Texte : Thomas Bartholin
Historia anatomica
sur les lactifères thoraciques (1652)
chapitre xv, note 10.
Note [10]

Pierre Michon, dit l’abbé Bourdelot, docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, avait quitté la France en novembre 1651 (vnote Patin 45/211) pour se rendre à Stockholm et œuvrer auprès de la reine Christine de Suède (vnote Patin 11/121).

Dans un fort aimable message du 19 août 2023, le très sagace et savant Frédéric Blanchard {a} a judicieusement attiré mon attention sur ce passage de l’Entretien servant de préface qui introduit les Conversations tirées de l’Académie de Monsieur l’abbé Bourdelot contenant diverses recherches et observations physiques. Par le Sieur le Gallois {b}, pages 52‑55 :

« Il suffit de dire que la médecine est fort redevable à Monsieur Bourdelot. Ce fut lui qui découvrit les vaisseaux lymphatiques. Monsieur Bartholin parle de cette découverte qui fut faite à Copenhague, où il était présent avec le sieur Wormius {c} et beaucoup d’autres personnes de remarque, à qui Monsieur Bourdelot voulant montrer les veines lactées nouvellement découvertes alors par Monsieur Pecquet, il aperçut dans la dissection les veines lymphatiques ; et il dit qu’il fallait nécessairement que ce fussent des vaisseaux inconnus, dont il rechercherait la dissémination en d’autres ouvertures de corps. Il exhorta aussi ces Messieurs en partant pour Stockholm d’achever et de perfectionner cette découverte ; et depuis, il reçut force lettres de Monsieur Bartholin qui lui rendait compte du progrès qu’il avait fait dans la recherche de ces veines. C’est ainsi que Monsieur l’abbé Bourdelot nous l’a conté deux ou trois fois, et qu’il m’a été confirmé par un Danois avec qui je logeais à Paris. {d} Cet étranger me dit que quand Monsieur Bourdelot eut découvert ces vaisseaux remplis d’eau, qui étaient au foie, Monsieur Bartholin, en s’écriant, lui dit “ Voici donc les lactées, Monsieur ! ”, et que Monsieur Bourdelot lui soutint deux ou trois fois qu’il fallait que ce fussent d’autres vaisseaux parce que les lactées étaient blanches et que ces veines-ci étaient remplies d’une eau transparente. J’ai été bien aise de vous faire ce récit afin de désabuser plusieurs personnes qui croient que Monsieur Bartholin les a découvertes, et pour détromper aussi quantité d’autres qui croient qu’un nommé Olaüs Rudbeck, Suédois, les a trouvées, ce Rudbeck ne l’ayant su que plus de trois mois après, sur le récit qu’on lui fit de ce qui s’était passé à Copenhague. Cependant, pour ôter la gloire à qui elle appartient et pour se l’attribuer, Rudbeck fit imprimer en diligence un traité de ces lymphatiques, {e} ainsi que M. Horne en fit imprimer un des lactées quand Monsieur Bourdelot lui en eut fait la démonstration en passant par Leyde. {f} Voilà de quelle manière la chose se passa dans la découverte des veines lymphatiques. Voilà une des obligations que la médecine a aux soins et à l’esprit de Monsieur Bourdelot. »


  1. V. note [44], lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst, avec tous mes remerciements pour cette splendide trouvaille qui honore la mémoire de Bourdelot en corroborant le propos de Bartholin.

  2. Paris, Thomas Moette, 1672, in‑8o en deux parties de 76 et 277 pages.

  3. Ole Worm, oncle de Bartholin, v. note [7], Historia anatomica, chapitre v.

  4. Oronte, le narrateur de ce récit, peut être un pseudonyme de François le Gallois (1633-1693), voire de Bourdelot lui-même.

  5. V. note [27], seconde Responsio de Jean ii Riolan, 3e partie, pour Rudbeck et ses ouvrages où il revendiquait la priorité dans la découverte du canal thoracique et des vaisseaux lymphatiques.

  6. V. note [49], lettre de Sebastianus Alethophilus à Jean Pecquet, pour Jan van Horne et son Novus ductus chyliferus (Leyde, 1652) où il revendiquait effrontément sa priorité dans la découverte du canal thoracique.

En passant par Leyde et Copenhague, durant son voyage de Paris à Stockholm (où il est arrivé vers la fin de février 1652), Bourdelot a donc rencontré van Horne puis Bartholin. Non seulement il leur a montré les Experimenta nova anatomica de Pecquet, alors tout récemment parues, mais il a devant eux disséqué le canal thoracique. Cela peut expliquer la fourberie de van Horne. Quant à Bartholin, dans ses Vasa lymphatica (dont l’épître est datée du 1er mai 1653), il date sa découverte des lymphatiques hépatiques du 28 février 1653 (page 7), sans y citer Bourdelot. Il convenait néanmoins clairement ici que, vers décembre 1651, le médecin voyageur parisien lui avait fait remarquer, près du foie, la présence de vaisseaux qui ne contenaient ni sang ni chyle, et qui allaient devenir les lymphatiques. Le récit d’Oronte est donc absolument digne de foi.

La centurie ii des Epistolarum medicinalium de Bartholin {a} contient deux intéressantes lettres qui abordent la question des lactifères, mais sans du tout évoquer celle des lymphatiques.

  1. La lettre xxi (pages 468‑470) de Bourdelot à Bartholin, De Lacteis, Aquæ potu, et semine muliebri [Sur les lactifères, l’absorption d’eau et la semence féminine], est datée de Stockholm, le 18 mai 1652 :

    Dum multa de Te Smæ Reginæ retuli muneris illud mei fuit. Id debebam veritati non amicitiæ. Gaudet Regina habere in vicinia Virum in Anatomicis Sectionibus sic insignem. Virtus tua de qua mirifica dixit Regina Professoribus Upsaliensibus fuit incentivum ipsorum animis, qui jam sedulo sectioni animantium incumbunt, aliquis ex illis eandem observationem de Thoracicis chyliferis fecit ; ignoto Pecqueti nomine, sic enim asserit, multa promittit. Ad me scribit Auzotius Parisiensis se parare librum de generatione Lactis contra Guiffardum Rhotomagnesem, in quo probat fieri à sanguine non à chylo immediate, est Vir mathematico more disserens, nihil profert in medium perperam. Scribit Riolanum vidisse librum Schlegelii et sprevisse, et multa in illum moliri, sed credo fore irrita, senescit enim illius Viri virtus, et vult legentibus fidem extorquere, jure veteri sed jam obsoleto et autoritate dicentis. […]

    [Comme vous m’aviez chargé de le faire, j’ai dit grand bien de vous à la sérénissime reine, {b} et ce non par égard pour notre amitié, mais pour la vérité. La reine se réjouit d’avoir pour voisin un anatomiste si renommé pour ses dissections, et a dit merveille de votre talent aux professeurs d’Uppsala, ce qui les a déjà incités et encouragés à ouvrir des animaux avec assiduité. L’un d’eux a même reproduit votre observation sur les chylifères thoraciques et promet d’en écrire abondamment, tout en prétendant ignorer le nom de Pecquet. {c} Auzout m’écrit de Paris qu’il prépare un livre sur l’origine du lait, contre Guiffart de Rouen, où il prouve qu’il se forme à partir du sang, et non directement à partir du chyle. C’est un homme qui disserte comme un mathématicien, sans rien mettre en avant de faux. {d} Il m’écrit aussi que Riolan a vu et rejeté le livre de Schlegel, et se remue beaucoup contre lui, {e} mais je crois que ce sera en vain car son talent décline : il veut s’acquérir de force la confiance de ceux qui le lisent, en fondant pourtant son autorité sur l’ancienne règle qui est déjà périmée. (…)]

  2. La lettre xxii (pages 470‑472), De Aquæ potu post medicamentum, et de Harvei opinione [Sur l’absorption d’eau après la prise d’un médicament et l’opinion de Harvey] et la réponse de Bartholin à Bourdelot, datée de Copenhague, le 27 mai 1652 :

    In magna gloriæ parte reputo, tantæ Reginæ placuisse mea studia et Anatomicos labores, quibus defungor. Quid Upsalienses observaverint de lacteis thoracicis, scire percuperem. Ego publico scripto edidi, quæ post tuum discessum, in Homine observavi. Receptaculi loco glandulas tres lumbares inveni. Nec insertionem duplicem thoracici ductus videre potui, sed unam solam, eamque in subclaviam sinistram, quemadmodum ex Historia mea Anatomica percipies, quam prima occasione mittam. […]

    [Je pense vous être en grande partie redevable de l’honneur que mes recherches et mes travaux anatomiques aient plu à une si grande reine. Je serai fort désireux de connaître les observations de ceux d’Uppsala sur les lactifères thoraciques. J’ai moi-même publié celles que j’ai recueillies chez l’homme depuis votre départ : {b} au lieu d’un réservoir, j’ai trouvé trois glandes lombaires, mais au lieu de deux insertions du canal thoracique, je n’ai pu en voir qu’une seule, qui se fait dans la subclavière gauche, comme vous verrez dans mon Historia anatomica, que je vous enverrai à la première occasion. (…)]


    1. Copenhague, 1663, vnote Patin 26/752.

    2. Dans sa précédente lettre à Bartholin (datée de Copenhague, le 15 mars 1652, pages 466‑467), Bourdelot lui avait transmis les chaleureux compliments de Christine de Suède.

    3. Cet anatomiste d’Uppsala pouvait être Rudbeck ou l’un de ses collègues. L’Historia anatomica de Bartholin est datée du 5 mai 1652, soit seulement 13 jours avant la rédaction de la lettre de Bourdelot.

    4. Adrien Auzout a exposé ses idées sur la lactogenèse dans sa lettre à Pecquet (v. sa note [4]), mais n’a pas publié de livre sur le sujet.

      Dans son traité de proxima Lactis materia [sur la première matière du Lait] (chapitre xi, Rouen, 1652, v. note [10], Brevis Destructio, chapitre i), Pierre Guiffart avait conclu que le lait dérive directement du chyle.

    5. V. note [32], Brevis Destructio, chapitre iv, pour la Defensio de Riolan contre l’Inquisitio de Paul Markward Schlegel sur le mouvement du sang, dans les Opuscula de 1652.

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte : Thomas Bartholin
Historia anatomica
sur les lactifères thoraciques (1652)
chapitre xv, note 10.

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(Consulté le 13/06/2024)

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