À Claude II Belin, le 15 mai 1641, note 8.
Note [8]

Les médecins de la Faculté de Paris étaient alors en grand émoi contre Théophraste Renaudot : muni d’une solide immunité royale, non seulement ce docteur de Montpellier exerçait sans leur autorisation la médecine dans leur propre territoire d’exclusivité en employant des remèdes chimiques qu’ils réprouvaient ; mais aussi il s’autorisait à leur donner des leçons de charité et de désintéressement.

Le ton de la dispute s’aigrissait sérieusement. Aux Consultations charitables pour les malades. Dédiées à Monseigneur de Noyers, secrétaire d’État (Paris, Bureau d’adresse, 1640, in‑4o de 12 pages ; avec à la fin, pages 11‑12, les lettres patentes du roi transcrites dans la note [7] supra) de Théophraste Renaudot, alors au faîte de sa gloire, avait répondu la Défense de la Faculté de médecine de Paris, contre son calomniateur, dédiée à Monseigneur l’Éminentissime cardinal-duc de Richelieu (Paris, sans nom, 1641, in‑4o de 60 pages), signée par « les très humbles, très affectionnés et très obéissants serviteurs, les doyen et docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris », et rédigée (selon Guy Patin) par René Moreau. Une citation biblique se trouve en exergue du titre, Responde stulto iuxta stultitiam suam, ne sibi sapiens esse videatur (Proverb. 26) [Réponds à l’insensé selon sa folie, de peur qu’il ne se figure être sage (Proverbes, 26:4)], que Patin a reprise quelques phrases plus loin (vinfra note [11]).

Y répliquait alors la Réponse de Théophraste Renaudot au libelle fait contre les consultations charitables pour les pauvres malades (Paris, Bureau d’adresse, 1641, in‑fo de 91 pages), qui commence par ces mots amers et railleurs (page 3) :

« Que les esprits à qui j’ai à faire sont malaisés à contenter ! Tandis que je fais servir de relâche {a} à mon emploi dans la médecine quelques autres exercices utiles au public, ils me blâment de ne m’adonner pas entièrement à cet art ; et lorsque je le veux exercer, même pour les pauvres, ils s’y opposent. Mon zèle me les rend ennemis. Ils ne me permettent pas de donner mon bien, mon temps et mon industrie sans procès. Ma charité, en un mot, leur est criminelle. Voyant ces mauvais effets d’une si bonne cause, si je me veux accorder à tout ce qui sera trouvé honnête aux deux parties, ils ne le veulent pas. Si je me défends et rends raison de mon droit à mes juges, un de ces esprits malades de la démangeaison d’écrire vomit sa bile sur du papier, en gardant néanmoins encore assez sur son visage olivâtre pour le faire appeler picrochole. {b} Mais pource qu’il cèle son autre nom dans la foule de ses compagnons, j’ai trouvé à propos de ne le nommer pas en la consultation que je vais faire pour le guérir. »


  1. Distraction.

  2. V. note [10], lettre 435.

Pour la citation biblique, Renaudot y rétorque vertement (page 11) :

« Dès la première page de son livre, il m’appelle sot, faisant montre de ce passage des Proverbes, Responde stulto iuxta stutitiam suam ne sibi sapiens esse videatur ; auquel passage il me permettra de satisfaire par de plus sages et meilleures réponses que ses objections, en exécutant le verset précédent du même chapitre 26 des Proverbes : Ne respondeas stulto iuxta stutitiam suam, ne et tu quoque par ei fias. {a} Car, puisqu’il m’attaque d’armes si communes qu’est ce passage-là, je ne lui en veux pas pour l’heure opposer d’autres pour me défendre. »


  1. « Ne réponds pas à l’insensé selon sa folie, de peur de lui devenir semblable, toi aussi » (26:4).

Sur les consultations charitables, Renaudot se fait gentiment menaçant (pages 14‑15) :

« Voire s’il s’agissait de quelque autre chose que de la charité qui ne se veut point être bornée, et que je tinsse de l’humeur litigieuse de mes parties, je serais bien fondé à leur faire payer l’amende de six mille livres à laquelle sont condamnés tous ceux qui imiteront mes inventions comme ils ont fait : puisqu’il se justifie qu’il n’y a que deux ans qu’ils commencent de consulter pour les pauvres, et il y en a plus de dix que je le pratique chez moi, comme je leur fais voir par mes livres lors publiés, outre lesquels plus de dix mille personnes peuvent déposer qu’on n’a jamais renvoyé de chez moi aucun pauvre malade sans assistance gratuite, et nommément que dès l’an 1634 et 35 il s’assemblait en ma maison grande quantité de médecins qui exerçaient la même charité qui s’y fait à présent ; là où les médecins du Collège de Paris ne sauraient justifier la charité de leur École, sinon depuis deux ans ; encore n’était-ce qu’une pure formalité sans effet, ne s’y trouvant aucun malade. Aussi n’avaient-ils été mes imitateurs qu’à demi ; mais aujourd’hui qu’ils ont fait publier et afficher qu’ils ne donneraient pas seulement leurs conseils aux pauvres malades, mais aussi, à notre exemple, de quoi les exécuter, comme il faut espérer qu’ils auront plus de malades, aussi doivent-ils ingénument reconnaître qu’ils sont mal fondés à impugner {a} par écrit notre charité, puisqu’ils l’imitent en effet. »


  1. Attaquer.

Parlant de René Moreau, natif de Montreuil-Bellay en Anjou (v. notule {d}, note [53] du Borboniana 7 manuscrit), Renaudot dit, page 60 :

« N’a-t-il pas bonne grâce après cela d’appeler Étrangers de meilleurs Français que lui ? entre lesquels plusieurs sont originaires de cette ville, ce qu’il n’est pas, mais du pays dont les clercs boivent mieux qu’ils n’écrivent. »

La fin (pages 89‑91) parle du Samaritain (v. note [18], lettre 488) :

« Mais notre Seigneur Jésus-Christ vide la question dans saint Luc au chap. 10, où parlant du voyageur qui avait été laissé presque mort par les voleurs, il dit que le prêtre et le lévite passant là sans se détourner de leur chemin pour l’assister, un Samaritain aussi passant fut ému de compassion de sa misère, et ayant mis pied à terre, s’approcha de lui, banda ses plaies, après y avoir versé du vin et de l’huile, le mit sur son cheval, le mena à l’hôtellerie où il le fit panser, et s’en allant le matin, laissa de l’argent à l’hôte pour en avoir soin, s’obligeant à lui payer le reste à son retour. Sur quoi Notre Sauveur ayant demandé lequel des trois est le prochain de ce pauvre blessé, on lui répond, et il l’approuve, que c’est le Samaritain, et non pas le prêtre ni le lévite. Sans doute que Messieurs les docteurs de Paris eussent mis en procès le Samaritain, comme ils y tiennent aujourd’hui les médecins qu’ils appellent externes, pour avoir été si hardi que de venir prendre le soin d’un malade de leur ressort ; et je m’assure qu’ils trouveront quelque chose à reprendre aux médecins juifs de ce temps-là, possible en ce prêtre et en ce lévite, d’avoir souffert cette infraction de leurs privilèges. Mais s’ils s’en fussent voulu tenir au jugement de Notre Seigneur, le Samaritain eût payé les épices, {a} puisque cette seule action de charité qu’il exerce le fait déclarer prochain, plutôt que les autres qui se vantaient d’être de la nation sainte et de la sacrificature royale. Et il semble véritablement que cette histoire soit un tableau de l’affaire dont il s’agit à présent : que le prêtre et le lévite soient Messieurs nos maîtres de l’École de Paris qui étaient prêtres et religieux il n’y a pas longtemps ; que le Samaritain, plus charitable qu’eux, représente les docteurs en médecine des autres Facultés, qui entreprennent non seulement le soin du pauvre malade abandonné, mais le visitent, pansent et bandent ses plaies ; qui plus est, mettent la main à la bourse pour lui fournir ses nécessités. Il ne reste plus que de prononcer, comme Dieu fit dès ce temps-là, et comme il fait encore à présent par la voix du peuple, qui est la sienne, au profit de leur charité. »


  1. Les honoraires des juges.

Le Manuscrit inédit de Guy Patin contre les consultations charitables de Théophraste Renaudot procure de nombreux développements complémentaires sur le contenu de la Défense de Moreau et sur la Réponse qu’y opposa Renaudot.

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Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 15 mai 1641, note 8.

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(Consulté le 19/03/2024)

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