Cette conclusion désenchantée sur la moralité féminine est précédée du renvoi à deux auteurs chrétiens de l’Antiquité qu’on lit à l’identique dans Moréri (v. supra note [5]) :
« Tertullien et saint Jérôme se servent souvent de l’exemple de Lucrèce pour persuader la pureté aux femmes chrétiennes. »
- Tertullien, {a} De Exhortatione castitatis [Exhortation à la chasteté], chapitre xiii :
Erunt nobis in testimonium et feminæ quædam sæculares ob univiratus obstinationem famam consecutæ ; aliqua Dido, quæ profuga in alieno solo, ubi nuptias regis ultro optasse debuerat, ne tamen secundas experiretur, maluit e contrario uri quam nubere ; vel illa Lucretia, quæ etsi semel per vim et invita alium virum passa est, sanguine suo maculatam carnem abluit, ne viveret iam non sibi univira. Plura exempla curiosius de nostris invenias, et quidem alteris potiora, quanto maius est vivere in castitate quam pro ea mori. Facilius animam ponas quia bonum amiseris, quam vivendo serves ob quod emori malis. Quanti igitur et quantæ in ecclesiasticis ordinibus de continentia censentur, qui Deo nubere maluerunt, qui carnis suæ honorem restituere, quique se iam illius ævi filios dicaverunt, occidentes in se concupiscentiam libidinis, et totum illud quod intra paradisum non potuit admitti ! Vnde præsumendum est hos qui intra paradisum recipi volent tandem debere cessare ab ea re a qua paradisus intactus est.
« Au dernier jour, les femmes idolâtres qui ont acquis la gloire pour avoir persisté dans le veuvage s’élèveront contre nous : une Didon, reine fugitive sur un sol étranger, qui aurait dû aspirer à épouser un monarque, mais qui, pour ne pas connaître deux hymens, aima mieux se brûler que de se marier ; {b} une Lucrèce, qui, ayant subi une seule fois, malgré elle et par violence, les embrassements d’un étranger, lava dans son sang les souillures de la chair, ne voulant plus vivre du moment qu’elle n’appartenait plus à un seul homme. Je trouverais chez les nôtres un plus grand nombre d’exemples, et même d’autant plus louables qu’il est plus facile de vivre dans la chasteté que de mourir pour elle, c’est-à-dire de vivre avec ce bien plutôt que de s’en séparer par la mort. Que de saints personnages, que de vierges dans les ordres ecclésiastiques qui sont voués à la continence, qui ont préféré épouser Dieu seul, qui ont réhabilité l’honneur de leur chair, et qui se sont montrés d’avance les fils du siècle à venir, en retranchant au fond d’eux-mêmes la convoitise de la passion et tout ce qui ne peut entrer dans le paradis ! Il faut conclure de là que tous ceux qui veulent entrer dans le paradis doivent enfin s’abstenir de tout ce qui n’y entre pas. » {c}
- V. note [9], lettre 119.
- V. note [23], lettre 551, pour le suicide de Didon, chanté par Virgile.
- Traduction d’Antoine-Eugène de Genoude, 1852.
- Saint Jérôme, {a} Contra Jovinianum [Contre Jovinien (moine hérétique du iiie s., que Jérôme surnommait Epicurus Christianorum, « l’Épicure des chrétiens »)], livre i, chapitre iii, Virginitas apud Ethicos principatum tenuit [La virginité a joui du premier rang de considération chez les païens] :
Ad Romanas feminas transeam, et primam ponam Lucretiam, quæ violatæ pudicitæ nolens supervivere, maculam corporis cruore delevit. […] Sentio in catalogo feminarum multo me plura dixisse, quam exemplorum patitur consuetudo, et a lectore erudito juste posse reprehendi. Sed quid faciam, quum mihi mulieres nostri temporis Apostoli ingerant auctoritatem, et necdum elato funere prioris viri, memoriter digamiæ præcepta decantent ? Ut quæ Christianæ pudicitiæ despiciunt fidem, discant saltem ab Ethnicis castitatem.
« Je passe aux femmes romaines, et je placerai en première ligne Lucretia qui, ne voulant pas survivre à sa pudeur violée, effaça dans le sang la tache de son corps. (…) Je m’aperçois que, dans le catalogue des femmes, j’ai dit beaucoup plus de choses que n’en souffre la coutume des exemples, et que je puis être blâmé à bon droit par un lecteur instruit. Mais que faire lorsque les femmes de notre temps m’apportent l’autorité de l’Apôtre, {b} et que les funérailles de leur premier mari n’étant point encore achevées, elles me chantent par cœur les préceptes sur la bigamie ? Que celles qui dédaignent la foi de la pudicité chrétienne apprennent du moins des gentils {c} la chasteté ! » {d}
- V. note [16], lettre 81.
- Ingerant aurait pu mieux se traduire par « m’opposent à », car saint Paul écrit (Première Épître aux Corinthiens, 7:9) :
« Je dis toutefois aux célibataires et aux veuves qu’il leur est bon de demeurer comme moi ; mais s’ils ne peuvent se contenir, qu’ils se marient : mieux vaut se marier que de brûler. »
- Les païens.
- Traduction de François-Zénon Collombet, 1842 (sauf pour le titre).
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