Texte
Hyginus Thalassius (1654)
alias Pierre De Mercenne,
Brevis Destructio de la
première Responsio (1652)
de Jean ii Riolan (1654) :
chapitre iv  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Hyginus Thalassius (1654), alias Pierre De Mercenne, Brevis Destructio de la première Responsio (1652) de Jean ii Riolan : chapitre iv

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(Consulté le 20/05/2024)

 

[Page 207 | LAT | IMG]

Les principaux arguments de Riolan
contre les lactifères thoraciques sont démolis
[1][2]

Dans les précédents chapitres, j’ai défendu la bonne réputation de bien chers amis, [3][4] que la loi m’ordonnait de protéger en repoussant les invectives de Riolan à leur encontre. Dans ce chapitre-ci, il vaut maintenant la peine de réfuter les principaux arguments qu’il a avancés, comme « un balai dénoué », [5] contre l’existence des lactifères thoraciques. [1]

  • Argument i. « D’innombrables veines lactées ne peuvent se résoudre en deux veinules ; [6][7] la veine cave inférieure [8] voisine offre une voie plus courte et plus commode », page 147 de sa Responsio aux Experimenta[2][9]

    Sa sentence présume à tort que d’innombrables veines lactées ne peuvent se résoudre en ces deux veinules qui s’insèrent sur les lombes et l’aorte descendante, [10] longent toute la hauteur du rachis dorsal et se jettent dans chacune des deux subclavières [11] ou, pour éviter les railleries, dans les veines qui y correspondent chez les bêtes. Cette réduction n’est en effet pas plus compliquée que celle qui permet à tous les lactifères mésentériques de ne se réunir qu’en trois ou quatre rameaux pour s’insérer dans le foie, comme le veut Riolan, après [Page 208 | LAT | IMG] Aselli[12] à la page 143 de sa Responsio[3][13]

    Cet argument s’appuie aussi sur un raisonnement fragile, quand il dit que « la veine cave inférieure voisine offre une voie plus courte et plus commode », car le simple fait que la nature n’ait pas choisi cette voie de la veine cave inférieure prouve qu’elle n’est pas plus commode, étant donné que, selon Hippocrate, la nature privilégie ce qui convient et, selon Aristote, fait toujours ce qu’il y a de mieux, ainsi que l’a remarqué la deuxième lettre à Pecquet[4][14]

    Même s’il existait un autre chemin plus court, il ne s’ensuivrait pas que la nature aurait été tenue d’y faire passer le chyle ; et d’ailleurs, si on déduisait de cet argument qu’il n’y a pas de lactifères thoraciques, on conclurait qu’il n’en existe pas non plus dans le mésentère puisque, selon Riolan, page 147, « quand le mésentère est entièrement squirreux, [15] le foie, le pancréas, [16] la rate [17] reçoivent des veines directement issues de l’estomac [18] qui aspirent le chyle et l’apportent au foie. » [2][19]

    Telle serait la plus courte voie si le chyle parvenait dans les intestins aussitôt après avoir été purgé de toutes ses ordures terreuses ; mais alors, pourquoi donc la troisième coction produit-elle encore des déchets qui colorent la peau ? [20][21][22] La voie serait aussi plus courte si le sérum était filtré au centre du corps avec les urines, que s’il l’était par toute son étendue. [5][23] La nature ne suit donc pas toujours la voie la plus courte, et elle n’est pas toujours la meilleure. Ma réfutation des huitième et neuvième arguments de ce chapitre, et celle du suivant montreront aussi que le passage par la veine cave inférieure n’est pas le plus commode lorsque sera discutée l’utilité des lactifères thoraciques. Quand il examine cette question, page 187, Riolan lui-même explique pourquoi la voie de la veine cave inférieure ne serait pas plus commode, puisque, dit-il, il faut « que le sang, qui coule avec violence dans les artères par la circulation, se rende plus grossier dans les veines par la production de matière fibreuse [24] là où le [Page 209 | LAT | IMG] tronc de la veine cave [25] se divise, près des rameaux axillaires ; et aussi qu’une portion du sang, s’étant épaissie par le mélange de ce chyle, demeure et tarde plus longtemps dans le cœur, pour y servir, comme d’un levain plus chaud et plus acide, à la préparation du nouveau sang artériel. » [6][26] Voilà comme Riolan abandonne les propres partis qu’il a pris : aucun n’est solidement établi à ses yeux, aucun ne lui plaît longtemps, il fluctue, il oublie ce qu’il a demandé, il redemande ce qu’il a oublié, alternant sans cesse entre l’affirmation et la négation des mêmes faits.

    De plus, il suppose à tort que les innombrables veines lactées se réduisent exclusivement à celles qui se regroupent pour former les canaux pecquétiens. Le fait est pourtant que le chyle qui se précipite pour traverser les pores des intestins [27][28] n’est pas transporté en totalité dans les lactifères mésentériques : cette voie n’intéresse que sa partie la plus déliée et la plus pure, mais le reste, qui est plus épais et représente à peu près la moitié de son volume, pénètre dans les petits orifices des veines mésaraïques ordinaires, [29] qui s’ouvrent à la paroi des intestins pour purger les humeurs nocives. Quelle force serait pourtant capable d’empêcher que le chyle ne pénètre dans lesdites veines mésaraïques en passant par ces orifices ? Et dans la diarrhée hépatique, [30] où les déjections sont semblables à de la lavure de viande, qu’annoncent-elles d’autre que du chyle ensanglanté qui s’écoule de ces veines, en raison de la débilité du foie ? Chez un animal en bonne santé, ce chyle plus épais, qui s’est mêlé au sang dans les vaisseaux mésaraïques, s’altère très facilement et accompagne le sang dans le foie, où il subit une nouvelle coction, sous l’effet du parenchyme hépatique, qui le transforme en sang et le purifie de ses excréments, avant qu’il n’atteigne son plus haut degré de perfection dans les cavités du cœur. [7][31][32]

    Les veines mésaraïques et lactées ne semblent se distinguer que sur un point : dans les premières, parce qu’elles communiquent avec les artères, le chyle rougit en se mêlant au sang, tandis que le chyle qui s’écoule dans les secondes est blanc, ressemblant à du lait, parce qu’elles ne tirent aucun sang des artères et constituent le quatrième genre de vaisseaux, comme [Page 210 | LAT | IMG] en atteste Riolan, après Aselli, au livre ii, chapitre xviii de son Manuel anatomique. [8][33]

    Cette distribution partagée du chyle entre veines sanguines et lactées du mésentère est en parfait accord avec la découverte pecquétienne, sans du tout porter atteinte à la dignité du foie, premier des viscères, et donc sans mériter les reproches que lui oppose Riolan. Elle n’expose à aucune crainte que le transfert du chyle ne soit pas proportionné à la quantité de sang qui jaillit du cœur, ni que la rupture ou l’obstruction des deux lactifères thoraciques empêche le chyle de parvenir au cœur. Plus bas, la résolution du neuvième argument montrera qu’il n’y a plus du tout non plus à redouter d’ordures qui inonderaient le cœur en sortant des canaux pecquétiens[9]

    Je présenterai ici deux expériences qui m’ont conduit à croire que le chyle ne monte pas seulement dans le thorax grâce aux canaux qui s’y trouvent, mais qu’il se rend aussi au foie en empruntant d’autres vaisseaux, qui sont sanguins. J’ai observé, voilà longtemps déjà, en disséquant l’estomac d’un homme mort après avoir enduré des vomissements continuels pendant une année entière, que son pylore était si rétréci et obstrué qu’il semblait cartilagineux, [34] et qu’il était presque impossible de le scinder à l’aide d’un rasoir. À l’ouverture d’un autre cadavre, j’ai aussi vu un mésentère entièrement squirreux : il avait pris l’apparence d’une énorme masse glanduleuse qui s’étendait si haut sous la région ombilicale qu’elle avait repoussé les intestins sur les côtés de l’abdomen ; à l’incision de cette masse, il s’est écoulé une humeur tout à fait semblable à du pus. Comment du chyle peut-il donc passer par des lactifères dont les cavités sont partout écrasées et occluses par la tumeur massive d’un pylore cartilagineux ou d’un mésentère squirreux ? Néanmoins, dans un tel désastre les malades ne meurent pas rapidement, mais sont victimes d’un lent amaigrissement jusqu’à ne plus avoir que la peau sur les os : il faut donc sûrement [Page 211 | LAT | IMG] convenir qu’ils sont demeurés en vie grâce au chyle qui est parvenu au foie par les veines de l’estomac, comme de l’aliment entre dans une prison. [10][35]

    Chez les gens en bonne santé, il ne faut pas craindre que le mouvement contraire du sang ne fasse obstacle au chyle qui parvient au foie par les veines mésaraïques car, selon les lois naturelles ordinaires de la circulation, le sang qui reflue sans cesse des intestins au foie y transporte aisément le chyle qui s’y est mêlé. Il ne m’échappe pourtant pas que la circulation du sang dans la veine porte [36] déplaît à Riolan, mais j’aimerais qu’il prouvât la fausseté de la très probante expérience que j’ai rapportée dans le précédent chapitre. Puisque, suivant sa doctrine, il a trouvé la circulation nécessaire à la diffusion de la chaleur [37] et à la distribution du sang dans les divers organes nutritifs, et à sa propre aération,

  • Nam vitium capiunt ni moveantur aquæ ; [11][38][39][40][41]

    elle est aussi et même encore bien plus nécessaire dans la veine porte, où le sang impur et bourbeux, ralenti dans un endroit stagnant, pourrirait très facilement. Les veines qui drainent les parties nutritives ne forment pas des mares mais des ruisseaux de sang. En outre, la multitude de veines et d’artères qui irriguent les intestins, bien plus nombreuses que ne requerrait la nutrition de parties froides et exsangues, indique suffisamment où s’exerce la charge commune, et que le sang passe des artères dans les veines.

    Dans sa Réponse à Harvey sur la circulation du sang, page 20, Riolan insiste néanmoins : Natura humana mundanæ naturæ est imitatrix, ut mare Mediterraneum non movetur fluxu et refluxu, sed tantum Oceanus, ita in corpore humano sanguis venæ portæ non circulatur, sed solus qui majoribus canalibus aortæ et venæ cavæ concluditur[12][42] Cependant, cette circulation n’est pas comparable aux marées montante et descendante de l’Océan, mais aux eaux qui parcourent le lit des fleuves jusque dans la mer, [Page 212 | LAT | IMG] et qui refluent dans les terres en empruntant de multiples détours aveugles. En effet, les eaux de l’Océan ne circulent pas en refluant, mais quand elles enflent et montent, elles inondent les rivages en empruntant les mêmes voies que celles par où elles refluent en descendant et se retirant ; mais en revanche, Sénèque dit comment occulto itinere subit terras et palam venit, secretò revertitur mare, quod per multiplices anfractus terrarum verberatum amaritudinem ponit, et in sinceram aquam transit[13][43][44] Ainsi se font les courants alternés du sang : celui qu’éjecte le cœur y revient par une véritable circulation, après avoir filtré à travers les chairs ; et quand il est impur il y dépose ses ordures, qui sont cause de la gale, [45] de la lèpre, [46] de la dartre [47] et de toutes les affections de la peau, qu’on appelle à juste titre l’émonctoire universel. [14][48][49] La terre contient de très nombreuses sortes d’humeurs, [50] mais l’eau n’emporte pas la terre en l’imprégnant et la traversant partout, et n’empêche pas que ses humeurs ne se solidifient en pierres et en métaux ; l’eau ne dissout pas non plus toutes les semences des choses, les sucs, les liquides, les minéraux ou les plantes qui s’accumulent dans la terre ; de même façon, le sang louable qui sort de la chaude cavité du cœur, pourvu qu’il s’écoule dans les artères, pourvu qu’il atteigne leurs fines extrémités ou qu’il s’insinue dans les interstices des chairs, et hinc sæpius in venis nasci gaudens (comme a dit Pline d’un certain fleuve), [15][51] ne fait pas obstacle à la nutrition des organes car, bien au contraire, son flot lui procure une matière commode ; à moins qu’il ne charrie quelque matière contre nature, venue d’ailleurs, qui opprimerait et noierait ces parties. [16] Je vais maintenant me tourner vers d’autres arguments de Riolan.

  • Argument ii. Pages 147‑148 de la Responsio : « Le chyle doit s’écouler vers les veines subclavières aussi rapidement et abondamment qu’il a afflué dans le thorax, car il doit exister une proportion entre les [Page 213 | LAT | IMG] veines lactées qui alimentent le réservoir en chyle [52] et les deux canaux qui l’évacuent vers les subclavières, mais aussi entre ces deux chylifères thoraciques et le sang qui jaillit du cœur en grande abondance. »

  • Ce deuxième argument se résout de la même manière que le premier. J’ajoute qu’à y insister autant, Riolan démolit les lactifères du mésentère, car les trois ou quatre branches qui en émanent pour les faire entrer dans le foie, selon ses propres dires, [3] sont sans proportion avec les innombrables lactifères qui parcourent le mésentère ; et si maintenant, parce que dies diei eructat verbum[17][53] il ne reconnaît plus l’existence de ces rameaux, il ne trouvera sûrement aucune proportion entre les veines mésaraïques et les pores du foie, grâce auxquels, selon lui, le chyle transformé en sang passe de la veine porte à la cave en traversant le parenchyme hépatique. [54][55] Les innombrables veines du mésentère ne peuvent se résoudre en ces pores du foie ou être aussi nombreuses qu’eux, et leur débit sanguin ne peut égaler en vitesse et en quantité celui des veines mésaraïques. Le sang ne peut pas non plus s’écouler assez rapidement et abondamment dans le parenchyme hépatique et dans la veine cave inférieure pour en procurer assez au cœur, et pour qu’il y ait proportion entre, d’une part, le sang qui jaillit du cœur en grande abondance et, d’autre part, la distribution du chyle dans le foie par les veines mésaraïques et la filtration du sang au travers des pores hépatiques. La notion de proportion est donc inconnue de la nature, elle est née dans le cerveau de Riolan pour renverser les lactifères thoraciques et surtout, du même coup, toutes les veines du mésentère.

  • Argument iii. « Comment cette lacune exiguë » (c’est ainsi qu’il appelle le réservoir) « peut-elle se distendre pour recevoir suffisamment de chyle, alors qu’elle est placée sous le mésentère et doit supporter tout le [Page 214 | LAT | IMG] poids des intestins, particulièrement en position couchée sur le dos ? », page 148 de sa Responsio.

  • Le réservoir du chyle n’est pas exigu : sa membrane extrêmement fine et transparente, qui forme comme une vésicule, s’appuie sur presque toute la hauteur des vertèbres lombaires, et est solidement attachée au tronc de l’aorte descendante. Chez les quadrupèdes qui se nourrissent en broutant le sol, le mésentère n’appuie ni sur les lombes ni sur le réservoir, et chez les humains, le mésentère et les intestins qui sont placés devant le réservoir et les lactifères ne les compriment pas au point de ne pouvoir être distendus par le chyle ; cette compression ne manquerait d’ailleurs pas de s’exercer sur les veines mésaraïques et entraverait tout autant la progression du chyle que celle du sang. Loin d’être nuisible, cette pesanteur modérée aide le mouvement du chyle, car l’expérience et le regard montrent manifestement que quand une main appuie sur les lactifères du mésentère, le chyle distend beaucoup le réservoir, et que quand elle appuie sur le réservoir, le chyle gonfle les canaux thoraciques. Quand on incise longitudinalement la veine cave supérieure, on le voit pénétrer, en jaillissant comme de l’eau, pour s’écouler à l’évidence jusqu’au cœur. Inversement, quand on appuie sur lesdits canaux, la grande quantité de liquide laiteux qu’ils contiennent reflue dans le réservoir, mais ce à condition que la compression s’exerce près du diaphragme, car deux doigts plus haut, des valvules [56] opposent un obstacle permanent à la descente du chyle, et se manifestent extérieurement par l’apparition de saillies ressemblant à des nouures.

    Riolan objecte ici que les intestins compriment le réservoir, mais il se contredit très clairement, page 162, quand il bataille en ces termes : « Sous l’effet de la contraction des muscles, les intestins pourraient-ils être arrachés de force vers le haut pour être capables de comprimer ces veines lactées ? Voilà qui est ridicule ! »

  • Argument iv. « Dans un corps obèse, les membranes [Page 215 | LAT | IMG] adipeuses des reins sont écrasées et étouffées par la graisse éparse comme par celle du mésentère », pages 148‑149. [18]

    Si la graisse des membranes adipeuses des reins et du mésentère n’étouffe pas les autres veines, pourquoi étoufferait-elle nos veines lactées ? Or elle n’étouffe pas les autres car s’il en était ainsi, l’animal se verrait privé de son approvisionnement en chyle et en sang.

  • Argument v. « Le chyle des veines lactées soit s’écoule et monte spontanément au-dessus du cœur, puisque rien ne peut le pousser, soit est attiré par le cœur, ce qui est impossible », page 164. [19][57]

    Si le chyle n’est ni poussé ni tiré, et s’il ne s’écoule pas spontanément, alors les lactifères sont vides ; il est donc impossible que Riolan ait de ses yeux vu les canaux pecquétiens enflés de chyle quand Gayan [58] lui en a fait la démonstration, comme il en convient page 145. Il a vu un chyle qui ne pouvait y être poussé ni tiré, ni s’y écouler spontanément. Il proclame là solennellement qu’il ne conteste pas la réalité et l’existence des lactifères thoraciques, tout en semblant, au même endroit, vouloir les malmener en leur donnant un qualificatif vide de sens, à moins peut-être qu’il ne veuille dire que ce sont des chylifères sans chyle. [20][59] Voilà comme un excès de subtilité est hostile à la vérité, comme Riolan se bouche lui-même les yeux avec ces arguties et tente d’enfouir sous des mots ce qu’ils ont bel et bien vu ! Après avoir philosophé au delà du bon sens, il nous apprendra sous peu que la neige est blanche, avec Anaxagore, l’Époché de Pyrrhon et l’akatalêpsia[21][60][61][62] Comme à son ordinaire, il résout pourtant lui-même mon cinquième argument, à la page 182 de sa Responsio, avec cette contradiction manifeste : « Et si ce réservoir est placé entre les deux reins et les muscles psoas, quel besoin a-t-il d’être aidé par le piston hépatique ou par l’aiguillon respiratoire ? [63] quel besoin de contraction musculaire ? [64] Les autres preuves fournies par les machines mécaniques [65] ne servent à rien si le seul mouvement des lombes suffit à pousser le chyle, comme vous l’ignoriez. » [22] Quant à moi, j’ajoute que le mouvement péristaltique des intestins [66] chasse le chyle dans les lactifères [Page 216 | LAT | IMG] mésentériques, pour qu’il progresse ensuite dans le réservoir et dans les canaux thoraciques, à la manière dont une onde se propage en poussant une autre onde ; et ce moteur est aidé par la contraction des muscles abdominaux, l’oscillation du diaphragme [67] et les battements de l’aorte. [68] Enfin, parce que la fluidité est le principe inhérent au mouvement des liquides et parce qu’une porte s’ouvre à lui, le chyle s’écoule spontanément dans les lactifères, et aussi longtemps qu’une goutte en chasse une autre, il ne peut y avoir de fin à son ascension.

  • Argument vi. « Ces veines du chyle et son réservoir peuvent donc rompre en cas de cyphose majeure [69] ou lors de violents déplacements des lombes », [70] page 182 de la Responsio[22]

    Comment peut-on proférer une telle absurdité ? Riolan, à la page 218 de son Admonitio à Guiffart, dit que s’ils rompent, id funestum esse, ut in ruptura earumdem venarum Lactearum in abdomine[23][71][72][73] Le chyle se répand donc dans la cavité du thorax ou de l’abdomen et, en se putréfiant, provoque divers symptômes que Riolan a parfaitement décrits. Ainsi que je l’ai démontré dans la résolution du premier argument de ce chapitre, ce n’en est pas fini de la vie quand les deux canaux thoraciques sont obstrués, contrairement à ce que veut Riolan, à la page 152 de sa Responsio[24][74]

  • Argument vii. « Chacune des biles, quand elle est purgée par les intestins, souillera le chyle et, ainsi souillé, il sera transporté ver les cœur par les veines dorsales. La même chose arrivera en cas de diarrhée bilieuse », page 180 de la Responsio[22]

    Que Riolan réponde donc lui-même à cela, et que sa sentence conclue contre son gré que ce sera alors le foie qui souffrira, car jamais la bile ne se purgera ainsi, et elle remontera toujours au foie avec le chyle. [75] S’il répond qu’il est dans l’ordre de la nature que la bile ne tombe dans les intestins qu’à un autre moment, quand le transfert du chyle a déjà eu lieu et ne restent plus à expulser que les résidus de la nourriture, ne nous fera-t-il pas taire et n’adopterons-nous pas alors le même avis que lui ? Il s’avère néanmoins que cette bile est alors évacuée [Page 217 | LAT | IMG] puisque le chyle n’est pas souillé, mais aucune force ne semble pouvoir s’opposer à cet inconvénient si la vésicule chasse sa bile dans un jéjunum rempli de chyle, [76] sauf peut-être à penser que les pores intestinaux sont ainsi agencés qu’ils laissent aisément passer le chyle, mais se ferment en présence de bile, à la manière dont le sel dissous dans l’eau traverse facilement un linge, mais est retenu par ce filtre quand il est seul. Dans la diarrhée bilieuse incessante, [77] même si le chyle parvient au foie, il peut de même façon être souillé d’humeurs bilieuses qui, si elles montent au cœur par les lactifères thoraciques, pourraient aussi bien gagner le foie par les veines mésaraïques, où lesdites humeurs empêcheraient la sanguification puisqu’elle n’appartient qu’au foie agricolis redit labor actus in orbem[25][78][79] En même temps qu’il mettrait ce viscère à l’abri du danger, le censeur protégerait le cœur des excréments bilieux.

  • Argument viii. « il est impossible que le chyle se transporte au cœur, à raison de la distance de huit travers de doigt qu’il y a du cœur à l’insertion des veines lactées dans les rameaux subclaviers », page 183. [22]

    Voici comment Socrate parle de cette impossibilité, dans le dialogue de Platon intitulé L’Alcyon : Iudicamus pro humanæ facultatis viribus, quæ et rerum ignara et rudis est, et difficilè adducitur, ut credat, sed et nequaquam perspicaciter intuetur. Itaque et compluria nobis de iis quæ facilia sunt, difficilia, et quæ consequi possunt impossibilia sæpe judicantur. Atque id quidem nonnunquam per imperitiam, sæpe verò ob quandam mentium infantiam ; omnis itaque homo infans esse videtur vel ultimâ senectute provectus. Quid est enim pusillum ac præsens vitæ tempus ad omne ævum. Quid est igitur, ô bone vir ! quod ex ejusmodi rebus, possibiles ne an impossibiles sint, dicere quipiam possint ii quos deorum divinarumque rerum latent potestates, quibusve totius naturæ vis incognita est ? Multa tibi et mihi et aliis [Page 218 | LAT | IMG] impossibilia videntur, quæ aliis forsitan perfacillia : [26][80][81] cela vaut pour ce qu’il pense. Quant à nous pourtant, nous ne disons pas que le chyle délivré au cœur, en sortant des veines axillaires, est brut et encore laiteux, car il est mêlé au sang, de même, comme je l’ai exposé plus haut, qu’est déjà rougi celui que les veines mésaraïques ordinaires apportent au foie. Ce n’est donc pas du chyle qui parvient au cœur, mais du sang imprégné d’une portion du chyle ; et ce mélange ne contient qu’une petite quantité de chyle, car il sourd goutte à goutte dans les subclavières, se dilue dans une grande quantité de sang et se trouve alors déjà presque transformé en sang, de la même façon qu’une goutte d’eau répandue dans beaucoup de vin devient vin, selon Aristote. [27][82] Ainsi, dans son livre sur la Circulation du sang selon la doctrine d’Hippocrate, page 50, Riolan atteste-t-il que le sang veineux, dès qu’il pénètre dans les artères, acquiert la nature du sang artériel. [28] Comme il sera dit plus bas, dans le neuvième argument, le chyle parcourt une distance plus longue afin que ce cheminement et ce ralentissement le disposent mieux à être élaboré par le cœur.

    À la page 183 de sa Responsio, Riolan dit pourtant : « Si l’intention de la nature avait été d’envoyer le chyle au cœur, elle aurait pu insérer ces veines lactées dans la veine cave, près du diaphragme, où elle n’est éloignée du cœur que du travers de deux doigts, ou plutôt de l’épaisseur du diaphragme. » [22]

    Voilà donc Riolan qui « semble admis aux conseils de la nature », comme Pline a dit d’Hipparque, livre ii, chapitre xii, et tu mesures sa puissance à son aune. [29][83][84] Rétorque-lui alors que si la nature avait eu l’intention de conserver très longtemps l’homme en bonne santé, elle aurait pu abolir d’un coup les causes des maladies, vider le sang surabondant, [85] purger la cacochymie, [86] empêcher qu’aucun excrément ne croupisse longtemps dans le corps. [87] Elle a donc fait ce qu’elle a pu, quand elle aurait pu faire naître tous les jours des unijambistes, des satyres [88] et autres sortes d’humains doués d’une admirable agilité et d’une étonnante conformation. Elle l’a donc fait car elle l’a pu, ou elle fait partout ce qu’elle a fait n’importe où. Elle aurait pu inverser la position [Page 219 | LAT | IMG] des parties vitales et nutritives [89] procurer deux rates, [90] quatre uretères, [91] et une infinité d’anomalies de ce genre. [30] Elle a donc fait ce qu’elle a pu. Qu’aurait dit Galien si quelqu’un lui avait opposé pour argument que les veines mésaraïques ne sont pas les mains du foie, et que la nature ne se sert pas du mésentère comme d’un pont pour faire passer le chyle, parce qu’elle aurait pu confier la même fonction aux veines de l’estomac, comme Riolan l’a voulu plus haut. [31][92] La nature aurait pu placer une valvule [93] dans le vestibule du plexus choroïde, qui forme le quatrième sinus de la dure-mère, car Riolan, dans sa défense contre Schlegel, [94] page 248, a jugé qu’elle y aurait été nécessaire pour empêcher une soudaine irruption de sang, qui est cause d’apoplexie, [32][95][96][97][98] mais elle a fait ainsi parce qu’elle l’a pu. Elle aurait pu insérer le méat cholédoque dans le gros intestin, qui est le réceptacle des matières fécales, et le chyle aurait été à l’abri de tout danger de souillure ; et le dialecticien conclura donc que les méats cholédoques s’insèrent dans le côlon et non à l’origine du jéjunum. [99][100] La nature aurait pu accomplir bien d’autres choses, cher Riolan, si tel avait été le bon plaisir de Dieu, notre créateur. La nature, dit saint Augustin, est la volonté de Dieu ; et selon Tertullien, la volonté de Dieu est le silencieux artisan du monde. [33][101][102] Vous auriez pourtant bien mieux fait, Monsieur, d’admirer que de contester la sagesse de la nature dans la manière dont elle a disposé les veines lactées, car ses lois se scrutent dans la fabrique des parties corporelles, et elles sont immuables ; en un mot, elles soumettent la raison à la nature, et non la nature à la raison. Dieu dit, dans Job, 38:4‑5, « Où étais-tu quand je fondais la Terre ? Dis-le-moi, si tu as de l’intelligence. Qui en a fixé les dimensions ? » ; et plus bas, 38:32, « Qui a placé la sagesse dans les entrailles de l’homme ? » ; et plus loin, 39:32, « Celui qui lutte contre Dieu trouve-t-il si facilement le repos, puisque celui qui reprend Dieu doit lui répondre ? » [103] [Page 220 | LAT | IMG]

  • Argument ix. « Un chyle impur, non cuit et qui n’a pas même absorbé de chaleur, c’est-à-dire cru et non digéré, monterait vers le cœur par les veines lactées, traverserait les poumons avant d’être emporté dans l’aorte ; cela pourrait-il se faire sans corrompre le cœur, ni nuire gravement aux poumons et au sang artériel ? », page 167 de la Responsio[104]

    Riolan a répété maintes fois cet achille, [34][105] aux pages 179, 180, 191, 191 de sa Responsio et à la page 205 de son Admonitio à Guiffart ; il l’a tiré de la seconde lettre à Pecquet, dont l’auteur écrit : « Ils objectent que les limites entre la première et la deuxième région sont embrouillées si on confond les officines où le chyle est préparé et où le sang est élaboré, étant donné qu’alors un chyle encore cru et brut parvient dans le cœur, et que les esprits vitaux [106] se trouvent ainsi souillés par les relents de cuisine et, plus encore, par leur mélange à de l’aliment non digéré. » [35] Les flèches qu’on a vu venir blessent moins, car je pense qu’il ne sera pas difficile de débarrasser les lactifères thoraciques de leurs ordures. [36]

    Leur existence étant admise, ce dont Riolan est convenu après qu’on les lui a montrés, page 145, [20] personne ne peut raisonnablement douter que du chyle impur et souillé d’ordures accède aux subclavières. La nature, en douce protectrice des animaux, extrêmement soucieuse de leur sauvegarde et ne s’épargnant rien pour la favoriser, a en effet façonné ces lactifères pour que, conformément à sa loi et à son dessein, le chyle gagne les veines subclavières et cave supérieure. Il s’ensuit donc nécessairement que ce chyle qui monte au cœur et aux poumons n’est pas impur et souillé d’ordures. Ladite seconde lettre à Pecquet avait brièvement anticipé sur cette résolution de l’argument : « La nature ne se taira pas pour défendre sa propre cause, elle répondra qu’elle accomplit toujours ce qu’il y a de meilleur et de plus convenable pour le salut des êtres vivants ». La manière dont se fait l’épuration du chyle ne nous apparaît pas encore clairement, car la nature agit souvent selon des modalités merveilleuses et occultes, [Page 221 | LAT | IMG] mais elle n’a pas manqué de pourvoir à cela, et nous devons être absolument certains que la bile ne décharge pas ses ordures dans le cœur.

    Néanmoins, on a très clairement tort de supposer la présence de ces détritus dans le chyle thoracique car il en a été purgé dans la région alvine : il les a abandonnés non seulement dans les intestins, mais aussi dans la substance spongieuse du pancréas [37] où, selon Aselli[107] s’intriquent de curieuses anfractuosités et un réseau semblable aux vrilles d’une vigne, qui contient une substance lactée. La remarquable blancheur du pancréas et la texture de son parenchyme, dit-il aussi, suggèrent que la portion la plus fangeuse et crue du chyle s’y infiltre, à la manière dont le placenta, ou foie utérin, [108] absorbe ce qui est bourbeux dans le sang maternel. [38] Hippocrate a lui-même enseigné cela dans son livre des Glandes : νεμονται αι αδενες εν τοισιν εντεροισιν εκπιεζομεναι τον πλαδον. [39][109] Il faut ainsi croire que l’habile nature a formé tant de filtres pour qu’un chyle parfaitement purifié et purgé parvienne au cœur, tandis que, comme j’ai dit au début du présent argument, le chyle plus épais et grossier est immédiatement détourné dans les veines mésaraïques pour être digéré et débarrassé de ses excréments bilieux par le foie. Le chyle limpide, qui est plus pur et approche de très près la nature du sang, dont il ne diffère presque que par sa blancheur, séjourne quelque temps dans le réservoir, comme pour y être digéré, avant de monter vers les orifices subclaviers pour en jaillir ; et dans son trajet depuis les intestins jusqu’au cœur il parcourt le long chemin qui les sépare en se tordant et détordant au fil de ses multiples méandres, ce qui permet à sa chaleur et à celle des parties voisines de l’amincir et de le dégrossir de mieux en mieux ; et enfin dilué dans le sang, il subit encore une digestion, sous l’effet de ce mélange, avant de gagner [Page 222 | LAT | IMG] les cavités cardiaques. C’est ainsi que les chimistes exaltent leurs liqueurs et leurs esprits en les distillant à l’aide d’un long instrument sinueux qu’ils appellent pélican. [40][110] Tout étant soigneusement considéré, il est évident que le chyle ne peut être nocif pour le cœur. En effet il ne l’est pas pour le foie, alors qu’il lui parvient à l’état cru, impur et brut, selon la sentence de Riolan, et que dans ce viscère, où la chaleur est beaucoup plus douce que dans le cœur, et dont les vaisseaux sont plus fins, ce qui fait qu’il contient une moindre quantité de sang en proportion de sa masse, le chyle n’empêche pas la production des esprits naturels ; [111] mais il ne corrompra pas les esprits vitaux s’il est parfaitement pur et élaboré quand il humecte le sang peu avant qu’il entre dans le cœur.

    Pourtant, diras-tu, le chyle contient de la bile, [112] dont il se sépare dans le foie avant d’y être transformé en sang, mais qui n’est pas purgée par le cœur, et c’est ce qui mène Riolan à insister sur le fait que la bile contenue dans le chyle rend impur celui qui pénètre dans le cœur et dans les poumons. Permets-moi de dire à cet éminent homme que le chyle est bel et bien mêlé de bile, laquelle est pourtant peu abondante et bâillonnée par le tempérament des autres parties, et n’est pas encore libérée des liens qui l’attachent à ce mélange. Puisque la nature a établi que du chyle, ou plutôt du sang teinté de chyle s’écoule dans les cavités cardiaques, cette bile qu’il contient n’est pas impure, et elle est même utile, car la nature ne fait rien inutilement : elle rend le sang plus ardent et plus vif, puis une fois cette fonction accomplie, après de nombreuses circulations, elle est éliminée tant par le foie que par les reins, [113] de la même façon que le corps se sépare du sérum après qu’il a accompli son utile fonction. La bile n’est pas non plus absente dans le sang extrêmement pur que les carotides [114] envoient dans le cerveau, comme prouvent les ordures bilieuses des oreilles, même chez les gens en parfaite santé. [41][115][116] Riolan est donc mal avisé de dire, à la page 179 de sa Responsio : « Si la bile du sang qui tombe par la veine cave est éliminée dans les reins, si la bile [Page 223 | LAT | IMG] du sang qui coule par la veine porte est éliminée dans le foie, ces deux biles sont contenues dans le chyle et, tout impur qu’il est, il se porte dans le cœur et dans les poumons. » [22] En effet, si cet argument était valable, il s’ensuivrait que le sang ne circulerait pas dans la veine cave ; mais puisqu’il y circule, comme pense Riolan[42] et comme veulent les lois de la circulation, il cherche à aller tout droit des extrémités du corps au cœur et le sang passe aussi des veines rénales [117] dans la veine cave ; et la bile du sang qui coule dans la veine cave n’est donc pas éliminée par les reins, tandis que l’est celle du sang qui coule dans l’aorte, ce qui fait que ladite bile doit d’abord être passée par le cœur avec le sang. En outre, elle est filtrée lors d’une seule et unique ou de plusieurs circulations du sang dans les reins ; or une seule ne peut suffire puisqu’elle ne permet pas à tout le sang du corps de traverser les reins ; et s’il y faut plusieurs circulations, ce qui ne peut se faire autrement, la bile revient donc très souvent, avec le sang, des extrémités du corps au cœur. Du même fait, cette bile naturelle n’est nuisible ni pour le cœur ni pour les autres parties du corps, comme l’explique Hippocrate dans le livre sur la Nature de l’homme : Hominis corpus in se sanguinem et pituitam [118] et bilem duplicem [119] continet, ex quibus corporis ipsius natura constat, et per hæ dolet et sanum est. Sanum quidem sum hæc moderatam inter se tum facultate tum copiâ temperationem habuerint, idque præsertim, si permixta fuerint. Dolet, ubi horum quidquam vel minus vel copiosius fuerit, aut in corpore separatum nec reliquis contemperatum[43][120] Dans le livre de l’Ancienne médecine, il dit encore : Amarum salsum, etc. mixtione et mutuâ inter se contemperatione, neque cernuntur, neque molestiâ afficiunt. At ubi horum quidpiam secretum fuerit, et per se constiterit, tunc et conspicuum sit, et hominum molestiâ afficit[44][121]

    Riolan remonte à l’attaque, page 179 de sa Responsio : « Si l’élimination [Page 224 | LAT | IMG] de cet excrément ne peut se faire qu’après maintes révolutions du sang par les veines et les artères, le cœur et les poumons seront plus mal nourris que toutes les autres parties du corps, puisqu’ils sont les premiers à recevoir ce chyle impur. » [22]

    Je réponds qu’alors, selon Riolan, l’estomac, les intestins, les lactifères et le foie sont plus mal nourris que les autres parties du corps parce qu’ils sont les premiers à recevoir le chyle impur ; il a donc tort de supposer que les poumons et le cœur sont les premiers à être alimentés par ce sang souillé. L’estomac et les intestins ne se nourrissent pas de chyle, mais d’un sang que le cœur et le foie ont digéré en l’altérant de diverses façons ; de même, le cœur et les poumons ne se nourrissent pas d’un sang parfaitement pur, qui y entrerait et en sortirait tel dès son premier passage, mais d’un sang qui s’est épaissi de ce qu’il a acquis lors de nombreuses circulations antérieures, en traversant des organes qui doivent préserver leur intégrité en réparant leur substance. [45][122] Le chyle n’empêche pas une complète nutrition des différents organes qu’il traverse dans le ventre ; de même, celle du cœur et des poumons n’est pas perturbée par le premier passage d’un sang qui n’est pas encore parfait.

    Riolan, à la page 191 de sa Responsio, se demande si « le chyle peut être digéré et se transformer en sang lors d’une traversée si rapide du cœur et des poumons ». Il sait pourtant que le sang ne devient pas vital dans la très brève durée d’une systole et d’une diastole uniques, et qu’il accomplit donc plusieurs révolutions, ce dont la nature s’acquitte grâce à la circulation. Page 181 il dit qu’« il est indigne du cœur, qui est le Soleil et le roi du microcosme, d’assurer la cuisine du corps dans le cabinet de l’âme », [22][123] mais la charge du cœur n’est pas avilie quand il est le premier à recevoir le chyle le plus pur, comme on peut le déduire ce ce qui a été dit plus haut. Il ne nuit pas à la majesté d’un prince de fournir de la nourriture à ses sujets. Vie et nutrition ne sont que cuisine si on tient pour telle la charge de parfaire le sang, de digérer les aliments et de les distribuer.

    [Page 225 | LAT | IMG] Il a donc parfaitement tort de dire que « les impuretés de la région alvine se transportent au cœur en passant par les lactifères thoraciques », [22] car la vie s’en trouverait misérable, à moins que cela ne se fasse que dans les états contre nature, comme au cours des fièvres continues [124] et d’autres maladies, ce que Riolan reconnaît aussi[46] et dont on peut conclure que du chyle impur est transporté dans le cœur avec le sang : ainsi dans les affections rhumatiques les poumons rejettent une énorme quantité de pituite visqueuse et collante, qui ressemble à du chyle, quand il n’est encore qu’un liquide épaissi par les aliments ; et les malades conviennent qu’il s’agit d’une pituite engendrée par la mauvaise digestion de ce qu’ils ont mangé, et disent s’en décharger presque entièrement en crachant. [47][125][126]

    Cela survient certainement à cause du sang chyleux qui s’est par erreur lentement lancé dans les poumons obstrués, ou qui leur est parvenu grumeleux et mal cuit, car jamais en effet les poumons ne recevront en une seule journée une quantité d’excréments capable de remplir tant de gobelets d’épais crachats. Dans le traitement, après épaphérèse, il faut surtout porter attention à l’abdomen, dont la purgation très assidue, à l’aide de lavements et d’une épicrase douce, [48][127] asséchera l’expectoration ou en diminuera beaucoup l’abondance. Les méfaits de ce même sang chyleux apparaissent aussi dans le cerveau, qui est un viscère plus humide encore, où il se manifeste par un abondant écoulement nasal de mucus. Puisque le cerveau est, selon Hippocrate, la capitale du froid et du glutineux, [49][128][129] il doit se nourrir d’un sang qui lui est semblable, comme je le dirai dans le chapitre suivant ; mais s’il surabonde ou s’il est mal digéré par un cerveau mal tempéré, il provoquera la formation d’une quantité excessive de pituite ; en sorte que Riolan n’a pas tort de reconnaître, à la page 188 de sa Responsio que le chyle qui parvient aux subclavières engendre et épaissit l’humeur pituiteuse.

    De toute cette résolution du neuvième argument, il ressort clairement, je pense, que quand le cœur est sain, les lactifères [Page 226 | LAT | IMG] thoraciques ne le souillent pas en lui apportant les ordures de la région alvine, contrairement à l’opinion de Riolan qui craint que ces détritus ne l’exposent à une très grande menace : si en effet, comme il le veut dans le Traité sur la circulation du sang selon la doctrine d’Hippocrate, page 21, et dans l’Admonitio à Guiffart, page 211, [50] le sang choisit de pénétrer dans le cœur, alors l’accès doit en être refusé à celui qui est fort impur, qui stagnera autour du cœur et s’y déposera sous la forme d’un limon fort épais, d’où s’engendrera une grande quantité d’ordures provoquant des incommodités plus graves que ne feraient les imaginaires impuretés du chyle dont Riolan se tourmente tant.

Si les neuf arguments contre les lactifères thoraciques que j’ai choisis dans le présent chapitre lui déplaisent, parce que seuls trouvent grâce à ses yeux ceux qu’il a exposés dans sa conclusion contre les lactifères, [51] alors je regroupe tous lesdits arguments et leur procure cette résolution tout à fait certaine et nécessaire : i. si les innombrables lactifères mésentériques ne peuvent se résoudre en deux fins canaux thoraciques, ii. s’ils ne peuvent délivrer le chyle en quantité proportionnée à celle du sang qui jaillit du cœur, iii. si le réservoir du chyle s’efface sous le poids du mésentère et des intestins, iv. si les lactifères sont étouffés par la graisse, v. si le chyle qu’ils contiennent n’est ni poussé, ni attiré, ni capable de s’écouler spontanément, vi. si les veines chylifères rompent, vii. si le chyle est souillé par les ordures de la bile, viii. si le chyle est incapable de monter au cœur en raison de la distance à parcourir, ix. si le chyle peut nuire au cœur et aux poumons ; alors, selon Riolan, les fibres manqueront au sang veineux, le ferment manquera au sang artériel, la nutrition manquera à diverses parties du corps qui ont besoin d’un aliment distinct, comme les os et leur moelle, la reproduction et la réparation manqueront de la graisse qu’on trouve partout dans le corps, l’humeur pituiteuse enfin manquera d’un lieu où se former et s’épaissir. Telles sont en effet toutes les fonctions [Page 227 | LAT | IMG] qu’il a attribuées aux lactifères thoraciques aux pages 187‑188 de sa Responsio : voilà la palinodie qu’il y chante ; [52] voilà comme il établit l’utilité de veines qu’il avait entrepris de culbuter par un grand concours d’arguments. Non seulement il les confirme, mais il leur conçoit de telles fonctions que pas un instant la vie ne pourrait se faire sans elles. Voici l’ordre et la séquence de la Responsio que Riolan a donnée aux Experimenta nova anatomica : d’abord, pages 144‑145, il reconnaît l’existence des lactifères thoraciques, puis il la nie sur des arguments qu’il expose pages 147‑149, et surtout pages 143, 164, 181 ; il l’admet à nouveau ensuite et énonce les fonctions nécessaires des lactifères pages 187‑188 ; et finit par réfuter de nouveau leur existence en recourant dix fois au même raisonnement page 191. C’est ainsi que le vieillard tombe puis se relève, puis tombe encore et titube en permanence ; mais il ne dresse aucun procès-verbal de ses propos, et ne tient rien pour certain et solide, il a pour habitude in diem vivere, comme dit le proverbe. [53][130] Il disait page 181, ligne 12, « il est impossible que le chyle soit porté au cœur en raison de la distance », mais le contraire, page 187, ligne 20 : « Le chyle se déverse dans le tronc de la veine cave près des axillaires, afin qu’une portion du sang, s’étant épaissie par le mélange de ce chyle, s’attarde dans le cœur, et y serve, comme d’un levain plus chaud et plus acide, à la préparation du nouveau sang artériel ». [22] Comment le chyle mélangé au sang peut-il s’attarder dans les fossettes du cœur s’il lui est impossible d’y pénétrer ?

Il dit page 153, « Il est vrai que les lactifères existent chez l’homme, comme je l’ai jadis publiquement démontré, avec admiration de l’auditoire, avant même la publication d’Aselli » ; mais au contraire, pages 184‑185, « Bien qu’elles existent dans les animaux bien repus, en leur ouvrant le ventre quatre heures après, il ne s’ensuit pas qu’il s’en puisse trouver d’identiques chez les hommes ; et s’il s’y en rencontre, je crois que ce sont de petites branches du rameau mésaraïque de la veine porte » : le voilà qui met en doute des veines qu’il a dit un peu plus haut avoir démontrées publiquement.

[Page 228 | LAT | IMG] Page 153, « Si ces veines lactées et ce réservoir du chyle existent chez les bêtes, il ne va pas de soi qu’on les trouve chez l’homme, jamais vous ne les y verrez à moins de le disséquer vivant » ; mais à la dernière ligne de la même page, c’est le contraire, « J’entreprendrai d’observer cela sur des condamnés à la pendaison qu’on aura complaisamment nourris à satiété avant de les exécuter et dont on aura ouvert le corps immédiatement après, s’il m’est permis par les juges et les confesseurs de gaver des suppliciés ». [131]

De même, pages 169‑170, il veut que chez l’homme une portion du chyle que les lactifères ont fait couler dans la veine cave rende les urines laiteuses, et que « le surnageant blanchâtre qu’on voit à la surface du sang recueilli dans un récipient soit du chyle qui s’est corrompu à l’intérieur de la veine cave » ; voyez aussi page 188 de la Responsio[54][132]

Enfin, Guiffart avait écrit sæpius in cadaveribus humanis observatum est, magnam chyli corrupti copiam à receptaculo intra viscerum spatia profusam, quam ob similitudinem decepti medici arbitrabantur pus esse quoddam liquidius, ideóque abscessum aut vomicam [133] per omnes abdominis partes frustra perquirendo, tempus consumpserunt ; à quoi, page 218 de son Admonitio, Riolan répond Istam observationem laudo, addo ex insertione illarum venarum lactearum ad truncum cavæ iuxta emulgentes nonnunquam urinas fluere puriformes, sine ullo renum aliorumque viscerum præcedente ulcere ; interdum etiam per intestina eadem purulentia lactiformis effluit, vel sincera, vel stercoribus permixta, sine ullo dolore intestinorum, quæ reputatur manare à mesenterio ulcerato et abscessum passo. Cum tamen procedat ab ista collectione chyli in magna glandula mesenterij, [134] et in venis lacteis, qui in eas partes protrusus fuit. Idem in thorace contingere potest ruptis istis tubis chyliferis, quod est funestum, ut in ruptura earumdem venarum lactearum in abdomine, nisi venæ illæ lacteæ exarescant, ad sistendum fluorem continuum chyli, atque vacuata fuerit purulentia [Page 229 | LAT | IMG] in abdomine vel thorace diffusa et collecta[55][135] Riolan ne confirme-t-il pas ici, plus clairement que le Soleil en plein midi, l’existence des lactifères thoraciques chez l’homme ? Étant naturâ lynces insitum habent ne post tergum respicientes meminerint priorum, et mens perdat quod oculi videre desierint[56][136] en heureux sacrifice à la vérité, il oublie entièrement ses précédents arguments. Pour que dorénavant sa légèreté de voltigeur ne le fasse plus si souvent changer d’avis, qu’il apprenne de Salomon que « la langue de la vérité est affermie pour jamais ». [57][137][138]


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