Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 27.
Note [27]

« […]. Voyez la Vie d’Adrien vi par Paul Jove, dans le 2e tome de ses Vitæ virorum illustrium. »

Le latin qui précède cette référence n’est pas exactement conforme à ce qui se lit dans la Hadriani vi Vita [Vie d’Adrien vi], tome ii, pages 99‑129 (avec son portrait) des Vitæ [Vies] de Paul Jove. {a} Bien que ce texte ne soit pas d’une limpide et admirable latinité, je préfère en donner l’exacte transcription (pages 127‑128), pour la placer dans son contexte, avec mise en exergue des passages empruntés et indication, dans les notules, des altérations apportées par le Borboniana :

Ultimo inquirere punireque decreverat iuventutis corruptores ; eius enim criminis non omnino falsa suspicione, urbs ipsa conniventib. legib. infecta credebatur. Qua inopinata et gravi severissimæ legis mentione, maculosos quosdam cum aulæ tum civitatis, veluti desperata pub. securitate, terruerat adeo, ut non defuerint petulantissimi iuventes, qui Ioanni Antracino pontificis medico postes festa fronde per intemppestam noctem protinus exornarent, cum titulo uncialibus literis inscripto in hæc verba : Liberatori Patriæ S.P.Q.R. scilicet ut eo ioculari elogio non medicus uti veneficus aut imperitus, sed maiestas ipsa sanctissimi pontificis, qui salutari censura uti dignum erat principe Christiano, urbem atque aulam probrosis vitiis repurgare cogitasset, non obscure carperetur. Enimvero ea est natura populorum, ut quum dissolutæ vitæ licentia gaudeant, præsentis semper principis mores detestentur, superiorum vitam commemoratis virtutibus in cœlum ferant : eius vero qui defuncto sit successurus mores et consilia uti plena prudentiæ, liberalitatis, atque iustitiæ futura pronuncient.

[Juste avant de mourir, il avait décrété qu’on recherchât et qu’on punît les corrupteurs de la jeunesse ; et cette accusation, dont le soupçon n’était pas entièrement infondé, portait à croire que des lois trop indulgentes avaient corrompu la cité même de Rome. L’annonce, désagréable et inattendue, d’une loi si rigoureuse désespérait fort certaines gens de mauvaises mœurs, tant de la cour que de la ville, qui la tenaient pour une menace contre la tranquillité publique. À tel point qu’il ne manqua pas de {b} jeunes gens fort impudents qui décorèrent sur l’heure la porte de Giovanni Antracino, médecin du pape, {c} de guirlandes de fleurs, avec cette inscription en lettres capitales, Au libérateur de la patrie, du Sénat et du peuple romain. Par cet ironique éloge, ils voulaient non pas signifier que le médecin fût empoisonneur ou incapable, mais brocarder ouvertement la salutaire censure qui avait rendu la majesté même du très saint pontife digne d’un prince chrétien, en méditant de purger la ville et la cour de leurs vices infâmes. Tant il est vrai que la nature des peuples est telle que, quand eux se vautrent dans les débauches d’une vie dissolue, ils détestent toujours les mœurs de celui qui les dirige maintenant, et portent aux nues le souvenir de la vie qu’ont menée ceux qui l’ont précédé ; mais ils proclament que les mœurs et les décisions de celui qui succédera au défunt déborderont de sagesse, de libéralité et de justice]. {d}


  1. Bâle, 1577, v. note [27], lettre 925.

  2. Le Borboniana a remplacé tout ce préambule, plus aisé à comprendre qu’à traduire en français, par : « et c’est pourquoi ».

  3. « médecin d’Adrien vi » dans le Borboniana : Giovanni Antracino, natif de Macerata (Marches), a enseigné et pratiqué la médecine avec grand renom, à Padoue et à Rome ; il s’est aussi fait connaître par son talent à versifier, mais n’a pas laissé d’ouvrages médicaux.

  4. Bayle a repris une partie de ce texte dans sa note S sur Adrien vi.

Jove a conclu sa Vie sur la sépulture et les épitaphes de ce pape (page 129) :

Conditus est Hadianus temporario monumento in æde Divi Pietri, juxta Pios Picholominæ familiæ pontifices cum hos titulo : Hadrianus sextus hic situs est, qui nihil sibi infelicius in vita duxit, quam quod imperaret. Cæterum Guliermus Enchavordius cardinalis egregia gratissimi animi liberalitate non multo post magnifici operis sepulchrum extruxit in templo Deiparæ Virginis Germanorum ad Circum Flaminium, in quo marmoreis pluribus signis, clarissimarum virtutum effigies erudita arte repræsentavit : quarum auspiciis Hadrianus humanæ fortunæ fastigium immortali cum laude esse adeptus, et demum moriens, certissimum inter cœlites nunquam interituræ felicitatis locum optimorum omnium iudicis meruisset. […]

Hæc carmina sepulchro fuerunt affixa.

Quam potes merito optimoque iure
Inter pontifices Pios iacere
Maximæ pietatis Hadriane.

Insignis pietas tua, Hadriane
Viventi tibi profuit, decusque
Aurei diadematis paravit,
Iure id me hercule, at æquius tuæque
Certius pietatis hoc trophæum est,
Defunctus quod honoribus tot, inter
Duos contigerit Pios iacere.

[Adrien fut d’abord mis dans un tombeau provisoire, aux côtés des deux papes Pie issus de la famille Piccolomini, {a} avec cette inscription : Hadrianus sextus hic situs est, qui nihil sibi infelicius in vita duxit, quam quod imperaret {b} Peu de temps après, cependant, le cardinal Willem van Enckenvoirt, par la remarquable générosité d’un esprit profondément reconnaissant, lui fit élever un magnifique mausolée dans l’église Sainte-Marie des Allemands près du Cirque Flaminius. {c} Plusieurs sculptures de marbre y représentent avec grand art ses plus brillantes vertus. Sous leurs auspices, Hadrianus est parvenu au faîte de la destinée humaine avec immortelle gloire ; et maintenant qu’il est mort, au jugement de tous les honnêtes gens, il mériterait très certainement sa place parmi les sommités célestes dont la félicité demeurera à jamais. {d} (…)

Ces vers ont été gravés sur son tombeau.

« Pour ta très grande piété, Adrien, tu méritais parfaitement de reposer entre les deux papes Pie.

De ton vivant, Adrien, Ton insigne piété t’a été utile. Elle t’a valu d’être paré d’un diadème d’or. Comme tu le méritais justement ! mais, maintenant que tu es mort, cette récompense de ta piété est plus juste et plus solide que celle de reposer entre deux papes Pie. »] {e}


  1. V. note [3], lettre 344, pour Pie ii (1458-1464, Enea Silvio Piccolomini). Son neveu, Pie iii, Francesco Todeschini Piccolomini, n’avait régné que pendant 26 jours en octobre 1503.

  2. V. supra note [26] pour la traduction de cette première épitaphe.

  3. Fondée avec un hospice par de riches pèlerins néerlandais au xive s., cette église porte en italien le nom de Santa Maria dell’Anima. Elle est située au centre de Rome, près de l’esplanade du Cirque Flaminius (Flamine), qui jouxte le Champ de Mars.

    Ce transfert d’Adrien vi hors de la basilique pontificale fut plutôt lié à sa nationalité qu’à l’hostilité que son origine étrangère, sa doctrine et son gouvernement avaient fait naître au sein de l’Église romaine.

  4. Soupçonné de bienveillance doctrinale à l’égard du luthéranisme, frisant l’hérésie, Adrien vi n’a pas été béatifié et ne le sera sans doute jamais.

  5. Cette épitaphe ironique, jouant sur le sens premier du nom Pie (Pius, Pieux), fut gravée sur le premier tombeau d’Adrien, sous celle qui figure plus haut (notule {b}). Elle n’a pas survécu au temps.

    Voici celle qu’on peut encore lire sur le monument définitif de Santa Maria dell’Anima, imprimée dans l’Histoire des papes et souverains chefs de l’Église… Par feu M. Du Chesne {i}, vivant conseiller du roi en ses Conseils, historiographe de France… {ii}, tome second, pages 385‑386) :

    Hadrianus vi. Pont. Max.
    Ex Traiecto insigni
    Inferioris Germaniæ urbe.
    Qui dum rerum humanarum
    Maxime aversatur splendorem
    ultro a Proceribus
    ob incomparabilem
    Sacrarum disciplinarum
    Scientiam
    Ac prope divinam castissimi animi
    Moderationem
    Carolo v. Cæsari Augusto
    Præceptor
    Ecclesiæ Derthusensis antistes,
    Sacri Senatus patribus collega,
    Hispaniarum Regnis præses,
    Reipublicæ denique Christianæ
    Divinitus Pontifex absens
    Adscitus.
    Vixit annos lxiv. menses vi.> dies xiii.
    Decessit xviii. Cal. Octobris
    Anno a Partu Virginis m. d. xxiii.
    Pontificatus sui Anno secundo.

    Wilhelmus Enchavortius
    Illius benignitate et auspiciis
    Tit. SS. Ioannis et Pauli
    Presbyter Card. Derthusensis
    Fac. cur.

    Proh dolor ! quantum refert, in quæ tempora rei optime cuiusque virtus incidat.

    Quo Romanorum sextus pater atque Sacerdos
    Hoc etiam pietas conditur in tumulo.

    [Le souverain pontife Adrien vi était originaire d’Utrecht, célèbre ville de Germanie inférieure. Tandis qu’il délaisse volontiers la splendeur des choses humaines, les grands l’appellent alors, en raison de son incomparable connaissance des doctrines sacrées et de la modération presque divine de son très vertueux esprit, pour être précepteur de l’auguste empereur Charles Quint. Évêque de Tortosa, cardinal membre du sacré Collège, régent des royaumes d’Espagne, il est enfin élu, bien qu’absent, pontife de la République chrétienne. Il a vécu 64 ans, 6 mois et 13 jours. Il est mort le 14 septembre de la 1523e année suivant l’accouchement de la Vierge, en la seconde année de son pontificat.

    Par les soins de Willem van Enckenvoirt, que la bienveillance et la protection de cet homme a fait cardinal prêtre du titre des saints Jean et Paul, et évêque de Tortosa. {iii}

    Quelle douleur, hélas ! et comme il importe, en ces temps, que la vertu inspire au mieux les actes de chacun !

    Ô piété ! En ce tombeau repose aussi le sixième père et prêtre des Romains]. {iv}

    1. André Du Chesne, v. note [36], lettre 1019.

    2. Paris, Guillaume Le Bé, 1653, 2 tomes in‑fo, revue, corrigée et augmentée par François Du Chesne, fils d’André, avocat en Parlement et historiogrape de France ; première édition à Paris, 1616.

    3. V. supra note [26] pour l’explication et les dates de cette biographie.

    4. La numérotation des premiers pontifes romains varie : pour l’Église de Rome, le sixième fut officiellement d’Alexandre ier ; mais dans le livre de Du Chesne (tome premier, page 10‑11), il s’agit d’Évariste, que Rome désigne aujourd’hui comme le cinquième. Évariste ayant été inhumé à Saint-Pierre, sans doute s’agissait-il ici d’Alexandre, dont les restes ont été répartis dans plusieurs églises longtemps après son martyre.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Ana de Guy Patin :
Borboniana 7 manuscrit, note 27.

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(Consulté le 26/04/2024)

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