cours plus de deux heures en attendant les uns et les autres, partirent pour Saint-Germain.

À sept heures du matin, {e} Messieurs de la Ville reçurent une lettre de cachet par laquelle le roi leur mandait qu’il avait été obligé de partir de Paris pour ne < pas > demeurer exposé aux pernicieux desseins d’aucuns des officiers du Parlement, lesquels ayant intelligence avec les ennemis de l’État, non contents d’avoir attenté contre son autorité, se portaient encore à conspirer de se saisir de sa personne ; et leur recommandait d’empêcher qu’il n’arrivât aucun désordre, promettant de donner tous bons et favorables traitements aux bourgeois. À huit heures, tout le pain qui était dans le marché était déjà enlevé. M. Giraut, introducteur des ambassadeurs, fut avant-hier au matin au logis de tous les ambassadeurs et résidents des princes étrangers pour les avertir de s’en aller à Saint-Germain s’ils voulaient suivre la cour, et qu’on leur donnerait des logements. M. le coadjuteur de Paris {f} reçut aussi en même temps une lettre de cachet portant ordre d’aller à Saint-Germain, à quoi voulant obéir l’on l’empêcha, et les harengères l’arrêtèrent hier au matin disant qu’elles avaient besoin de ses bénédictions.

Le même jour à huit et neuf heures du matin l’on pilla dans la rue Neuf-de-Saint-Honoré et vers le bout des Tuileries quelques carrosses et chariots chargés de bagage, entre autres celui de Bonneau, partisan, où il y avait quelque vaisselle d’argent et quelques sacs d’argent monnayé. Messieurs de < la > Ville envoyèrent en même temps aux quarteniers et dizainiers de commander à chacun d’eux en son quartier qu’on tînt les armes prêtes pour aller faire garde aux portes. Quelques conseillers au Parlement étant allés chez M. le premier président, l’on résolut de s’assembler extraordinairement nonobstant la fête et d’envoyer promptement avertir les autres de s’y trouver ; comme l’on fit, de sorte qu’à dix heures il y eut 50 à 60 conseillers assemblés dans le Palais où il en vint d’autres ensuite. Les échevins y apportèrent la lettre de cachet qu’ils avaient reçue et dirent qu’ils avaient commandé qu’on tînt les armes prêtes pour faire garde aux portes et qu’ils venaient recevoir les ordres du Parlement afin de pourvoir à la sûreté de la ville. Sur cela, il fut ordonné qu’on ferait garde jour et nuit, défenses à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, d’enlever aucunes armes ni bagages, et à tous les colonels et capitaines d’en laisser sortir, < et fut > enjoint aux officiers du Châtelet de tenir la main à la police et à tous gouverneurs des villes et places de 20 lieues à la ronde, capitaines, magistrats et autres, de laisser passer les vivres qui viendraient à Paris, avec défense de recevoir aucune garnison ni logement de guerre et ordre d’escorter ceux qui en apporteront, à peine d’en répondre en leurs noms. Cependant on députa quatre conseillers pour aller au Palais-Royal et aux environs pour informer et faire procès-verbal de l’enlèvement du roi, ce qu’ils firent. À quatre heures du soir les chaînes furent tendues dans toutes les avenues et l’on y mit des corps de garde, principalement à toutes les portes, lesquels y passèrent la nuit et y sont encore. Le même jour, Leurs Majestés et tous les princes et princesses couchèrent dans des lits empruntés. M. le duc de Montbazon, gouverneur de Paris, lequel était en sa maison de Rochefort, {g} arriva ici hier au matin et trouva qu’on avait donné des si bons ordres à son absence qu’on n’avait laissé sortir personne, chevaux, bagage, ni armes.

Hier au matin, {h} le prévôt des marchands reçut une lettre de cachet du roi portant ordre de lui envoyer son bagage qui était dans le Palais-Royal ; à quoi obéissant, il le fit charger sur 30 ou 40 charrettes, lesquelles étant sorties du palais escortées de deux échevins furent jusqu’à la porte Saint-Honoré sans trouver de résistance ; mais étant arrivées jusqu’au corps de garde qui est aux portes, les échevins ne furent pas les maîtres et le menu peuple s’y étant ramassé en grand nombre ne voulut point laisser passer aucun des chariots, lesquels furent obligés de s’en aller décharger au Louvre. Le Parlement reçut aussi une lettre de cachet portant ordre d’aller à Montargis, la Chambre des comptes une autre portant ordre d’aller à Poitiers, le Grand Conseil une autre pour aller à Mantes, et la Cour des aides une pour aller à Orléans. Le Grand Conseil résolut d’obéir et de partir pour cet effet dans huit jours, mais les autres cours souveraines n’y ont pas encore délibéré. Messieurs du Parlement demeurèrent assemblés jusqu’à plus de deux heures après midi. Ils ouvrirent plusieurs avis, entre autres celui d’ordonner l’exécution de l’arrêt de 1617 {i} ouvert par M. le président de Novion, mais il ne fut suivi que de 12 voix. Enfin, après avoir bien examiné la lettre de cachet envoyée le jour précédent à Messieurs de la Ville, il y eut arrêt portant que Messieurs les Gens du roi partiraient incontinent pour Saint-Germain, comme ils firent, prier Sa Majesté de revenir en cette ville et de vouloir nommer tous ceux qui ont conspiré contre son autorité et sa personne afin qu’on leur fît le procès ; et que les cours souveraines seraient invitées et priées de se trouver ce matin à la Chambre Saint-Louis pour y délibérer sur la police et sûreté publique. La Chambre des comptes résolut aussi d’envoyer des députés à la reine pour l’assurer de leur service et la prier de revenir à Paris.

Messieurs les Gens du roi étant arrivés à Saint-Germain, on ne les voulut pas voir et on les menaça s’ils ne se retiraient, de sorte qu’ils furent contraints de s’en revenir sur leurs pas. Monsieur fit avancer une partie du régiment des gardes à Nanterre et l’on commanda d’autres troupes pour venir à Aubervilliers, à Charenton et en d’autres lieux, ce qui a fait croire qu’on avait résolu d’assiéger Paris ; et les bouchers étant allés à Poissy pour acheter du bétail, sont revenus sans en amener, en ayant été empêchés ; outre qu’il y a eu arrêt du Conseil portant défenses aux marchands forains de rien vendre à ceux de Paris jusqu’à ce qu’il en fût autrement ordonné, lequel arrêt fut publié à son de trompe dans Poissy.

Ce matin, {j} le Parlement, toutes les chambres assemblées, sur le rapport fait par les Gens du roi du refus qui leur a été fait d’être ouïs à Saint-Germain, et comme ils ont trouvé à leur retour la ville de Paris bloquée et les passages des vivres bouchés, a déclaré le nommé Jules Mazarin comme perturbateur du repos public et principal auteur des désordres de l’État, criminel de lèse-majesté au premier chef, enjoint à lui de vider la cour dès aujourd’hui et de sortir du royaume dans huit jours, et à faute de ce faire, permis aux communautés des villes et bourgades < de > lui courir dessus, ses biens confisqués au roi et ses bénéfices impétrables ; {k} que très humbles remontrances seront faites par écrit au roi sur la désolation générale de l’État et < la > malversation commise par ledit Jules Mazarin depuis six ans ; qu’il sera incessamment procédé à la levée des gens de guerre suffisants tant pour la sûreté de la ville de Paris que pour l’ouverture et liberté du passage des vivres ; et que pour cet effet quatre conseillers de la Grand’Chambre assisteront incessamment à l’Hôtel de Ville pour en faire la fonction conjointement avec le prévôt des marchands et le procureur du roi ; et pour cet effet, l’on a député MM. de Broussel, Ménardeau l’aîné et Deslandes-Payen.

L’on dit qu’on a arrêté une trêve pour six mois avec le roi d’Espagne. Les étendards de la ville de Paris portent une étoile d’or en champ d’azur avec cette devise, Regem quærimus. {l} Ceux de M. de La Mothe-Houdancourt portent un Hercule gaulois qui assomme un Polyphème avec ces mots, Nullam habet ultio legem. {m} Ceux de M. de Bouillon, une épée entourée de deux rameaux d’olivier avec cette devise, Dabit ultio pacem. {n} Ceux de Monseigneur le prince de Conti portent un Phaéton renversé de son char avec ces mots, Meritas dabis improbe pœnas. » {o}


  1. Mère et bru.

  2. Son Altesse Royale, Gaston d’Orléans.

  3. Le palais du Luxembourg.

  4. Émotions.

  5. Le 6 janvier, jour des Rois.

  6. Gondi, futur cardinal de Retz.

  7. Rochefort-en-Yvelines, près de Dourdan.

  8. 7 janvier.

  9. Arrêt interdisant aux étrangers d’accéder au pouvoir.

  10. 8 janvier.

  11. Bloqués.

  12. « Nous demandons le roi. »
  13. « La vengeance ne connaît aucune loi », avec allusion aux troubles amours du cyclope Polyphème (v. note [51] du Borboniana 9 manuscrit), identifié à Mazarin, et de la néréide Galatée, Anne d’Autriche.

  14. « La vengeance procurera la paix. »
  15. « Tu administreras sans pitié les punitions méritées. » V. notes [5], lettre 166, pour le prince de Conti, et [11], lettre 201, pour Phaéton.

Arrêt de la Cour de Parlement donné toutes les chambres assemblées le 8e jour de janvier 1649. Par lequel il est ordonné que le cardinal Mazarin videra le Royaume, et qu’il sera fait levée de gens de guerre pour la sûreté de la Ville, et pour faire amener et apporter sûrement et librement les vivres à Paris (Paris, Imprimeurs et Libraires ordinaires du roi, 1649) :

« Extrait des Registres de Parlement. Ce jour, la Cour toutes les chambres assemblées, délibérant sur le récit fait par les Gens du roi, de ce qu’ils se sont transportés à Saint-Germain-en-Laye, par devers ledit seigneur roi et la reine régente en France, en l’exécution de l’arrêt du jour d’hier, et du refus de les entendre, et qu’ils ont dit que la ville était bloquée, a arrêté et ordonné que très humbles remontrances par écrit seront faites audit seigneur roi et à ladite dame reine régente ; et attendu que le cardinal Mazarin est notoirement l’auteur de tous les désordres de l’État et du mal présent, l’a déclaré et déclare perturbateur du repos public, ennemi du roi et de son État, lui enjoint se retirer de la cour dans ce jour, et dans la huitaine hors du Royaume, et ledit temps passé, enjoint à tous les sujets du roi de lui courre sus. Fait défenses à toutes personnes de le recevoir. Ordonne en outre qu’il sera fait levée de gens de guerre en cette ville en nombre suffisant : à cette fin, commission délivrée pour la sûreté de la ville, tant en dedans que dehors, et escorter ceux qui amèneront les vivres, et faire en sorte qu’ils soient amenés et apportés en toute sûreté et liberté. Et sera le présent arrêt lu, publié et affiché partout où il appartiendra, à ce qu’aucun n’en prétende cause d’ignorance. Enjoint au prévôt des marchands et échevins tenir la main à l’exécution dudit arrêt. Fait en Parlement le huitième jour de janvier mil six cent quarante-neuf. Signé, Du Tillet.

Le vendredi 8e jour de janvier 1649, l’arrêt ci-dessus de Nosseigneurs de la Cour de Parlement, a été lu et publié à son de trompe et cri public, tant aux portes et entrées de cette ville et faubourgs de Paris, qu’aux carrefours et places publiques de cette-dite ville et faubourgs, par moi Jean Jossier, juré crieur ordinaire de roi en la ville, prévôté et vicomté de Paris, en la présence de Maîtres Jean Finot et Pierre Laurens, huissiers en ladite Cour, accompagné de trois trompettes, Jean du Bos, Jacques le Franc, jurés trompettes du roi, et d’un autre trompette commis de Didier Ordin, dit Champagne, aussi juré trompette, et affiché où besoin a été. Signé, Jossier. »

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Charles Spon, le 8 janvier 1649, note 26.

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(Consulté le 04/12/2024)

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