Autres écrits : Leçons de Guy Patin au Collège de France (2) : sur la Manne, note 5.
Note [5]

Les vingt grandes pages du chapitre xi, livre viii, seconde partie du tome i de l’« Histoire des plantes » de Johann Bauhin (Yverdon, 1650, v. note [13], lettre 297), sont consacrées aux diverses sortes de mannes (v. infra note [18]). Il commence par une longue section De Melle aero, manna, tereniabin et saccharo Alhuzar in genere [Sur le Miel aérien, la manne, le téréniabin, et le sucre alhuzar (ou alhasur) en général] (pages 180‑188), avec cette introduction qui donne son sens historique à la notion de miel aérien :

Diu multumque cogitavimus, quonam loco esset collocanda Manna : quam nostram dubitationem iniecerunt potissimum ii, qui Mel aërum existimant. Sed experientiæ tandem Clarissimorum Medicorum cedentes, atque potissimum insignis illius Altomari, statuentis ac docentis Mannam esse liquorem seu Lachrymam Fraxini et Orni, libuit hoc loco de ea in genere et specie tradere.

Incipiemus a verbis summi Philosophi Aristotelis sic scribentis de apibus : Construunt favos e floribus, cera ex lachryma arborum fingunt : Mella ex rore aëris, syderum ortu potissimum, et arcus cœlestis incubitu contrahunt. Omnino ante Vergiliarum exortum mel non fit. Favos itaque, ut dictum est, ex floribus faciunt, Mel ipsas non facere apes, sed rorem candentem deferre, argumento est, quod uno aut altero die cellas cera repletas inveniunt Apiarii.

[J’ai longtemps et beaucoup réfléchi sur l’origine de la manne, et ceux qui l’estiment être le miel aérien sont ceux qui m’ont inspiré le plus de doutes. Convaincu par les observations des médecins les plus célèbres, et surtout celles de l’illustre Altomari, {a} qui a établi et enseigné que la manne est le suc ou la larme du frêne et de l’orne, {b} j’ai trouvé bon d’en traiter ici de manière générale et particulière.

Je commence par les mots de l’éminent philosophe Aristote, écrivant à propos des abeilles : elles construisent leurs rayons de la cire qu’elles tirent des fleurs et les emplissent avec la larme qui provient des arbres ; elles recueillent surtout le miel au lever des étoiles, au coucher du soleil, en le tirant de la rosée de l’air ; elles n’en font aucun avant l’apparition des Pléiades ; {c} elles extraient des fleurs, peut-on dire, la substance de leurs rayons ; elles ne fabriquent pas le miel, mais transportent la rosée luisante ; la preuve en est que les apiculteurs trouvent d’un jour à l’autre que les rayons de cire s’en sont remplis].


  1. V. infra note [12].

  2. Orne : « nom vulgaire du frêne orne (oléacées), espèce qui produit un peu de manne, ainsi que plusieurs autres frênes [v. note [63], lettre latine 351]. On le nomme aussi frêne à fleurs » (Littré DLF).

  3. Les six ou sept Pléiades apparaissent dans la constellation du Taureau au début du printemps.

Aristote et les naturalistes de l’Antiquité croyaient bel et bien que les fleurs fournissaient seulement aux abeilles la cire de leurs rayons ; le miel qu’elles recueillaient tombait tout formé du ciel, quand sa configuration était favorable. Cette rosée était en même temps à l’origine du miel et de la manne dite des Arabes.

Dans sa définition du miel, Thomas Corneille (1694) le tenait surtout pour une base de médicament et s’aventurait seulement à mettre en doute cette explication céleste :

« Suc doux que les abeilles font de ce qu’elles recueillent sur les fleurs ou sur les feuilles des plantes et des arbres. Pline dit que le miel est toujours bon quand il est cueilli sur de bonnes et odorantes fleurs, tel que celui d’Athènes et de Sicile, des montagnes Hymettus et Hybla, et de l’île de Calydna. {a} Le bon miel, selon Dioscoride, doit être doux, aigu, odorant, roussâtre, matériel, pesant, gluant quand on le manie, et il ne doit point couler hors des mains. Il est abstersif, apéritif et attractif ; ce qui fait que l’on s’en sert aux ulcères sales et caverneux, et aux fistules. Il ajoute que le miel de Sardaigne est amer parce que les mouches à miel s’y paissent d’aluyne, {b} et qu’il est bon néanmoins à faire partir toutes sortes de taches du visage ; mais qu’en Héraclée du Pont, {c} en certains temps de l’année, les abeilles recueillent de quelques fleurs particulières une sorte de miel qui résout tout le corps en sueur et fait perdre le sens aux personnes qui en mangent. Il est fort aigu et fait éternuer seulement à le sentir. On appelle miel vierge, celui qu’on recueille des jeunes abeilles. Il est de couleur jaune tirant sur le blanc et on l’estime le meilleur de tous. Le miel rosat, {d} que les Grecs appellent rhodomeli, et les Arabes Celebiabin, déterge et restreint en quelque façon, à cause que l’astriction des roses tempère la chaleur et l’acrimonie du miel. Le miel violat sert à adoucir et à rafraîchir, et humecte davantage que le rosat. Le Miel anthosat, que l’on nomme ainsi à cause qu’il est fait de la fleur de romarin, appelée anthos par excellence, c’est-à-dire, fleur, corrige par sa chaleur toutes les intemperies froides des parties, déterge et incise la pituite, et dissipe les ventosités ; mais il faut que la fleur de romarin qu’on y emploie soit toute récente, parce qu’étant sèche, elle est sans odeur et ne peut, par conséquent, avoir aucune vertu. Il y a encore le miel mercurial, qui se fait du suc de mercuriale pris avec du miel en égale portion. Il déterge et purge la pituite crasse et on s’en sert seulement dans les lavements, surtout lorsqu’il s’agit d’irriter la faculté expultrice. Quant au miel commun, on l’emploie en le cuisant seul comme dans les suppositoires, où l’on s’en sert à confire certains médicaments, à cause qu’il est fort propre à conserver les électuaires et les antidotes où il entre.

Gassendi parle d’une espèce de miel qui se trouve quelquefois à la pointe du jour sur les feuilles de plusieurs sortes d’arbres, et qui semble n’être autre chose que de la rosée mêlée avec une certaine humeur visqueuse, semblable à du miel, qui transpire des feuilles des arbres comme une sueur, en sorte que la rosée soit comme la matière, et que ce qui transpire des feuilles tienne lieu de présure. {e} Il semble même, dit M. Bernier dans l’abrégé qu’il a fait de la doctrine de ce philosophe, que ce n’est point ce que les abeilles transportent dans leurs ruches, parce que nous ne les voyons point le matin, qui est le temps de cette rosée, avoir de l’empressement pour ces feuilles ; si bien que je croirais plutôt que ce miel, dont les abeilles sont amoureuses, s’engendrerait dans la surface des fleurs, sinon qu’on ne les voit point fort s’arrêter aux feuilles des fleurs, mais qu’elles pénètrent plutôt avec leur petite trompe dans le cœur et dans le centre des fleurs, où d’ordinaire il se trouve quelque chose qui tient de la douceur du miel. Mais quel que soit ce suc qu’elles rapportent, il est croyable qu’elles le sucent et le transmettent dans leur estomac, qu’une partie est changée en aliment, qu’une autre partie se convertit et se perfectionne en miel dans quelque endroit du corps propre et destiné pour cela, de la même façon que ce qui reste de l’aliment dans les animaux qui font du lait est converti en lait, et qu’enfin elles s’en déchargent chaque jour dans leurs petites maisons.

Selon Pline le miel vient de l’air, et surtout au lever de certains astres, même aux jours caniculaires, comme aussi un peu avant que les Pléiades paraissent, et toujours avant l’aube du jour ; {f} de sorte qu’en ce temps-là on trouve les feuilles des arbres toutes arrosées et chargées de miel. Même si quelqu’un se trouve à la campagne dans ce même temps, il sentira ses habits et ses cheveux comme engraissés de miel ; soit que cette sorte de miel soit quelque excrément des astres ou une sueur du ciel, ou le jus de l’air qui se purifie. »


  1. Ces montagnes correspondent au mont Hymette, en Attique, et à l’Etna, en Sicile. Calydna est l’une des îles Sporades en mer Égée, mais dont l’identité géographique exacte est aujourd’hui incertaine.

  2. Absinthe.

  3. Ville de Bithynie, sur la rive méridionale du Pont-Euxin (mer Noire).

  4. Ce miel et ceux qui suivent ne tiraient pas leur nom de la fleur où les abeilles les avaient butinés, mais des sucs de fleurs auxquels on les mélangeait pour en moduler les vertus pharmaceutiques : rose, violette, romarin, mercuriale (genre d’euphorbe).

  5. Ferment.

  6. Les jours caniculaires couvraient la période du 24 juillet au 26 août.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits : Leçons de Guy Patin au Collège de France (2) : sur la Manne, note 5.

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(Consulté le 18/04/2024)

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