Texte
Jean Pecquet
Dissertatio anatomica
de circulatione sanguinis
et motu chyli
(1651)
Chapitre v  >
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Pour une part, le sang artériel se déverse dans les veines par l’intermédiaire de synanastomoses ; pour une autre partie, il sort du vaisseau par des anastomoses puis se réfugie dans les veines[1][1][2]

Après avoir démontré que le sang circule du cœur au cœur, il est légitime que, sur l’exemple de ceux qui ont bien mérité de la république anatomique, et avec tout autant d’attention que nos prédécesseurs, nous scrutions les méats qui le font passer des artères dans les veines. [2][3]

La majorité pense que les ramifications extrêmes des artères [4] s’insèrent sur les sommets des entonnoirs que forment les veinules ; [5] mais la finesse des terminaisons vasculaires fait obstacle au regard, même aidé du microscope. [3][6] Il n’est ni utile de s’appuyer sur un avis ni suffisant de le contester.

Ils affirment que, dans le foie, [7] l’air qu’on souffle dans la veine porte [8] pénètre dans les branches de la cave qui lui sont unies ; [9] et que, dans le poumon, l’aval du tronc de la veine artérieuse [10] communique avec les toutes premières ramifications de l’artère veineuse[11]

J’ai assurément tenté l’expérience à maintes reprises dans le foie, mais sans résultat probant, ce qui me laisse penser qu’ils se trompent.

Dans le poumon, j’ai certes observé que s’ouvrent des entonnoirs qui créent des synanastomoses entre ses vaisseaux.

Un jour que je m’appliquais à examiner la veine artérieuse après l’avoir dégagée de ses enveloppes, j’observai qu’un [Page 39 | LAT | IMG] nombre non négligeable d’attaches l’ancrent et l’unissent fermement à l’artère veineuse. J’y introduisis un chalumeau et soufflai dedans pour voir si elle est reliée au cœur : [12] sans tarder, l’air, en s’y glissant, rendit visibles les vaisseaux affaissés par l’absence de sang et, après s’être déployé jusqu’aux extrémités des veines capillaires, il chemina à l’intérieur de l’artère veineuse, me procurant un argument visible en faveur d’anastomoses. Je n’ai ainsi exploré que le poumon, et n’en conclus pas qu’il en va de même dans le foie et dans les poumons.

J’avouerai pareillement avoir trouvé des synanastomoses intermédiaires qui s’ouvrent ici et là pour permettre au sang de s’épancher. Cela prouve qu’existent par endroits des adhérences intimes entre les veines et les artères, qu’il est impossible de séparer sans les déchirer ; mais à mon avis, il est inepte d’admettre l’existence d’anastomoses là où veines et artères ne sont pas au contact les unes des autres. J’affirmerais même plutôt que, en passant par les ouvertures qui franchissent la clôture des artères, une partie du sang déborde pour s’infiltrer dans les chairs, en sorte que ce qui a atteint une digestion complète s’y répand pour les nourrir ; tandis que tout ce qui est moins digéré, ainsi que le sérum [4][13] plus fluide, s’échappe dans les veines, qui sont partout perméables du dehors en dedans.

De fait, si le sang qui s’écoule dans les vaisseaux n’en sortait nulle part, comment la taille du corps pourrait-elle croître et, si la substance de ses organes était soumise à la force d’un tel joug comment les gens affaiblis pourraient-ils maigrir jusqu’à devenir tabides ? [5][14]

Il y a certainement dans le sang quelque sorte de semence capable de réparer les dommages du corps, c’est-à-dire quelque substance fort bien digérée qui a pour fonction ordinaire de souder son épaisseur fibreuse. Quand du sang tiré des membres est plongé dans de l’eau tiède, après que son sérum et sa couleur s’y sont dispersés, une concrétion charnue tombe au fond du récipient, sous la forme d’un sédiment membraneux cerné de filaments blanchâtres. [15] [Page 40 | LAT | IMG] Une substance compacte semble donc bien capable d’assurer la solidité du corps. Il s’agit d’un résidu qui soit émane de ses parties repues, soit passe directement des artères dans les veines, au niveau des synanastomoses qui les joignent, et qui retourne dans la marmite du cœur. [6][16]

Ne va pourtant pas penser que ces fibres, que les sens perçoivent dans le sang, soient la seule matière capable de nourrir les parties car, dans le sérum plus fluide, qu’on dit être le véhicule du sang, se trouve une faculté propre à épaissir. Je n’en ai pas jusqu’ici reconnu la nature, mais si tu en es au même point que moi, fie-toi à l’expérience que voici : quelques heures après une saignée, [17] recueille le sérum clair qui abonde dans la coupelle, au-dessus du sédiment sanguin ; en l’inclinant, déverse-le dans un autre récipient, puis expose-le à la flamme ; et alors, comme moi, tu demeureras vraiment interdit devant l’effet admirable de sa vertu fermentative, car à peine l’auras-tu soumis au feu qu’il se solidifiera en une sorte de beignet, que tu dirais être comme du blanc d’œuf cuit. Jusqu’alors, la couleur et la fluidité de ce sérum m’avaient persuadé que sa nature était semblable à celle de l’urine ; mais elle est plus trouble que lui et s’éclaircit quand on la chauffe, sans d’ordinaire jamais former le moindre agrégat. Tu en déduiras comme moi que cette force consolidante (bien qu’elle échappe aux sens) est propre au véhicule du sang, et qu’elle fait défaut dans les urines et ne s’échappe donc pas avec elles dans la vessie. Le sérum coagule à la flamme de la même façon qu’un liquide parfaitement limpide s’agglutine en colle quand on y dilue de la farine. [7]

Afin que nul ne confonde le sens des mots synanastomoses et anastomoses, qui se ressemblent, j’appelle synanastomoses les ouvertures qui joignent les artères aux veines, et permettent au sang de s’écouler des unes dans les autres ; et anastomoses, les rejetons ultimes des artères qui permettent au sang de s’épancher dans les entonnoirs des veines qui le recueillent. [1]

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Résolution des objections contre l’extravasation du sang.

J’entends néanmoins qu’on se récrie contre la présomption que le sang artériel est plus délié car, diras-tu, pourquoi, après qu’il a traversé les chairs, celui que charrient les veines est-il plus épais ?

Avec profonde stupéfaction et pour de bonnes raisons, je m’étonnerais fort, comme toi peut-être, qu’un tel épaississement soit injustifié, et que les artères puissent renvoyer dans les veines la totalité du sérum qu’elles contiennent, et un sang de chaleur inchangée, sans que la décrépitude d’une chair languissante ne l’ait corrompu. [8][18] Nul ne doute en effet que le sérum artériel se retire pour partie dans les reins, se répand pour partie dans les chairs et se dissipe pour partie en transpiration insensible. [9][19] Bien que les parois des artères, par leur épaisseur et leur voisinage avec l’esprit vital, permettent de conserver la chaleur, elle est affaiblie par la froidure des parties spermatiques et s’attiédit progressivement à mesure que le sang s’éloigne du cœur. Ajoutez à cela que : les méats des pores offrent des issues aisées pour ce qui doit s’exhaler ; les chairs croissent sous l’effet de l’aliment et dépérissent sous l’effet du jeûne ; fatigue et vigueur alternent au cours d’un jour, tout comme la faim et la satiété. [10][20][21] Ce qui s’unit aux chairs à un instant donné s’y périme rapidement pour être remplacé par l’abondance d’aliment qui afflue constamment : ce qui avait été uni par l’insulte du froid est désuni et intercepté par l’arrivée de l’écoulement chaud, pour rebrousser chemin et regagner son officine pour y être recuit. [11][22]

Pourquoi s’étonner que le sang artériel, par les composants de sa substance, surpasse celui des veines, dont le sérum est affaibli, la chaleur atténuée, et la pureté altérée par le mélange de déchets venus des chairs modifiées ? [23]

Et tu ne seras pas plus sage en m’objectant qu’il se [Page 42 | LAT | IMG] corrompt inévitablement en débordant hors des vaisseaux. Du sang sorti de l’enclos des artères va errant et déborde partout dans le corps, comme en attestent la croissance de l’animal, la rougeur que la honte fait monter au front, ou celle qui entoure les gonflements inflammatoires. [24] Bien d’autres maladies le démontrent aussi en provoquant une vive pâleur temporaire au décours d’une saignée. [12][25]

L’étroitesse des veines est seule capable d’interrompre l’écoulement du sang, quand elles se resserrent au-delà du calibre qui le permet ; si le ralentissement dure trop longtemps, les déchets retenus provoqueront une souillure, source de diverses maladies selon la plus ou moins grande malignité des humeurs qui y domineront. Ainsi un phlegmon sanguin [26] apparaît-il quand la chaleur augmente excessivement. [13] S’il n’a pas été éliminé par la sueur ou exhalé par la transpiration insensible, tu verras un sérum trop riche produire l’hydropisie, [27] ou se résoudre parfois en rhumatisme ; [28] tu verras la pituite se corrompre en œdème, [29] la bile bouillonner sous la forme d’un érysipèle, [30][31] et la mélancolie se consolider sous celle d’un squirre. [32][33]

Suivant le même phénomène, le sang lui-même s’agrège en pleurésie [34] car, quand le froid envahit soudainement les parties internes, il repousse intempestivement la chaleur plus vive de la respiration et contracte soudainement les veines intercostales, qui peinaient déjà à suffire pour évacuer le sang. Il s’accumule alors sous l’effet des systoles cardiaques et du mouvement fort impétueux des artères ; il comprime alors les vaisseaux et, s’il s’y attarde trop longtemps, s’en échappe pour pénétrer dans les chairs et y décanter sous forme de sérosité quand la saignée n’y remédie pas. [14]


1.

Pour Jean Pecquet, le substantif anastomose, emprunté au grec, anastomôsis (αναστομωσις), « ouverture, embouchure », désignait les jonctions entre les capillaires artériels et veineux. Ce mot appartient toujours au langage médical, où il désigne aussi ce qu’il n’appelle plus synanastomose : dérivé du verbe réfléchi synanastomoô (συναναστομοω), « s’emboucher, s’anastomoser », il correspond aux communications (anastomoses) artérioveineuses ou shunts, auxquelles Pecquet donnait une fréquence et des fonctions imaginaires (v. infra note [5]) ; il n’en subsiste, en pathologie (congénitale ou acquise), que les anévrismes artérioveineux.

2.

Jean Pecquet s’attaquait au maillon qui manquait encore à la circulation de William Harvey : ses expériences fonctionnelles (garrottages chez l’être vivant) avaient prouvé qu’aux extrémités du réseau vasculaire le sang passe des artères dans les veines, mais il n’avait ni exposé les modalités exactes de cette communication, ni mis au jour les structures anatomiques qui la permettent, en dépit de tous les efforts qu’il avait vainement déployés pour y parvenir (v. note [27], première Responsio de Jean ii Riolan, 6e partie).

Marcello Malpighi a le premier démontré l’existence matérielle des capillaires sanguins en 1661, dans le poumon de la grenouille : vnote Patin 19/8009.

3.

Pour résumer la riche histoire du microscope, je me contenterai de la définition qu’en a donnée Antoine Furetière :

« C’est une lunette qui sert à découvrir les moindres parties des petits corps de la nature, parce qu’elle grossit les objets extraordinairement. Il s’en fait de plusieurs façons, les uns avec quatre verres qui ont un tuyau long d’un pied ; {a} d’autres avec une petite lentille grosse comme une tête d’épingle qui font un fort bel effet. L’inventeur du microscope est le même que celui qui a inventé le télescope, appelé Zacharias Jansen ou Joannides ; {b} on attribue à M. Huygens {c} l’invention de celui qui est fait avec une petite lentille, et néanmoins on trouve que le Père Maignan, minime, en a parlé longtemps auparavant dans le 4e tome de son Cours philosophique, etc. » {d}


  1. Environ 32,4 centimètres.

  2. Zacharias Jansen (« fils de Jean », Joannides en latin, vers 1588-vers 1631), lunetier à Middelbourg (Zélande), est le premier inventeur contesté du microscope car Galilée l’aurait précédé en 1609 ; le drapier hollandais Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723) l’a introduit dans les études anatomiques.

  3. L’astronome et physicien Christiaan Huygens (La Haye 1629-1695).

  4. Dans le tome iv de son Cursus philosophicus… (Toulouse, Raymundus Borsc, 1653, in‑8o), Emmanuel Maignan, moine, philosophe et mathématicien français (Toulouse 1601-1676), n’a pas parlé du microscope, mais évoqué l’existence du monde microscopique (chapitre xxv, page 2060).

Au moment où Jean Pecquet écrivait son livre, la microscopie anatomique n’en était encore qu’à ses balbutiements, limitée à l’emploi de simples loupes grossissantes. Une des premières éminentes contributions du véritable microscope aux progrès de l’anatomie a été la découverte des capillaires sanguins par Marcello Malpighi en 1661 (v. note [2], Dissertatio anatomica, chapitre v).

4.

Sérum et plasma sont les deux noms qu’on donne à la partie liquide du sang, selon qu’il a ou n’a pas préalablement coagulé (vnote Patin 33/1037). Dans un récipient (in vitro), il surnage au-dessus des cellules du sang (globules dont l’existence était alors inconnue), emprisonnées dans le caillot cruorique (rouge), distinct du caillot fibrineux (blanc) décrit dans la note [6] infra.

Riche en protéines principalement produites par le foie, le sérum est un liquide vital dont le volume et la composition minérale sont équilibrés par les reins, et qui véhicule les substances nutritives (protides, lipides, glucides), auxquelles s’ajoutent de multiples autres, qui contribuent aux fonctions immunes et hormonales.

5.

Tabide est l’adjectif qui qualifie les personnes atteintes de tabès, c’est-à-dire de cachexie (autrement nommée phtisie ou consomption, vnote Patin 3/66).

Jean Pecquet ne se trompait pas en pensant que les échanges entre le sang et les tissus sont indispensables aux variations de la corpulence, quel qu’en soit le sens. Toutefois, il refusait de croire que les capillaires qu’il avait mis en évidence dans les poumons s’étendaient à tout l’organisme, et assuraient seuls les transferts vitaux nécessaires à son équilibre. Il prenait les adhésions étroites qui peuvent exister entre les veines et les artères pour des anastomoses chargées d’y pourvoir (v. supra note [1]). De telles communications n’existent normalement que dans le réseau vasculaire cutané et contribuent à la régulation de la température corporelle. La dispersion et les fonctions que Pecquet leur imaginait, quant à la qualité du sang qui les empruntait, étaient fictives.

6.

Jean Pecquet décrivait à la fois l’hémolyse du sang au contact de l’eau (éclatement osmotique des hématies et libération de l’hémoglobine qui les colore en rouge) et la formation du caillot de fibrine (coagulation du fibrinogène soluble en fibrine insoluble). Ces deux réactions surviennent spontanément in vitro (hors du corps, dans un récipient en verre), mais se produisent aussi in vivo : lors de certaines anémies pour l’hémolyse ; lors de l’hémostase, de la thrombose et de l’inflammation pour la formation de fibrine.

Les tâtonnements de Pecquet sur le rôle des protéines dans la solidité du corps ne manquaient pas de quelque pertinence, mais accordaient à la fibrine le rôle qui est dévolu aux diverses variétés du collagène (mot créé durant la seconde moitié du xviie s.). Pecquet va parler plus loin de la colle, qui a donné son nom à cette substance, sans recourir au mot « gelée » qui la désignait alors dans le langage culinaire, pharmaceutique ou botanique (Furetière).

7.

Tout ce paragraphe est une addition à l’édition de 1651 et relate des expériences que Jean Pecquet a dû réaliser ultérieurement.

Le chauffage du sérum (v. supra note [3]) provoque sa floculation, ou formation d’un précipité composé de sels, de protéines, de lipides et de cristaux. Pecquet comparait ce conglomérat à une « sorte de beignet » (laganum) et croyait, sans avoir entièrement tort, qu’il représentait l’énergie nutritive véhiculée par le sang (qui est une partie de son « esprit animal »), en comparant hardiment son apparition à la coagulation du blanc d’œuf. Le gluten qui transforme la farine en colle quand on la dilue a certes quelque parenté chimique avec le collagène (v. supra note [6]), mais cette allusion est probablement fortuite dans l’ingénieux esprit de Pecquet, bridé par des notions qui ne se sont que lentement éclaircies durant les siècles suivants. Bien au delà du chyle, il était habité par une louable rage de découvrir et de comprendre.

8.

Jean Pecquet introduisait la distinction entre chaud et froid, qui jouait un rôle central dans l’ancienne médecine, héritée d’Hippocrate. Sans référence à la température thermométrique, qu’on ne mesurait pas alors ailleurs que dans un laboratoire (v. note [25], Dissertatio anatomica, chapitre iv), ces notions étaient liées au tempérament des parties du corps, c’est-à-dire à la qualité et à la quantité des humeurs qui y dominaient (vnote Patin 4/9042) : froides pour la pituite et la bile noire (atrabile ou mélancolie), mais chaudes pour le sang et la bile jaune ; ainsi le cœur (où s’accumulait le sang) était-il la partie la plus chaude et le cerveau (où s’accumulait la pituite), la plus froide (v. note [17], Brevis Destuctio, chapitre v).

Engluée dans cette fumeuse conception calorique, la logique voulait que le sang se rafraîchît quand il passait des artères dans les veines, après avoir traversé les anastomoses (capillaires) de « chairs » (tissus) que leur fonctionnement (métabolisme) avait refroidies et affaiblies.

Il vaut néanmoins la peine de lire toutes ces vieilleries avec la plus grande attention : v. infra note [11] pour la lumineuse intuition de l’hématose que le chaud et le froid ont inspirée à Pecquet.

9.

Vnote Patin 3/923 pour les deux sortes de transpiration des humeurs, sensible et insensible.

Les notions de filtration rénale du sang, pour former l’urine, et d’épanchement tissulaire du sérum, pour former le liquide interstitiel (dont l’excédent engendre la lymphe alors assimilée à la pituite), appartiennent toujours à la physiologie moderne.

10.

La chaleur innée, ou native, était tenue pour la source de toute vie animale, essentiellement produite par le cœur (v. notule {a}, note Patin 14/150) et véhiculée par le sang (esprit vital). En simplifiant, on pourrait l’assimiler à la faculté que la physiologie moderne attribue à l’oxygène.

L’argumentaire de Jean Pecquet, aujourd’hui difficile à suivre, tend à prouver que ladite chaleur, véhiculée et conservée par le sang artériel, contraste avec la froideur des parties périphériques, d’où le sang veineux revient au cœur. Ce froid est tout spécialement marqué dans les parties génitales masculines, car on savait déjà que la formation du sperme dans les testicules exige une relative fraîcheur. En allant plus loin, Pecquet et ses contemporains pensaient que les variations régionales et temporelles de l’équilibre entre le chaud et le froid réglaient la vie du corps et les envies qu’il éprouve, comme celles de manger ou de dormir.

La chaleur corporelle se dissipait aussi par les pores, dont Thomas Corneille {a} a donné cette instructive définition :

« “ Petit trou, ouverture presque imperceptible dans la peau de l’animal, par où se fait la transpiration, par où sortent les sueurs et par où les vapeurs s’exhalent ” (Académie française). Outre les pores de la peau qui partent de chaque petite glande, {b} il y a d’autres pores moins visibles, mais qui distillent beaucoup de lymphe, quand on presse la peau après en avoir ôté la surpeau. Ce sont les orifices des artères capillaires qui, étant corrodés {c} ou relâchés par quelque médicament âcre, ramassent la liqueur en manière de vessies. Il y a de troisièmes pores, savoir les points indivisibles du corps qui est tout transpirable, par où s’exhalent les plus petites vapeurs, et celles que la solidité ne peut retenir. On a remarqué que ceux qui ont les pores ouverts vont moins souvent à la selle que ceux qui ont le cuir épais. La raison est que les derniers transpirant peu, ce qui est retenu se précipite en en-bas, d’où vient que cette habitude du corps les rend sujets à la diarrhée. […] Ce mot est grec poros, passage, de peirein, passer. »


  1. Frère cadet du dramaturge Pierre Corneille, auteur du Dictionnaire des arts et des sciences (1694).

  2. Les pores des glandes sudoripares et sébacées de la peau sont les seuls qui ont résisté aux progrès de la médecine. En anatomie humaine, le mot sert encore aussi à nommer les petits orifices de certains organes internes : les textes de notre édition mentionnent ceux de l’intestin grêle, du foie, de la rate, de l’estomac ou de la vessie.

  3. Rongés, érodés.

11.

Sans être exagérément complaisant, il est difficile de ne pas voir ici un pressentiment de l’hématose moderne (c’est-à-dire distincte de la sanguification à qui on donnait jadis ce nom, v. note [2], Experimenta nova anatomica, chapitre i) :

Charles Le Noble a exposé plus clairement encore la même intuition dans sa lettre à Jean ii Riolan, 1re partie (v. sa note [9]).

12.

Du sang proprement dit ne s’épanche dans les tissus qu’après une rupture vasculaire, spontanée ou traumatique. Les phénomènes que Jean Pecquet mettait en avant sont les effets visibles de la vasomotricité qui est assurée par les petites artères de la peau : rougeur de la vasodilatation, pâleur de la vasoconstriction.

13.

Jean Pecquet se méprenait encore en dotant les veines d’un pouvoir vasomoteur : c’est la constriction des artères qui peut interrompre la circulation du sang dans un tissu.

Vnotes Patin 6/1446, pour l’inflammation (fluxion ou phlegmasie) et sa tétrade, dite de Celse (rougeur, gonflement, chaleur et douleur), et 14/8009, pour les phlegmons, dont la nature était tenue pour sanguine.

14.

Ce bouquet final cherche à lier pêle-mêle nombre de maladies dites internes (sans y mentionner les fièvres) aux perturbations de la circulation sanguine, mais sans renoncer aux canons de la médecine humoriste, dont les derniers éclats ont brillé au début du xixe s. ; v. notes Patin :

Il est moins sage d’en rire que de se demander ce qu’on pensera de notre médecine dans quatre siècles.

a.

Page 38, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

Caput v.

Arteriosum sanguinem Partim per Synanastomoseis
in Venas elutriari ; partim per Anastomoseis ex-
travasatum in Venas demum refugere
.

Demonstrato Sanguinis in cor à corde
circulo, æquum est et eorum exemplo,
qui bene de Anatomicâ Republicâ me-
riti sunt, ejusdem ab Arteriis in Venas
meatus æmulâ superioribus perscrute-
mur indagine.

Opinantur plurimi Arteriarum extremos apices
summis inseri venularum infundibulis. Sed vasculo-
rum in extremis exilitas nullis oculis, ne Microscopio
quidem instructis, obnoxia nec stabiliendæ senten-
tiæ prodest, nec sufficit impugnandæ.

Asserunt et radicibus in Iecur à Portâ inspiratum
halitum conjunctos cavæ subire ramos ; et in pulmo-
nem à trunco venæ arteriosæ, in extremas sese Arte-
riæ venosæ propagines insinuare.

Tentavi certè pluries in Iecore, sed irrito tamen
conatu experimentum ; dubium spiritûs in me defe-
ctu, an eorum errore.

In pulmone quidem expertus sum communia Sy-
nanastomoseωn inter ejudem canales hiscere infun-
dibula.

Quadam die studium fuit extricatam involucris
Arteriosam venam contemplari. Observo tum non

b.

Page 39, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

paucis amplexuum nexibus Arteriæ venosæ tenaci-
ter adhærescentem. An illam, quà cordi conseritur,
immissâ stipulâ spiro ; nec mora, sidentes defectu
Sanguinis canales serpens halitus instauravit, et ad
extrema capillarium venarum devolutus, indidem
in Arteriæ venosæ capacitem, evidenti sanè Syna-
nastomoseωn argumento, receptus est. Sed utcunque
sit exploratum in pulmone, non perinde tamen per
Hepar, musculósque ratum concludo.

Fatebor equidem reperiri alicubi Synanastomoseωn
intermedias elutriando Sanguini aperturas. Id cum
Arteriis per loca probat individua venarum cohæ-
rentia, et sine utrarumque lanienâ nunquam facilè
divortium. Sed ineptè, puto, quis Synastomoseis
admiserit, ubi nullum cum Arteriis venarum consor-
tium : Imò potiùs autumarim, per Anastomoseis ex-
tra Arteriarum claustra, transcolandam in carnes exu-
berare Sanguinis partem, ut inde, quod exactiori co-
ctione dispositum est, in similarium sidat nutrimen-
tum ; quidquid verò minùs digestum cum fluidiori
sero in venas, à foris in interiora circunquaque per-
vias, refugiat.

Nam si perpetuus intra vasa fluor nullum extra san-
guinem effundat, unde corporeæ molis augmentum
et, si sit in jugi motu corporearum partium substantia
unde tabidam fatiscentium maciem instaurari ?

Est profectò seminij quiddam in Sanguine resar-
ciendis idoneum damnis ; nempe quidquid coctius
in fibrosam solet coïre densitatem. Et verò, diffusis
per aquam (dum Sanguis ab artubus in tepidam ex-
pressus est) sero et colore, membranosi remanet in
pelvis fundo sedimenti fibris albicantibus carnea,

c.

Page 40, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

proindéque solidati corporis aptior spissitudo ; ni-
mirum, quæ vel saturatis partibus residua vel ex Arte-
riis in venas immediatè, Synanastomoseωn transva-
sata compendio, in cordis cacabum remeabat.

Nec eas solum fibras, quas sensus percipit in san-
guine existimes aptam nutriendis partibus materiam ; est
et in fluidiori sero, quod sanguinis vehiculum dicunt,
ad condensationem hactenus incognita mihi facultas,
quam si tu quoque nondum perspectam habeas, facili
fiet experimento fides. Accipe serum aliquot post phle-
botomiam horis, cum lympidum in vasculis subsi-
denti sanguini superfluit ; hoc si per inclinationem
in vas aliud effusum igni superposueris, mecum pro-
fecto virtutis fermentativæ stupebis effectum mira-
bilem ; vix priùs ignem senserit, quàm coïverit in la-
ganum, sicut diceres concocta ovorum albumina.
Huc usque serum ejusmodi non disparis esse naturæ
cum urinâ color et fluiditas mihi persuaserant ; at
urina etiam, quæ turbidior est, clarescit igne sup-
posito, nec in ullam unquam solet densitatem coa-
lescere. Atque hinc mecum inferes esse vehiculo
sanguinis, quæ urinas deficiat, vim (quamquam sen-
sum effugiat) densatoriam, quæ unà cum urinis in
vesicam non defluit. Ita hac igni superpositum spis-
satur coagulo ; Ita liquorem etsi lympidissimum in
collam farina conglutinat.

Ac ne quispiam Synanastomoseωn et Anastomoseωn
ex vocum similitudine munia confundat, Synasto-
moseis appello intermedias Arteriarum cum venis
cohærentium elutriando Sanguini aperturas ; Ana-
stomoseis autem Arteriarum extravasando Sanguini
emissaria, et venarum recolligendo infundibula.

d.

Page 41, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

Obiectiones adversus extravasationem
Sanguinis dissolvuntur.

Sed audio reclamantem subtilioris in Arteriâ San-
guinis prærogativam. Nam si transcolatus est in
carnibus, quî venæ crassiorem, inquies, effundunt ?

Meritò sanè, tecúmque forsitan mirabundus adstu-
perem indebitam crassitiem, si totum, quod contii
nent, Arteriæ serum, si calorem eodem fervore, si
impermixtum denique tabescentis carnis senio, pos-
sent Sanguinem venis intrudere : At nenimi dubium
est, Arteriosum serum partim in renes secedere, dif-
fundi partim per carnes, partim per insensilem trans-
pirationem evanescere ; sicut et eâ, quæ tunicis Ar-
teriarum est, spissitudine, fomitísque viciniâ calo-
rem sustentari, frigore spermaticarum partium re-
languescere, cordisque derelicti sensim intepescere
distantiâ ; Adde et pororum faciles expiraturo mea-
tus ; carnes autem ut pabulo crescunt, ita destrui je-
junio ; id alternis per diem approbant langor vigór-
que, sicut esuritio atque saturitas. Quod nunc in
carnes coït, brevi senescens, supervenienti ut plu-
rimùm cedit nutrimento ; nempe, quod algoris of-
fendiculo coaluerat, calidi fluoris dissolutum accessu
interceptum iter rursus aggreditur, et recoquendum,
repetit officinam.

Imminutum serum est, temperatus calor, admixtæ
carnium mutatarum fæces, quid mirum Arteriosum
Sanguinem, à venoso substantiæ consistentiâ supe-
rari ?

Nec sapientiùs Obiicies ejusdem extra vasa

e.

Page 42, Ioan. Pecqueti Diepæi Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et chyli motu.

restagnantis inevitabilem corruptelam. Exundat
equidem per universam corporis molem ex Arteria-
rum claustris errabundus Sanguis ; hoc animalis in-
crementum denotat, hoc frontis erubescentis indi-
cat pudor, hoc circum-ardentium tumorum phlogô-
sis ; ut et id genus pathemata demonstrant, evanido
statim post phlebotomiam vestigio repallescentia.

At sola tamen venarum, si restringantur ultra suffe-
cturam refluxuro capacitatem, angustia Sanguinem
sistit ; ínque morâ, si longior fuerit, qui successurus
est, retentæ fæcis mixturâ conspurcatur, et in varios
tum demum, pro noxiâ dominantium humorum di-
versitate, morbos dissolvitur. Ita dum effervescit ca-
lor vehementiùs, in Phlegmonem Sanguis accendi-
tur : uberius serum, nisi aut exhauserit sudor, aut
transpiratio exhalaverit, in Hydropem videas excre-
scere, vel diffundi nonnunquam in Rheumatismum ;
putrescere pituitam in Oedema ; ebullire bilem in
Erysipelas ; et in Scirrum melancholiam conden-
sari.

Hinc et Pleuritidem etiam Sanguinem ipsum
concrescere ; nempè cùm subitum invadit interiora
frigus, vehementiorem anhelantis æstum intempe-
stivè repercutit, et, constrictis repentino algore ve-
narum intercostalium canalibus, vix sufficientes jam
refluxuro Sanguini, qui tum crebriori Systoles Ar-
reriarúmque motu aggeritur, alveos coarctat, si-
dentémque diutiùs eundem, qui effusus inerrat car-
nibus, demum nisi phlebotomia succurrat in sa-
niem cogit.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Dissertatio anatomica de circulatione sanguinis et motu chyli (1651) : Chapitre v

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(Consulté le 13/06/2024)

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