Texte
Hyginus Thalassius (1654)
alias Pierre De Mercenne,
Brevis Destructio de la
première Responsio (1652)
de Jean ii Riolan (1654) :
chapitre iii  >

Codes couleur
Citer cette lettre
Imprimer cette lettre
Imprimer cette lettre avec ses notes

×
  [1] [2] Appel de note
  [a] [b] Sources de la lettre
  [1] [2] Entrée d'index
  Gouverneur Entrée de glossaire
×
Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Hyginus Thalassius (1654), alias Pierre De Mercenne, Brevis Destructio de la première Responsio (1652) de Jean ii Riolan : chapitre iii

Adresse permanente : https://www.biusante.parisdescartes.fr/pecquet/?do=pg&let=0052

(Consulté le 20/05/2024)

 

[Page 195 | LAT | IMG]

Sur les témoignages de docteurs de Paris qui ont écrit des lettres à Pecquet, approuvant et louant de bonne foi les lactifères thoraciques. Défense des dites lettres contre la censure de Riolan, qui s’écroule d’elle-même, comme contraire à la la raison et à l’expérience[1][2]

Bien qu’elle ne manque ni de claire démonstration, ni de preuve solide, et que l’autorité d’un tiers ne dissuade personne de croire ce qu’il voit, l’opinion, qui s’est enracinée dans les esprits depuis la jeunesse et qu’a consolidée le long héritage des siècles passés, exerce un si grand pouvoir qu’elle brise aisément les convictions procurées par la raison et par les sens, et les torture à son gré.

Quo semel est imbuta recens servabit odorem
Testa diu
[1][3]

La force de la tradition est telle qu’un corps nourri des plus détestables aliments ne tolère pas ceux qui sont d’excellente qualité, et telle aussi que l’éclat de la lumière, si bénéfique et désirable soit-il, aveugle les yeux qui n’en ont pas l’habitude, quand ils y sont soudainement exposés. Sachant bien cela, Pecquet, avant de publier sa description des nouvelles voies du chyle qu’il a découvertes à Paris, a invité deux docteurs de cette ville qui le connaissaient bien à contempler ce spectacle étonnant et digne des véritables philosophes, afin que leurs témoignages renforcent la bonne foi de son expérience. Après avoir indiscutablement constaté l’existence des canaux pecquétiens, et les avoir touchés de leurs mains expertes, [Page 196 | LAT | IMG] ils se sont fait un devoir d’être les zélés défenseurs et promoteurs de la vérité et du bien public, en exposant leurs convictions dans les Lettres de soutien qu’ils ont écrites à Pecquet[4][5] Riolan a eu grand mal à le supporter car, dit-il, Pecquet devait prendre l’avis de médecins plus perspicaces encore, à savoir de plus anciens docteurs de la Faculté [6] mieux aguerris aux travaux anatomiques et aux opérations de l’art. [7] Pecquet n’est pourtant pas ignorant au point de méconnaître ce que dit le sage : À senioribus disce[2] Il a appris d’Aristote (Morale, livre vi, chapitre xii) qu’il ne faut pas porter moins d’attention aux déclarations des personnes d’âge, même dénuées de preuve, qu’à leurs démonstrations, car elles les ont tirées de ce que leur a montré l’expérience. [3][8] Il convient que leur témoignage fut très brillant car en effet in ætatibus authoritatem habet senectus, ut in exemplis vetustas [4][9] Nul ne manque de reconnaître que les vieux maîtres de la vraie médecine, nés pour le bien du public, sont salutaires pour la ville et pour le monde, mais Pecquet n’a en rien porté atteinte à leur honneur en sollicitant les témoignages d’autres docteurs qu’il connaissait mieux. Il savait qu’il ne pouvait se trouver en la Faculté de Paris aucun régent qui fût incapable de porter un jugement sur l’exactitude d’une expérience anatomique ; mais aussi que ceux qu’il avait choisis ne mépriseraient pas les siennes, et en tout premier le très digne et docte Mentel[10] à qui, du moins, Riolan n’a pas reproché sa jeunesse car il figure parmi les plus anciens maîtres de l’École, en a jadis été professeur, et a enseigné la chirurgie et l’anatomie à Paris depuis déjà vingt années avec insigne mérite et grande affluence d’auditeurs. Le second est certes bien moins âgé, mais il régente depuis presque dix ans et, comme il me l’a confié quand je résidais à Paris, n’a pas honte de sa jeunesse quam non audit invitus, velut quidam senectutem, et canos et alia multa ad quæ voto pervenitur, dit Sénèque. [11] Riolan entendait donc parler de lui-même quand il voulait que Pecquet eût consulté les anciens de la Faculté. [12] Wirsung, [Page 197 | LAT | IMG] dit-il, a sollicité son avis sur le canal qu’il a découvert ; [5][13] mais Pecquet n’en a pas fait ainsi et n’a pas payé le même tribut au prince des anatomistes : telle furent la cause de la guerre et la raison pour laquelle Riolan a pris les armes contre les lactifères thoraciques. [14] Il ne se soucie guère des autres anciens maîtres qui n’ont pas été consultés et qu’il appelle circulateurs dans le chapitre xi, pages 42 et 43, de son livre sur la circulation du sang selon la doctrine d’Hippocrate : [15] Hanc doctrinam, inquit, si nostri Pragmatici, Vrbis circuitores, vel potius circulatores, attentè considerarent, forsan in suis discursubus vel consultationibus Medicis mutarent sententiam, nec tam obstinatè hærerent in illo veteri errore Fernelij [16] (Ainsi, ô Faculté de Paris, ton plus ancien maître parle-t-il avec respect du plus grand des médecins après Hippocrate et Galien !), [17][18] qui constituit focum continuæ febris in majoribus vasis, etc[19] Pour noyer les odieuses rumeurs du bon peuple et les calomnies des hémophobes, [20] Riolan conclut ce chapitre par un Avertissement aux médecins de Paris, où il dit, page 43 : Audacius ad venam secandam progrediuntur, cum sanguis ex vena porta eductus fuerit, magna ex parte exhausto sanguine trunci cavæ, atque tum liberaliùs detrahunt sanguinem, quando quiescendum foret ; in debilitate virium etiam oppressionem semper accusantes ab isto impuro sanguine[6]

Celui qui a pu ainsi condamner ses collègues use aussi du droit de censurer ouvertement Hippocrate et Galien dans son Anthropographie[21] au Livre sur la circulation du sang : Credibile est Hippocratem adhuc juvenem nondum in operibus artis satis exercitatum libros epid. peregrinando concripsisse ; et un peu plus loin, in Medicina Hippocratis Medici multa notarunt ante tempora Cornelij Celsi. Quis non reprehendat in Galeno quod regulas et præcepta medendi à se præscripta non observarit in suis ægris ? [7][22][23] Il a pu appliquer ce même blâme aux docteurs [Page 198 | LAT | IMG] qui ont loué l’expérience pecquétienne, et a même poursuivi avec ardeur Moreau [24] et Patin[25][26] très éminents médecins de la Faculté de Paris, pour les lettres qu’ils ont écrites à Emilio Parisano[27] disant dans son Anthropographie, à la page 856 de l’Éponge alexitère contre Emilio Parisano : Aut nunquam ipsius Authoris opera legisse verisimile est, aut suam ignorantiam in ea re patefacere, de judicio posteritatis securi[8] Page 858, il répond ainsi à Parisano : At Doctor Parisiensis præclarissimus suis versibus inter illustres Anatomicos ipsum Riolanum non accensuit. Nemo Propheta in patria sua ac præsertim inter Medicos, quoniam inter mendicos regnat semper invidia quam expertus sum in majorem à quibusdam sycophantis et temulentis ; et plus bas, in hac urbe Medicorum imperium inveni divisum in factiones, ægris valde perniciosas, dum prævalens praxeos manceps aliorum animos flectit et ad se convertit, in odium et sæpe ludibrium alterius Medici Docti, probi, senioris, aliter opinantis. Sic animas hominum negotiantur Medici[9]

C’est ainsi que Riolan parle de ses collègues, dont il n’y a pas de pires que les étrangers ; [28] ainsi qu’il recommande la réputation des médecins de Paris à la postérité ; ainsi qu’il se venge de exprobratum, dit-il, nominis sui contemptum in urbe Parisiensi[10] mais ces vers que Parisano lui a jetés à la figure se lisent au début des œuvres de Du Laurens. [29]

Fallopium Patiavina colit, [30] Romana Columbum ; [31]
         Germana Albertum ; [32] Flandria Vesalium ; [33]
Bauhinum Basilea ; [34] suum Veneti Parisanum ;
         Bœteica Valverdam tollit ad astra suum. [35]
Pavium habent Batavi, [36] stat Sylvius in Parisina ; [37]
         At te, Laurenti Gallia tota tenet
[11]

Me Guy Patin est auteur de cette élégante épigramme, et voici comme le traite Riolan dans ses opuscules [Page 199 | LAT | IMG] anatomiques contre Harvey, etc., dans l’errata de son Anthropographie, page 381, où il écrit : Qui versibus commendavit librum Parisani : revera tot alapas meruit, quot versus scripsit[12] Il s’est ainsi permis de ne pas épargner un homme qu’il tient pour son meilleur ami, à qui, il y a plusieurs années, il avait dédié son Manuel anatomique ; [39] lui qui dans son nouveau jugement sur les veines lactées, comme dans l’épître dédicatoire de son dernier ouvrage, dénigre nommément la première des écoles, en la disant semistibialem ac semistygialem[13][40][41][42][43] L’École de Paris jugera donc plus utile de s’appliquer à revendiquer l’éclat de son rang et la réputation de ses docteurs, que Riolan a outragée, que de condamner les vaisseaux lactés du thorax que Pecquet a découverts, et que deux de ses docteurs ont observés et approuvés. C’est injustement que Riolan demande que « les étrangers ne croient pas que l’opuscule de Pecquet, qui a été imprimé à Paris et approuvé par certains de ses docteurs, a mérité son assentiment unanime et que la Faculté l’a jugé digne d’être loué et de voir le jour ». [14] Si l’observation de Pecquet est fausse et si les vaisseaux thoraciques du chyle sont fictifs, la Faculté parisienne est sûrement en devoir de blâmer ceux de ses régents qui approuvent leur existence ; mais si elle est effective, déjà démontrée et explorée par les mains d’anatomistes éprouvés, son intérêt, comme arbitre non moins sincère que juste, est d’employer son autorité à empêcher que la vérité de la nature des choses et la réputation de ses docteurs ne soient blessées, plutôt qu’à soutenir les dogmes de son plus ancien maître. Ainsi donc la censure de Riolan s’écroule-t-elle d’elle-même, car elle n’est pas moins contraire à la raison qu’à l’expérience et qu’au témoignage des yeux. Pecquet n’est certes ni docteur ni médecin de Paris, mais il n’en doit pas pour autant être privé des honneurs que lui vaut sa remarquable découverte, et il serait à la fois ingrat et discourtois que les étrangers qui ont bien mérité de la médecine n’en veuillent pas convenir. De même que la vertu omni loco nascitur[15] il faut, partout où elle se montre, [Page 200 | LAT | IMG] l’aimer, la vénérer et la louer : ainsi les docteurs de notre sainte Faculté [16][44] approuvent-ils tous les jours des livres de théologie écrits par des étrangers, dont l’importance est bien plus grande que celle des ouvrages médicaux, tant la religion prévaut sur la vie, et l’âme sur le corps.

Pecquet ne peut pourtant pas être tenu pour entièrement étranger à la Faculté de Paris, car il se glorifie d’en être le disciple, comme furent Foes[45] Du Laurens et d’autres fort illustres médecins de ce siècle et du précédent. C’est à Paris qu’il s’est initié à la philosophie et aux mathématiques, et qu’il a reçu le grade de maître ès arts et accédé aux privilèges qui y sont attachés ; à la Faculté de Paris qu’il a appris la médecine et l’anatomie, et suivi les leçons de Patin et Mentel, docteurs que j’ai loués plus haut ; à Paris qu’il a accompli ses expériences anatomiques et mis au jour les lactifères thoraciques en 1647. [17][46] La découverte de Pecquet ne doit donc pas être tenue pour étrangère à Paris, ville dont la Faculté est la plus célèbre de toutes, par la gloire de son ancienneté et l’éclat de sa doctrine. C’est bien en vain que Riolan tente d’amener ses collègues à la même sentence que lui, en quoi sa prétention est fort excessive puisqu’il pense que l’intérêt de cette École est de blâmer ce qui ne trouve pas grâce à ses propres yeux. Qu’est-ce pourtant que ce censeur perpétuel trouve à condamner dans les lettres qui ont été écrites à Pecquet ? Il serait long de défendre séparément chacune d’elles, et cela dépasserait le temps dont je dispose. Je ne dépenserai pas mon encre à critiquer les futiles gloses dont il a usé pour s’efforcer de flétrir la brillante épître du très distingué et aimable M. Jacques Mentel ; en quoi notre ancien supercilium subduxit, barbam demisit, ut in grammaticis nodos nectat[18] At turpis res elementarius senex, dit Sénèque ; res fallunt, illas discerne. Il ne fait qu’y perdre son temps : nimium temporis eripiunt vafræ quæstiunculæ, captiosæ disputationes, et verborum [Page 201 | LAT | IMG] cavillatio, quæ solummodo acumen irritum exercent, et generosam indolem in istas argutias conjectam comminuunt et paralysent l’esprit. [19][47][48] Quant à la seconde lettre, bien qu’elle soit plus courte que la première, je n’entreprendrai de la défendre qu’à titre d’exemple : « La deuxième, dit-il, fait remonter la structure des lactifères thoraciques à Adam, le premier géniteur des hommes » ; mais l’auteur de ladite lettre n’avait pour intention que de défendre ces vaisseaux contre la jalousie de la nouveauté en écrivant « ce qu’on observe chez tous les êtres vivants n’est pas nouveau et y a existé depuis que le monde est monde ». [20] Riolan ne ricane-t-il pas sottement sur cette référence à Adam, en le faisant remonter à l’origine du monde ? Tel est donc l’argument de ce censeur : puisque la nature des êtres vivants a débuté lors de la formation du monde, Adam en a été le premier, alors que la Genèse [49] enseigne qu’il n’est apparu qu’au sixième jour, comme le couronnement et l’abrégé de la création, après que les autres animaux eurent été entièrement formés. Aliud est aquarum genus, quod nobis placet cœpisse cum mundo, écrit Sénèque ; [21][50] et dans le droit fil de sa pensée, le censeur dirait que Sénèque fait remonter l’origine des eaux à Adam. Tite-Live a rapporté le souvenir d’une île nouvelle qui émergea du Tibre ; [22][51] Sénèque et Pline en ont fait de même pour celles qui sont apparues dans la mer. On pourrait donc se demander comment la surface du globe se modifie, quand des îles émergent, de nouveaux fleuves surgissent ou s’assèchent, et des montagnes s’effacent. La face de la nature aurait-elle changé en établissant récemment des canaux du chyle chez les animaux ? Cela n’est pas raisonnable car ces transformations sont contre nature, comme sont toutes les maladies : elles ne tirent pas leur origine d’un principe établi de toute éternité, contrairement aux parties des animaux qui se contentent de se reproduire et remplacer de génération en génération.

[Page 202 | LAT | IMG] L’auteur de cette lettre a donc sans doute compris que la nature n’engendre pas de nouvelles espèces d’animaux accomplis et qu’il n’apparaît pas non plus chez eux de nouvelles parties corporelles qui donneraient issue à de nouvelles espèces ; il en fournit pour très solide raison que « la nature est en effet soumise à une loi éternelle et immuable », qui consiste à perpétuellement reproduire un même modèle, et ce si fidèlement que depuis leur création les animaux n’ont ni acquis de parties nouvelles ni produit d’espèces nouvelles. Parfois surviennent certes des aberrations qui donnent naissance à des monstres dotés de parties anormales, mais elles ne leur survivent pas, et tels ne sont pas les lactifères thoraciques qui s’observent toujours dans toutes les espèces d’animaux entièrement développés.

Riolan cite aussi cet autre passage de la seconde lettre : « Par cette découverte, la nature semble nous reprocher de juger qu’elle a pour habitude de contrarier l’ordre établi » ; ce que ce censeur interprète pour dire aussitôt qu’après de telles louanges, qui ne proclamerait pas que « Pecquet est comme le nouveau fondateur de la médecine,

                                 Tibi lilia plenis
Ecce ferent Nymphæ calathis, etc.
 ? » [23][52]

Plus haut dans sa réponse, il avait écrit, page 141 : « il importe que ceux qui approuvent l’opuscule de Pecquet établissent une nouvelle méthode pour remédier. » Hormis Riolan, qui aurait pu, à partir des mots qui sont dans la lettre et de tout son contexte, tenir des propos aussi étrangers à la pensée de son auteur, et même à la pure vérité des faits ? Cette lettre ne se fonde que sur l’expérience, qui est la maîtresse des choses, c’est-à-dire sur la dissection et l’inspection directe de la nature ; dans la découverte pecquétienne, elle se contente de louer la démonstration du réservoir du chyle [53] et des lactifères thoraciques, sans dire un mot de leur fonction ou des funérailles du foie, [54][55] prévoyant bien sûr et évitant par anticipation les très puissants arguments [Page 203 | LAT | IMG] que le censeur a opposés à Pecquet dans sa Réponse aux Expériences anatomiques nouvelles, tels ceux qu’il y a répétés tant de fois, pages 167, 179, 190, 181, sur « les impuretés du chyle souillant les esprits vitaux ». [24][56] Ladite lettre a aussi critiqué la fâcheuse habitude de porter un jugement sur la nature sans la nature, c’est-à-dire sans prendre le soin de la consulter, car une grande partie des hommes lui imputent leurs raisonnements et beaucoup, comme en la plaçant sur un chevalet de torture, lui font subir divers supplices pour qu’elle avoue ce qui leur plaît, et non ce qui est vrai. Ils sont même nombreux à blâmer certains autres qui, avec zèle et diligence, se proclament disciples d’une nature unique et se glorifient d’avoir Dieu pour véritable précepteur.

Parmi ces critiques, Riolan occupe le premier rang, avec l’habitude bien ancrée de recourir à ce procédé pour contredire un argument inexpugnable, car tiré de l’expérience. Ainsi, par exemple, réfute-t-il la démonstration de la circulation du sang dans la veine porte, [57] que la ligature de la racine du mésentère rend manifeste chez un chien vivant, [58] et plus encore celle de son tronc tout près du foie, qui le vide de son sang en aval du lien, mais s’en remplit dès qu’on le dénoue : « Je doute, dit-il, de cette expérience, bien qu’Harvey l’ait produite. » [59] Pour ma part, j’avais appris cela d’une lettre de Descartes reçue voilà déjà quatorze ans. [25][60][61] Dans son livre de la circulation du sang, chapitre xiii, page 46, Riolan écrit : Isthæc experimenta erunt administranda, ut rei veritas exploretur et innotescat. Verùm tædiosa, laboriosa et difficilis viventium animalium anatome, sanguinis effusio omnia perturbat, et irritum facit experimentum[26] Hippocrate n’a pourtant pas mené inutilement ses expériences sur les vaisseaux de porcelets vivants, [Page 204 | LAT | IMG] non plus que Démocrite sur d’autres animaux. [27][62] Riolan dit bien plus clairement, dans le chapitre xix, pages 148 et 149, de ses annotations sur le mouvement du cœur : Quisnam Medicus in praxi occupatus tempus, operam, et quæstum suum disperdere voluerit in earum rerum exploratione, manebit potiùs in antiqua doctrina verisimili quàm in dubia et incerta ridiculus esse, si faveat istis paradoxis opinionibus, quæ non possunt sustineri rationibus nisi visu et tactu demonstrentur. Quare lubens abstineo ab istis experimentis[28] Il aurait dû ajouter qu’il s’abstient aussi de discerner la vérité, dont l’accoucheuse est l’âge où les hommes sont consciencieux, et dont la mère est l’expérience. Notre censeur est plus honnête quand il écrit quelque part s’imaginer, pendant tout l’hiver au coin de son poêle, à cause de ses mauvais poumons, [29][63] devisant avec des régents de philosophie sur ce qui lui vient à l’esprit au sujet de la nature des choses, plutôt qu’apprenant ce que des observateurs curieux en ont dit dans leurs ouvrages. Il est certain qu’en quelque partie des siens, le censeur a renoncé à sa dignité, comme ici surtout, où il pose en principe qu’« il ne veut pas gaspiller son temps, son travail et son argent » [28] à explorer la vérité. Ce n’est pas le vrai qu’il recherche, mais le vraisemblable, à la manière des rhéteurs, dans l’idée de Quintilien. [30][64] Harvey lui en avait fait la remarque dans son second essai, page 62 : Quod in quæstione est visibile et sensibile ; an sit nec ne ? videre vel expertis credere tenetur, qui scire desiderat[31]

À vrai dire, le censeur loue la recherche anatomique de Pecquet et la mise au jour des canaux pecquétiens, et avoue les avoir vus chez le chien, démontrés par « l’habile anatomiste et chirurgien » Gayan[32][65] Il ne désapprouve que la fonction que leur attribue Pecquet, en distinguant le comment du pourquoi. La suite de sa Réponse ne fera-t-elle pourtant pas voir qu’il a mis toutes ses forces à attaquer l’existence même des lactifères ? Je me demande aujourd’hui pourquoi le censeur [Page 205 | LAT | IMG] n’a pas approuvé la seconde lettre qui ne se prononce que sur leur comment. C’est donc très injurieusement et injustement que, dans son Hepatis funerati Querimonia ad Medicos Parisienses, il écrit : Medicos hujus ordinis, consiliarios, fautores ac fidejussores fuisse hujusce facinioris. Scilicet Hepar inutile et ignobile membrum è corpore rescindendum, sua dignitate et potestate sanguificandi spolinadum, ac proinde exterminandum, et relegandum ad vile ministerium[33][66][67][68] Là-dessus, ladite lettre se contente de dire : Hic te vivus et fallere nescius codex docuit, quod principij unitas Aristotelo suaderat, cor primum esse αιματωσεως organum[34][69][70] Puisque le cœur est l’organe premier de l’hématose, alors il en existe un second ; et puisque le censeur ne peut penser à nul autre que le foie, comment ne rougit-il pas de s’imaginer que l’auteur d’une lettre qui tenait un propos si clairvoyant a été le conseiller d’un crime ? Les médecins de la Compagnie parisienne n’ont donc pas juré la ruine du foie, dont ils reconnaissent qu’il assure des fonctions indispensables à la vie, et dont ils veillent, dans leur pratique quotidienne, à préserver le tempérament et à favoriser le bon fonctionnement. Dès lors, nul honnête homme ne pourra tolérer en silence ou excuser le véhément emportement de Riolan, dont la Querimonia Hepatis funerati ad Medicos Parisienses se déchaîne horriblement contre les Pecqueti sectarios : c’est ainsi qu’il appelle ceux qui, comme lui, reconnaissent l’existence des lactifères thoraciques, comme s’il s’attaquait aux stygales medicos, qui suo stibio sive stygio instrumento diaboli hominum ruinam inter se syngraphâ jurarunt, pour conclure qu’ils soient chassés de la Faculté. [35] Bon Dieu, quam inquietum est malum, ac plena veneno mortifero lingua ! Un vieillard « méditant sur son départ » necdum domare potest : [71] ne pense-t-il pas déjà « se compter parmi les célicoles », [72] après qu’il aura achevé ses jours ici-bas ? [36] Et c’est lui qui accuse publiquement ses collègues, [Page 206 | LAT | IMG] d’homicide et d’empoisonnement, et même de conjuration écrite en vue de ruiner le genre humain, eux qui lui ont toujours été entièrement dévoués, et dont la Faculté et les Parisiens ont approuvé l’intégrité des mœurs et de la réputation !

Tantæne animis celestibus iræ ? [37][73]

Il n’a pas redouté le propos de l’Apôtre : Qui injuriam facit, recipiet id quod iniquè gessit, et non est personarum acceptio[38][74] Les étrangers et ceux qui viendront après nous penseront que le plus ancien maître de la Faculté de Paris l’a incendiée, dans ces Obsèques et résurrection du foie, en la présentant comme une compagnie de médecins stygiaux et empoisonneurs ; mais n’y reconnaîtront-ils pas plutôt les funérailles de leur estime pour Riolan, qui jamais ne renaîtra ni ressuscitera tout à fait, à moins que pris d’un repentir tardif, ce vieillard, qui est déjà un cadavre ambulant, ne cesse enfin d’injurier et de médire ? [39]

Voilà néanmoins pourquoi Riolan qualifie ses collègues de stygiaux et de pestes. [40] Écoute bien, ô postérité, et émerveille-toi ! Après avoir vu, comme a fait Riolan, les lactifères thoraciques mis au jour par Pecquet, ils ont jugé que les déchirer de leurs outrages, comme fait Riolan, était indigne de la sincérité chrétienne et de la candeur philosophique. En outre, non seulement « d’habiles et avisés médecins d’Allemagne, d’Italie, d’Espagne, d’Angleterre », [35] mais aussi la Faculté de Paris et presque toutes les universités d’Europe ont légitimement rangé le vin émétique qu’on tire du safran d’antimoine parmi les médicaments purgatifs. [41][75] Ils n’estiment pas, comme fait Riolan, qu’il s’agit d’un poison. La raison pour laquelle le censeur a curieusement associé l’antimoine aux lactifères est parfaitement transparente : il a ainsi voulu montrer que la guerre qu’il déclare maintenant contre les expériences les plus solides sera mortelle pour lui, car le témoignage des sens établit, avec évidence absolue, à la fois que la découverte des canaux pecquétiens enrichit [Page 207 | LAT | IMG] le savoir médical sans avoir d’effet nuisible, et que le vin émétique contribue heureusement aux secours que l’art oppose aux maladies les plus graves, en agissant non pas comme un poison, mais comme un remède salutaire dans la purgation du foie et des autres viscères.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
Licence Creative Commons "Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.
Une réalisation de la Direction des bibliothèques et musées d'Université Paris Cité